Un 1er Mai comme une démonstration de force

Depuis la décision du Conseil constitutionnel, l’intersyndicale a donné rendez-vous pour une journée internationale des travailleurs et travailleuses qui s’annonce déjà comme historique.

Pierre Jequier-Zalc  • 26 avril 2023 abonné·es
Un 1er Mai comme une démonstration de force
Une « casserolade » le 24 avril 2023, à Paris, le soir du premier anniversaire de la réélection d'Emmanuel Macron.
© Lily Chavance.

« Populaire », « massif », « exceptionnel », « historique », « faire une démonstration de force » : ces derniers jours, les adjectifs hyperboliques ne manquent pas dans les différents communiqués syndicaux. Et pour cause, tous préparent depuis maintenant deux semaines la future journée de mobilisation intersyndicale : le 1er Mai.

Une date toute symbolique pour les organisations syndicales, qui intervient 18 jours après la dernière journée de grèves et de manifestations interprofessionnelles du 13 avril. Un laps de temps assez long pour permettre à tout le monde de reprendre des forces, après trois mois rythmés par des mobilisations presque chaque semaine.

Je ne pense pas que les gens soient démobilisés.

« On voit clairement qu’il y a de la fatigue », reconnaissait lors de la dernière manifestation Laurent Berger, leader, pour encore quelques mois, de la CFDT. « On observe, comme vous, que les cortèges sont moins fournis. Mais je ne pense pas que ce soit parce que les gens sont démobilisés. Mais parce que ces journées répétées pèsent sur les salaires. »

Le pouvoir d’achat, une préoccupation permanente de l’intersyndicale dans la construction de sa stratégie depuis le début du mouvement social. Une attention qui a notamment freiné les organisations de salariés dans le fait d’appeler à des grèves reconductibles plus dures.

Affiche 1er mai 2023

Dans cette optique, le 1er Mai, un jour férié, mettant à l’honneur le droit des travailleurs et des travailleuses, apparaît comme la date idéale. « L’idée, c’est que cette journée ne pèsera pas sur les salaires. C’est pour cela que ce 1er Mai est l’occasion d’investir massivement les rues », poursuit Laurent Berger.

Si aucun leader syndicaliste ne se risque à pronostiquer l’affluence de cette future journée, plusieurs espèrent, en off, atteindre, voire dépasser, les scores des 31 janvier et 7 mars derniers. Ces jours-là, entre 1,2 et 3,5 millions de personnes avaient déferlé dans les rues de l’Hexagone pour dire non à la réforme des retraites. Un record depuis des décennies.

Pour atteindre cet objectif ambitieux, alors que la réforme a été promulguée il y a deux semaines, les syndicats poursuivent sur la stratégie qui les a portés jusqu’ici : celle de l’unité. En effet, pour la première fois depuis plus de dix ans, tous défileront derrière une banderole commune pour la fête du Travail.

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« Habituellement, les derniers 1er Mai, nous n’étions que Solidaires, la CGT et la FSU sur la banderole commune », rappelle Simon Duteil, codélégué général de l’union syndicale Solidaires. « Être tous ensemble cette année, c’est un message envoyé pour montrer que l’unité de la lutte continue. C’est un symbole avant tout, mais c’est aussi un moyen de donner de l’énergie et de l’espoir et d’éviter de se disperser », souligne-t-il. « Pour cette journée, on a tous à faire un pas de côté sur ce qui peut nous diviser pour montrer la dignité du monde du travail et en faire une fête collective », abonde Laurent Berger.

Être tous ensemble cette année, c’est un message envoyé pour montrer que l’unité de la lutte continue.

En plus de cette unité nationale, des syndicats d’autres pays sont attendus dans les cortèges – notamment parisien. Une présence traditionnelle qui sera sans doute accrue du fait du contexte social. « De très nombreux syndicats étrangers viendront du monde entier pour montrer leur solidarité, leur soutien vis-à-vis de la mobilisation contre la réforme des retraites », a ainsi assuré la nouvelle secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, sur le plateau de BFMTV. « À Solidaires, on est dans le réseau international de solidarité et de luttes. Et il va y avoir des délégations de nombreux syndicats qui vont venir nous soutenir », confirme Simon Duteil.

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Surtout, pour réussir ce 1er Mai, les organisations syndicales comptent bien s’appuyer sur une colère qui ne ­redescend pas depuis la promulgation de la réforme, dans la nuit du 14 au 15 avril. Depuis, tous les déplacements du chef de l’État ou de ses ministres sont accompagnés de manifestations, de concerts de casseroles, d’actions coups de poing ou de coupures d’électricité.

Comme lors du déplacement d’Emmanuel Macron dans l’Hérault, le 21 avril. Le collège qu’il devait visiter a été « mis en sobriété énergétique », pour reprendre les termes des syndicalistes cégétistes à l’origine des coupures. Devant, plusieurs centaines de personnes s’étaient rassemblées pour un concert de casseroles.

Casseroles Macron anniversaire second quinquennat
Une « casserolade » le soir du 24 avril 2023, à Paris, devant l’Hôtel de ville, le soir du premier anniversaire de la réélection d’Emmanuel Macron.
Un comité d’opposants à la réforme des retraites attend bruyamment Pap Ndiaye, ministre de l’Éducation, gare de Lyon à Paris, le 24 avril 2023. (Photo : Lily Chavance.)

Concert plus ou moins évité par les gendarmes qui ont confisqué tous les « dispositifs sonores portatifs », pour citer l’arrêté publié par la préfecture de l’Hérault les interdisant. « On voit bien que le mouvement social n’est pas terminé. Désormais, toutes les apparitions publiques seront ramenées aux retraites. Le gouvernement ne peut pas tourner la page », observe Simon Duteil.

Le « délai de décence » de la CFDT

Cette stratégie est redoutablement efficace. En premier lieu, elle entrave réellement les visites des ministres – certains ont même préféré annuler des déplacements quand d’autres voyages ont été écourtés. Surtout, elle permet de maintenir la réforme des retraites au cœur de l’actualité alors que le gouvernement se démène pour passer à autre chose. Au point qu’on a du mal à voir comment ce 1er Mai pourrait ne pas être une « démonstration de force », avec ou sans casseroles.

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Plus que le succès ou non du 1er Mai, la question qui demeure en suspens est celle de l’après. Car il semble peu probable que cette seule journée de manifestations, aussi massive soit-elle, fasse reculer un exécutif intransigeant face au mouvement social qui dure depuis plus de trois mois.

Le 3 mai, le Conseil constitutionnel tranchera sur la deuxième proposition de référendum d’initiative partagée. S’il venait à l’accepter, la suite, pour les organisations syndicales, serait toute trouvée : réussir à recueillir les 4,8 millions de signatures nécessaires.

Le match n’est pas fini. Je vous le répète, on prend les choses étape après étape.

Si les « sages » la refusent, la tâche deviendrait plus ardue. Les syndicats ont déjà annoncé qu’ils contesteraient auprès du Conseil d’État les décrets d’application de la réforme. Mais l’avenir du mouvement social semblerait un peu bouché, en tout cas dans sa forme telle qu’on l’a connue durant ces trois mois. La CFDT a indiqué qu’elle n’irait pas rencontrer Emmanuel Macron pour parler d’autre chose que de la réforme au moins jusqu’au 1er Mai, respectant un « délai de décence ».

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Retournera-t-elle à la table des négociations ? « Ça fait trois mois que vous voulez écrire que c’est la fin de quelque chose. Le match n’est pas fini. Je vous le répète, on prend les choses étape après étape », souffle Laurent Berger. « Le 1er Mai, ce n’est pas un baroud d’honneur », abonde de son côté Simon Duteil. Tous espèrent que la « démonstration de force » sera tellement « populaire », « massive », « exceptionnelle » et « historique » qu’elle fera bouger l’exécutif, enfin.

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