JO 2024 : des travailleurs gratuits au prétexte de l’olympisme

L’organisation des Jeux olympiques recrute actuellement 45 000 volontaires pour organiser un des plus gros événements sportifs de la planète. Des personnes non rémunérées, aux missions qui pourraient relever du travail dissimulé.

Pierre Jequier-Zalc  • 26 avril 2023 abonné·es
JO 2024 : des travailleurs gratuits au prétexte de l’olympisme
Les allusions aux JO se multiplient dans les mobilisations contre la réforme des retraites.
© Claire Serie / Hans Lucas /AFP.

Une armée de bénévoles. Au nombre de 45 000, ils formeront la future plaque tournante d’un des plus gros événements sportifs de la planète : les Jeux olympiques et paralympiques (JOP), qui se tiendront à Paris, à l’été 2024.

Accueil et orientation des spectateurs à l’intérieur comme à l’extérieur des sites olympiques, traitement des demandes d’accréditation ou encore aide linguistique : la diversité des missions exposées dans la charte du volontariat, le document qui liste « les droits, devoirs et conditions d’exercice applicables aux volontaires bénévoles », illustre à quel point cette armée constituera un rouage essentiel de la bonne tenue des JO. Et leur vitrine.

« Ce sont ces personnes qui vont créer l’atmosphère des Jeux. Des bénévoles avec le sourire qui n’ont pas d’autres motivations que de faire briller les Jeux », explique Alexandre Morenon-Condé, directeur délégué aux opérations ressources humaines, chargé du programme des volontaires au Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop).

À tel point que la légitimité de leur statut de bénévoles commence à poser de plus en plus question. Pour le justifier, le Cojop s’appuie sur la tradition de l’olympisme. Car, à l’origine, les Jeux olympiques cherchent à valoriser le sport amateur, et ne conçoivent donc pas de rémunération. Mais ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui, tous les sportifs professionnels pouvant désormais participer aux JO.

Pourtant, c’est derrière cet argument que se retranche, par exemple, Olivier Dussopt pour justifier ce recours industriel au bénévolat. Dans un « guide pratique », le ministre du Travail écrit : « Que serait le sport sans les bénévoles qui, tous les jours, assurent la gestion des clubs sportifs, la collecte des cotisations, la tenue des feuilles de match, l’organisation des déplacements, l’animation des entraînements ainsi que de la vie du club et le calendrier des rencontres ? » Une confusion évidente entre le sport amateur et professionnel. Surtout quand on sait que l’organisation des JO coûtera, a minima, 4,4 milliards d’euros et bénéficiera de nombreuses dérogations fiscales.

« Vivre les Jeux de l’intérieur »

Mais cette professionnalisation des olympiades n’a pas affecté le statut de bénévole, tous les pays organisateurs des dernières éditions estivales l’ayant utilisé sans scrupule. « C’est un argument classique pour recourir massivement au bénévolat », souffle un inspecteur du travail spécialiste du travail dissimulé qui tient à rester anonyme. « Quand on va sur des domaines où il existe un rapport passionnel, comme dans le sport, les cadenas de vigilance sur le droit du travail n’existent plus. »

Dans les domaines avec un rapport passionnel, comme dans le sport, les cadenas de vigilance sur le droit du travail n’existent plus.

De son côté, le Cojop présente le statut ainsi, sans emphase : « Être volontaire des Jeux de Paris 2024, c’est l’opportunité d’une vie : devenir le visage des Jeux et vivre de l’intérieur les premiers Jeux d’été organisés en France depuis un siècle. » « De l’intérieur », cet élément de langage est largement repris pour attirer les milliers de bénévoles requis. L’expression, délibérément floue, entretient l’espoir d’être au plus près de l’évènement sportif.

Sauf que l’organisation des JO semble avoir une vision très élargie de « l’intérieur » de la compétition. Il faut d’ailleurs fouiller dans la « foire aux questions » des volontaires pour que cela soit écrit noir sur blanc. À l’interrogation « Vais-je pouvoir assister à des compétitions en tant que volontaire ? », les organisateurs répondent : « Tu as l’opportunité de vivre les Jeux de l’intérieur. Il s’agira d’une expérience complètement différente de celle vécue par les spectateurs. Pour assister à la compétition, le meilleur moyen est de se procurer un billet dans les gradins » (sic).

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En effet, près de deux tiers des missions n’ont rien à voir avec la performance sportive. Elles résident plutôt dans l’accueil et l’orientation sur les nœuds géographiques (gares, aéroports) et à l’entrée des sites, ou encore dans l’installation de dispositifs de communication. « J’ai été volontaire aux JO 2004, à Athènes. J’orientais et accueillais les véhicules sur les sites de handball. Je peux vous dire que j’ai vraiment vécu ces Jeux de l’intérieur lorsque j’étais à l’extérieur du site. Ce n’est pas un élément de langage, on en est intimement convaincu », répond Alexandre Morenon-Condé.

Dans la charte citée plus haut, on apprend aussi que la durée maximale de ces « missions » sera de… 48 heures par semaine ! Soit le temps maximum de travail hebdomadaire fixé par la loi pour un salarié à temps plein. Le tout sans prendre en charge l’hébergement et les déplacements, en dehors du « réseau public local ». « Ce n’est pas d’usage de payer les frais d’hébergement », répond simplement l’organisation.

La présomption de salariat est totale.

Pour plusieurs associations et collectifs de militants, comme Saccage 2024 ou Youth for Climate Île-de-France, ces « missions » ressemblent étrangement à du travail. « Les “volontaires” seraient donc à la disposition du Cojop, exécuteraient leur prestation en se conformant à des directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles : la présomption de salariat est totale », dénoncent-ils dans une tribune publiée sur Basta !. « Outre les volontaires, on a aussi plein d’emplois à pourvoir, avec des secteurs en pénurie comme la sécurité privée, donc il y a plein d’opportunités », rappelle Alexandre Morenon-Condé.

La bénédiction de l’administration

Du côté de l’inspection du travail aussi, on s’interroge sur la conformité de ce statut. « Il y a un principe général en droit du travail : la volonté des parties n’implique pas la qualification juridique », souligne Thomas Dessalles, inspecteur du travail et responsable syndical de la CGT-TEFP. Autrement dit, le fait qu’un volontaire s’engage en sachant que son activité sera bénévole ne change rien à la réalité juridique du statut.

« C’est le même mécanisme que lorsqu’on contrôle Deliveroo », embraie Simon Picou, inspecteur du travail en Seine-Saint-Denis et également responsable syndical de la CGT-TEFP. « Il y a une apparence d’autoentreprenariat, mais avec un faisceau de preuves on arrive à démontrer que c’est du salariat. On pourrait faire cela avec les bénévoles des Jeux olympiques. »

« Pourrait », car leur hiérarchie, que ce soit le ministère du Travail ou la direction générale du Travail (DGT), ne semble pas très encline à ce type de procédure. Le guide évoqué plus haut en est la plus limpide illustration. Dans celui-ci, « la DGT offre ses services et ses bons conseils pour permettre l’utilisation massive de bénévoles au cours des JO de 2024 », critique un communiqué de la CGT-TEFP. « Selon la DGT et sans aucun fondement juridique, la liste des missions pouvant être confiées aux bénévoles est impressionnante […]. C’est une véritable présomption de non-salariat que la DGT tente d’imposer de manière totalement illégale, au bénéfice notamment du Cojop », poursuit la communication.

La liste des missions pouvant être confiées aux bénévoles est impressionnante.

En effet, si ce « guide pratique » n’a aucune valeur juridique, il constitue une forme de « droit mou ». Car ainsi, « l’employeur pourra se prévaloir de sa bonne foi et neutraliser les contrôles de l’inspection du travail et les suites pénales en matière de travail dissimulé », note la CGT-TEFP. « Ils ne se doutent pas qu’on peut contrôler un événement comme ça. Pourtant, en ayant regardé le sujet, je ne pense pas que ce soit très dur de qualifier l’infraction pour travail dissimulé », assure l’inspecteur cité précédemment.

« Au nom de la réussite de l’événement, j’ai l’impression qu’on s’assoit complètement sur les droits des salariés », poursuit Simon Picou, critiquant aussi l’autorisation élargie du travail dominical pendant la période des Jeux olympiques. « On a construit cette charte avec tous les acteurs pour bien veiller à en exclure des missions où il pourrait y avoir un risque de requalification », assure de son côté l’organisation.

Exploités et fliqués

Outre les procédures de l’inspection du travail, un autre recours juridique existe pour contester ce statut de bénévole : celui des prud’hommes. Des volontaires jugeant qu’ils devraient être considérés comme des salariés pourraient en effet lancer des procédures devant cette juridiction. Avec l’objectif que leur contrat de bénévolat soit requalifié en contrat de travail. « Si plusieurs d’entre eux s’organisent pour attaquer l’organisation, ça peut bien les embêter », juge Thomas Dessalles. Un bénévole de l’Euro 2016 de football avait obtenu la requalification de son contrat en contrat de travail après avoir attaqué la Fédération française de football (FFF) aux prud’hommes.

Depuis quelques jours, plusieurs collectifs invitent d’ailleurs à une forme de sabotage du recours aux bénévoles. « Nous appelons donc toute personne à candidater, puis au choix : ne pas s’y rendre, faire grève en demandant d’être rémunéré·es, aller ensemble aux prud’hommes, bloquer les Jeux olympiques et paralympiques en travaillant trop lentement », peut-on lire dans la tribune citée plus haut.

Des mots d’ordre qui ont beaucoup circulé sur les réseaux sociaux ces derniers jours, notamment dans le cadre de la lutte contre la réforme des retraites. Le hashtag #PasDeRetraitPasDeJO a ainsi été largement relayé. « On a travaillé avec tous les acteurs concernés sur un cadre légal. À partir du moment où on le respecte, on n’est pas du tout inquiet sur les démarches individuelles », assure l’organisation.

Des démarches individuelles ou un sabotage massif ? À voir. Tous les candidats au volontariat seront soumis à une enquête administrative assez poussée et triés sur le volet en cas de « risque » repéré par l’administration. Exploité, et fliqué, donc.

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