« Il m’a frappé au minimum une dizaine de fois » : les victimes témoignent

Solène, Ivan, Chloé, Erwan… Politis a réuni dans ses locaux une vingtaines de victimes des violences d’État, le 30 mars dernier. Voici certains de leurs témoignages, édifiants sur la répression mise en place par le pouvoir.

Politis  • 5 avril 2023
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« Il m’a frappé au minimum une dizaine de fois » : les victimes témoignent
Jeudi 30 mars, plusieurs personnes sont venues témoigner dans les locaux de Politis de la répression qu’elles ont subie lors des manifestations contre la réforme des retraites.
© Lily Chavance.

Ariel*, 16 ans, lycéen

« On dirait que vous êtes alignés pour aller au camp de concentration. »

Pour avoir participé à des mobilisations contre la réforme des retraites, j’ai eu affaire à deux reprises à la police. D’abord le 16 février : je suis allé à un rassemblement organisé par des étudiants de la Sorbonne dans le but de rejoindre la manifestation intersyndicale. Le rassemblement s’est transformé en manifestation sauvage et j’ai été pris dans une nasse avec une vingtaine d’autres manifestants, dont la moitié étaient mineurs. Nous avons été alignés debout face au mur pendant environ une heure et demie. Pendant ce temps, les CRS ont procédé à des fouilles et des contrôles d’identité, avant de conduire les personnes interpellées dans deux fourgons.

*

Les prénoms ont été modifiés.

Le CRS qui a contrôlé mon identité – n’ignorant pas que mon nom ne camoufle rien de mes origines juives – me dit alors, sur le ton de la rigolade : « On dirait que vous êtes alignés pour aller au camp de concentration. » Je suis resté cinq heures dans le fourgon, pendant que les policiers nous dispersaient dans des commissariats parisiens. J’ai miraculeusement évité la garde à vue, alors que la plupart des autres interpellés y ont passé la nuit. Ensuite, le 9 mars, je suis interpellé par la police en marge d’un blocus de mon lycée. Mais cette fois-ci, je n’ai pas échappé à la garde à vue de 48 heures avant d’être déféré au tribunal pour « détention d’engin pyrotechnique, dégradations et refus de donner mon code de téléphone ». C’était faux et je suis finalement sorti sans aucune charge.


Louise, 23 ans, étudiante

« Au bout d’une vingtaine d’heures en garde à vue, le pantalon taché de sang de règles faute de kit d’hygiène distribué, je sors enfin. »

Lundi 20 mars, à l’arrière de la tête de manifestation, je reçois un débris de grenade lacrymogène. Mon masque, accroché à mon bras, est brûlé sur plusieurs centimètres. Je tente avec mon groupe d’échapper à la Brav-M qui se rapproche. Poussée et bloquée contre le mur, je ne peux plus reculer. Je reçois des coups de matraque qui me laisseront de gros hématomes. Ensuite, nous sommes tous interpellés. Je suis fouillée puis embarquée en bus. On suffoque et on nous dit : « On appellera les pompiers quand quelqu’un fera un malaise, vous n’avez qu’à arrêter de gueuler. » Après trois heures dans le bus, à 1 heure du matin, j’arrive au commissariat. Je suis de nouveau fouillée, on m’enlève mon attelle alors que j’ai une entorse. On me retire mes lunettes de vue.

J’entre en cellule en marchant dans une flaque d’urine.

J’entre en cellule en marchant dans une flaque d’urine. Un médecin vient nous voir au bout de quelques heures et on me donne un Doliprane sans eau. Certaines filles dorment par terre, faute de place. Comme je me sens très faible, on m’apporte deux biscuits tôt le matin. À 15 heures le lendemain, je vais à mon audition, sans avocate, car « trop débordée » me dit-on. J’exerce mon droit au silence. De retour en cellule, j’apprends que l’avocate que j’avais demandée était disponible. J’insiste, puis je finis par la rencontrer. Elle m’informe que ça sera sans suite. Au bout d’une vingtaine d’heures en garde à vue, le pantalon taché de sang de règles faute de kit d’hygiène distribué, je sors enfin. Depuis, je pleure chaque jour. J’ai décidé d’aller consulter un psychologue.


Chloé, 31 ans, projectionniste

« Mon audition s’est très mal passée : comme j’ai gardé le silence, un officier a fait « parler mon téléphone » en ouvrant toutes mes applications. »

Ça a commencé par une nasse dans laquelle nous avons été bloqué·es avec plus de 100 personnes rue des Capucines, à Paris, après le rassemblement place de la Concorde. La police nous a fait sortir un·e par un·e pour un contrôle d’identité jusqu’à nous conduire dans un camion où nous avons été enfermé·es dans des minicellules individuelles. Ensuite, direction un centre de rétention administrative où nous avons passé la nuit. On nous a notifié notre mise en garde à vue vers 2 heures du matin. Le lendemain, nous avons été transféré·es dans un commissariat dans le centre de Paris.

Mon audition s’est très mal passée : comme j’ai gardé le silence, un officier a fait « parler mon téléphone » en ouvrant toutes mes applications, à la recherche de preuves. Tout y passe : messageries, mails, réseaux sociaux. Après qu’il a trouvé une vidéo de la veille tournée lors d’une manif, mon téléphone a été placé sous scellés. J’apprends que je vais être déférée et transférée au tribunal. On m’y amène menottée dans une voiture. Alors que je pensais sortir le soir même, on m’annonce que je vais passer la nuit au tribunal. Je ne verrai mon avocat que le lendemain en présence d’un adjoint du procureur. Ce dernier m’annonce l’abandon des poursuites et me propose un avertissement pénal probatoire. C’est ce qui remplace le rappel à la loi depuis janvier 2023 et qui consiste à faire signer des aveux, ce que j’ai refusé !


Yannick, 58 ans, jardinier

« Il m’a frappé au minimum une dizaine de fois. Il a arrêté quand son collègue a dit : « Arrête, il saigne ». »

Fin de manif, on décide d’aller boire un pot à neuf personnes. On arrive devant les Galeries Lafayette, une unité de policiers était en train d’arrêter trois lycéens qui avaient crié « Acab ». Ils n’avaient vraiment pas l’air violents, mais ça a mis de l’huile sur le feu, donc il y a eu un attroupement pour les laisser partir. Quatre policiers sont venus vers nous, ils ont embarqué mon pote Théo. Je ne sais toujours pas pourquoi. Ça m’a fait vriller et je les ai traités de « fils de pute ». Ils ont voulu m’attraper et j’ai couru. Vu mon âge, ils m’ont vite rattrapé et mis contre le mur. Les trois m’ont tenu et celui que j’avais insulté s’est lâché avec sa matraque. Il m’a frappé au minimum une dizaine de fois. Il a arrêté quand son collègue a dit : « Arrête, il saigne. »

Ce n’est pas du maintien de l’ordre, c’est de la répression.

Quand ils m’ont embarqué, celui qui m’a frappé a resserré les serflex à fond, un petit truc humiliant gratos. Je saignais du pouce et sur le dos de la main, avec suspicion de fracture sur la dernière phalange. J’ai eu un premier pansement au commissariat et un deuxième à l’Hôtel-Dieu, où j’ai passé une radio. Puis je suis retourné en cellule dans le commissariat du troisième. J’ai fait vingt-deux heures de garde à vue. Je suis convoqué le 19 juillet devant le substitut du procureur pour un stage de citoyenneté. Mes mains, j’en ai besoin, en tant que jardinier. J’ai eu six jours d’ITT. J’ai porté plainte lundi à l’IGPN et je suis convoqué au tribunal judiciaire. Ça ne va pas aboutir, je le sais, mais si on ne le fait pas, c’est la porte ouverte à tout. J’ai connu d’autres mouvements sociaux, mais là ce n’est pas du maintien de l’ordre, c’est de la répression. On a un sacré pyromane à la tête de l’État.


Jean, 24 ans, étudiant en musicologie à Paris

« J’ai encore du mal à me dire que j’ai été victime de violence policière. »

Paris, jeudi 23 mars 2023 lors de la 9e journée de mobilisation de l’intersyndicale contre la réforme des retraites. J’étais avec mon amie. On a rebroussé chemin parce qu’on nous disait que ça partait en cacahuète à Opéra. Il y avait plein de gens, pas de CRS, on se sentait en sécurité. Une partie des manifestants sont allés vers Bastille pour continuer, nous, on a tourné exprès à Voltaire pour éviter la foule. D’un coup, on s’est retrouvé dans de la lacrymo. On comprend qu’on vient de croiser un cortège sauvage et on bifurque dans la direction opposée. On voulait juste rentrer chez nous. On essaye d’esquiver les CRS sans faire de vague. Là, un premier me charge et me fait tomber à terre. Un autre se jette sur mon amie. Quand on parvient à se relever, on a une interaction très bizarre où on doit négocier pour ne pas se faire embarquer. Avec le stress, on raconte n’importe quoi. Ils nous laissent partir.

Je ne comprends pas comment un CRS peut infliger ça à des gens, pour rien.

On passe devant un tas de gens en train de se faire interpeller contre le mur. On finit par s’asseoir dans un bar où on se rend compte de notre état. Mon amie avait des hématomes partout et la peau éraflée, moi des douleurs au bras et un coquard. Ça a été compliqué de rentrer chez nous. Dès qu’il y avait une sirène on bondissait et on se mettait à courir en espérant qu’il ne nous arrive rien. Je ne sais pas si c’est le choc mais j’ai l’impression que mon cerveau a mis de côté certains souvenirs. La manière dont j’ai eu ces blessures reste extrêmement floue. Ça ne m’a même pas mis en colère – j’ai encore du mal à me dire que j’ai été victime de violence policière. Mais ça me rend triste. Je ne comprends pas comment un CRS peut infliger ça à des gens, pour rien. C’était dur, les jours d’après, d’entendre les politiques nier ces violences. Je suis retourné en manif depuis. Mais je suis moins insouciant, je rentre chez moi plus tôt.


Clément, 26 ans, architecte

« Des heures interminables dans une cellule de 4 m2 serrés à 4 sans lit, sans eau, sans w.-c. »

Un soir, alors que je quittais le boulot, j’ai fait savoir à mes collègues que je me rendais quelques minutes à une manifestation. L’esprit était bon enfant : nous chantions, dansions et crions quelques slogans pour faire valoir la démocratie. Très vite, des cris dans la foule : « La Brav-M arrive, fuyez, ils nous chargent. » Le cortège a pris peur, les gens ont commencé à courir dans des rues adjacentes. Je me suis dirigé, sans doute, vers la mauvaise rue. La Brav-M nous encercle et commence à nous charger. Par instinct de survie, j’essaie de fuir dans ce moment si effrayant de brutalité. Un Brav-M me frappe au visage et j’ai peur pour mes lunettes : je m’incline les mains en l’air. Ils nous demandent de nous mettre au sol près d’un mur. Nous sommes 70. Pendant plusieurs minutes les insultent sont gratuites et nombreuses, des gens pleurent de douleur ou de peur. Nous sommes fouillés un à un puis envoyés en garde à vue.

Des gens pleurent de douleur ou de peur.

Là-bas, on ne nous dit pas grand-chose si ce n’est qu’on va rester là, pour un motif très flou de « regroupement en vue de commettre des violences ». J’ai le droit à un appel : je réveille mes parents (minuit déjà…) pour leur dire de prévenir mon patron le lendemain que je serai absent. S’ensuivent des heures interminables, dans une cellule de 4 m2 serrés à 4. Pas de lit, pas d’eau, pas de w.-c. : rien. Le temps est d’autant plus long qu’on entend quasi sans cesse les cris et les tapements des camarades qui demandent de l’eau ou bien d’aller se soulager. Dès 6 heures, je suis auditionné. Je pensais partir dès après. Pourtant, la police nous gardera jusqu’à 20 heures.

Les conditions de la GAV sont pires que celles de la prison, tant dans l’humiliation constante que dans le non-respect de la dignité humaine. Mais, surtout, savoir qu’on est ici, enfermés comme des rats alors que nous sommes dans le pays des droits de l’homme et que nous n’avons rien fait, c’est tout simplement horrible. Nous avons eu 24 heures de nos vies volées par le gouvernement pour nous intimider. Gérald Darmanin a transformé la GAV en peine pour intimider les manifestants. Nous sommes des centaines et nous alertons sur l’autoritarisme inquiétant que nous vivons !


Erwan

« On nous invite à faire nos besoins dans un trou situé au fond du bus. »

Lundi 20 mars, cortège Saint-Lazare-Opéra. Sur la fin du trajet, je me fais charger par la Brav-M. Fuyant, je prends une rue adjacente. En marchant pour retrouver le cortège, je croise d’autres groupes et nous sommes une centaine. Alors que nous marchons dans le calme et sans dégradation, les motos de la Brav-M se dirigent droit sur nous. Nous courons, mais rapidement ils nous encerclent et interpellent, nous projetant au sol. Immédiatement un climat de terreur s’installe. Nous sommes environ 70 interpellés et 50 transférés en bus au poste de police. Entassés, l’air manquait. Il faisait très chaud. L’attente et les arrêts étaient longs. Autour de 2 heures du matin, nous n’avons toujours aucune information. Nous n’avons plus d’eau et on nous invite à faire nos besoins dans un trou situé au fond du bus. Le bus repart, faisant un arrêt à Bobigny puis à Saint-Denis.

Un officier me confie qu’il s’oppose aux « rafles » de la Brav-M et à l’atteinte portée à nos droits.

J’arrive enfin à Nanterre à 4 heures du matin, soit 7 heures après mon arrestation. Après avoir eu la possibilité de demander à voir un médecin et un avocat, je suis fouillé puis placé en cellule. 5 heures du matin, je passe devant un officier, signe mon PV et donne des informations. Je suis ensuite transféré en cellule dans un nouveau commissariat. Je prends un petit-déjeuner. On prend une photo de moi et mon empreinte, et on me conduit devant un médecin. Mon avocat n’est pas joignable, je décide, n’ayant rien à me reprocher, de faire l’audition sans. J’expose les faits, nie ce qui m’est reproché et tout se déroule sans encombre. Quelques heures plus tard, un officier lève la GAV. Il me confie par la même occasion qu’il s’oppose aux « rafles » de la Brav-M et à l’atteinte portée à nos droits.


Adrien, 27 ans

« On m’a mis la pression afin que je donne ADN et empreinte. »

Je fais partie des 120 personnes arrêtées rue des Capucines le soir du 49.3. Après avoir été nassés pendant une heure, nous avons tous été arrêtés. Les gendarmes étaient perdus et ne savaient pas quoi inscrire sur les procès-verbaux d’interpellation. J’ai eu la possibilité d’appeler mon amie pour l’informer de ma situation. J’ai ensuite été embarqué dans un camion avec deux autres hommes. Nous entendions les policiers demander au téléphone où il restait de la place. Ils disaient que l’ordre du préfet était « d’arrêter tout le monde ». À mon arrivée dans le 15e, je suis reçu par un officier de police judiciaire qui me confie qu’il ne sait pas pourquoi on m’a arrêté.

Ils disaient que l’ordre du préfet était « d’arrêter tout le monde ».

Après que j’ai donné mon identité, on m’informe que j’ai été interpellé pour « groupement ». Après avoir donné le nom de l’avocat que je souhaitais voir, on a tenté de m’en dissuader : « T’es sûre que tu veux celui-là ? C’est un généraliste, ils ne sont pas très bons. » Vers une heure du matin, on m’a transféré au commissariat du 7e. On m’a demandé de me déshabiller, de retirer mes lacets et j’ai été placé en cellule. Nous avions un matelas pour cinq et c’est seulement au matin que les policiers nous ont donné des couvertures. À 8 heures, j’ai pu voir mon avocat et ai été auditionné à 14 heures On m’a mis la pression afin que je donne ADN et empreintes. Par peur des charges, j’ai accepté. Mon dossier a été classé sans suite, je suis sorti à 19 heures comme tous ceux qui étaient là avec moi.


Solène, 23 ans

« T’es une meuf de 20 ans, tu n’iras pas loin dans ta vie. »

Le jeudi 16 mars, j’ai manifesté contre l’utilisation du 49.3. En fin de soirée, j’ai rejoint un groupe qui partait en manifestation spontanée rue des Capucines. Très rapidement gazés, puis nassés, nous sommes restés par terre une heure. À 23 heures, nous avons tous été arrêtés. Presque 120 personnes d’un coup. Les charges sur les feuilles d’interpellation étaient distribuées au hasard. On m’a accusée d’être « organisatrice d’une manifestation non déclarée et de groupement en vue de commettre des violences ». J’ai été mise dans une cellule individuelle dans un fourgon. Nous étions 5 femmes et sommes allées dans le 12e. On m’a posé quelques questions puis on m’a refusé l’avocat que j’avais demandé à cause de « conflits d’intérêts ».

Les remarques sexistes se sont enchaînées.

En insistant, j’ai finalement réussi à l’obtenir mais mes amies ont eu un commis d’office. Ils ont pris mes empreintes puis j’ai été auditionnée. Ils ont aussi regardé mon téléphone, fouillé les contacts et regardé les photos. À partir de ce moment, j’ai souhaité garder le silence. Ils se sont alors mis à plusieurs sur moi, et les remarques sexistes se sont enchaînées : « ma cocotte », « t’es une meuf de 20 ans, tu n’iras pas loin dans ta vie », « t’es conne à ne pas parler, tu ne te rends pas compte de ce que tu risques ». Ça a duré une heure et ils ont vu que je ne lâchais pas sous la pression. J’ai signé mon procès-verbal puis j’ai été replacée en cellule pendant 2 heures. Je suis sortie le vendredi vers 17 heures avec un dossier classé sans suite.


Pierre, 19 ans, élève en terminale

« J’étais juste de la merde pour eux »

Je raccompagnais une amie à moi à République. Là, j’ai vu une manifestation sauvage partir. Moi je n’ai jamais manifesté, je suis allé voir par curiosité. Tout de suite, il y a eu une charge. J’ai couru dans une rue annexe pour rentrer chez moi car je n’avais rien à faire là. D’un coup, tout un escadron de la Brav-M s’arrête et descend de moto. Je prends peur et me mets à courir. Ils me rattrapent, et me plaquent au sol. Ils devaient être une dizaine sur moi. Au sol, je me suis fait frapper les jambes avec des matraques. Tous mes membres étaient écrasés par des policiers, je ne pouvais plus bouger. Ensuite, ils m’ont relevé. Ils me criaient dessus en me tutoyant et en me demandant : « Pourquoi tu manifestes ? » Quand je leur ai dit que je ne manifestais pas, ce qui était la réalité, je me suis fait baffer deux fois. Ce n’était visiblement pas la réponse qu’ils voulaient. Puis ils m’ont fouillé. Ils ont jeté toutes mes affaires par terre. Ce n’était que des affaires de cours, je sortais de révision car je passais le bac le lendemain. L’échange était très agressif, on m’a dit qu’au moindre faux mouvement je me ferai frapper.

Tous mes membres étaient écrasés par des policiers, je ne pouvais plus bouger.

Pendant les deux heures où on a attendu le camion pour être embarqués, c’était tentative d’intimidation sur tentative d’intimidation. Il y en avait un qui n’arrêtait pas de mettre la main sur son pistolet. Je me suis fait insulter à plusieurs reprises de « fils de pute », et de « pédé ». Au commissariat, ils étaient plus gentils, j’ai fait ce qu’ils m’ont demandé, prises d’empreintes digitales, déverrouillage de mon téléphone… Ils m’ont laissé sortir le lendemain, libre, deux heures avant mon épreuve du bac. Le lycée avait appelé pour dire que j’avais une épreuve à 14 heures. Autant vous dire qu’après une nuit en garde à vue, ça ne s’est pas très bien passé. Les quelques jours après mon interpellation, c’était un peu la panique dès que j’entendais une sirène. Mais la peur a laissé place à la colère. Je n’ai pas envie de me laisser faire, je ne trouve pas ça normal. L’interpellation, la manière donc ça s’est passé, le manque d’humanité, c’était assez aberrant, j’étais juste de la merde pour eux. C’est révoltant que les personnes censées nous protéger agissent comme ça. On ne peut plus leur faire confiance.


Ivan, 22 ans, comédien et maître-nageur

« Si tu baisses tes mains, je t’assomme. »

Ça s’est passé le samedi 18 mars, dans les ruelles proches de la place de la Contrescarpe, à Paris. On était une cinquantaine. Beaucoup de jeunes, dont des mineurs. On voulait aller jusqu’au Panthéon, mais les Brav-M nous ont surpris. Ils étaient très nombreux, au moins 70. Moi, j’étais plutôt à l’arrière du « cortège ». Je m’assurais que les plus jeunes ne soient pas rattrapés par les policiers. Et puis j’ai eu peur. Ils étaient trop proches de moi pour que je parte en courant, donc j’ai voulu me cacher derrière une poubelle. Un policier m’a vu et m’a tiré par les cheveux. Il devait faire 20 centimètres de plus que moi. Un grand gaillard parce que je mesure plus de 1,80 mètre. Il m’a poussé suffisamment fort pour que je fasse un bond de 2 mètres. J’ai atterri contre une grille. J’avais super mal au dos mais j’ai décidé de lever les mains pour signifier que j’étais inoffensif. De fait, je n’avais balancé aucune poubelle ni allumé aucun feu. Il s’est accroupi à côté de moi et a sorti sa matraque télescopique. Il m’a dit : « T’as pas intérêt à baisser les mains, sinon je t’assomme. T’as entendu ? Je t’assomme. » J’ai dû rejoindre les autres manifestants, une vingtaine alignés contre un mur. Tous les camions de police étaient garés le long du trottoir. Selon moi, c’était pour éviter qu’on soit photographiés. On s’est tous fait embarquer un par un.

Si on laisse faire, et qu’on ne dit rien, c’est la porte ouverte à bien pire dans notre pays.

J’ai fini au commissariat du 15e arrondissement. Dans une cellule où je n’ai pas pu manger ni avoir de matelas, jusqu’à ce qu’un autre gardé à vue me prête le sien. J’étais avec un éboueur qui a été interpellé sur son lieu de travail et avec un autre homme qui a été nassé alors qu’il rentrait d’une soirée chez un ami. En audience, on m’a dit que j’étais suspecté de participer à une manifestation dans le but de commettre des actes de dégradation ou de violence. Ce n’est pas vrai. Je suis ressorti le lendemain, 21 heures après mon interpellation. Pour l’instant, je n’ai toujours pas reçu de contravention. Deux semaines plus tard, je dois dire que ma détermination à participer au mouvement social n’a pas été égratignée. Au contraire, ce qui m’est arrivé a redoublé ma volonté de ne rien lâcher. Parce que si on laisse faire, et qu’on ne dit rien, c’est la porte ouverte à bien pire dans notre pays.

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