En Grèce, l’emprise du système Mitsotákis

Le Premier ministre a mis en place un réseau de contrôle absolu des médias, de l’économie et des ministères sans équivalent dans l’histoire du pays. Même fragilisé, il peut envisager sa réélection le 21 mai.

Angélique Kourounis  • 17 mai 2023 abonné·es
En Grèce, l’emprise du système Mitsotákis
Kyriákos Mitsotákis a verrouillé tous les corps intermédiaires, empêchant le moindre contre-pouvoir de s’exprimer.
© Nicolas Economou / NurPhoto / AFP

Il ne lui aura fallu que deux jours, après sa victoire aux législatives du 7 juillet 2019, pour prendre officiellement le contrôle de la télévision et de l’agence de presse nationales, ainsi que des services secrets du pays, l’EYP. Les premiers pas de ce qui est dénoncé, quatre ans plus tard, comme le « système Mitsotákis ». Un réseau de contrôle absolu de l’écrasante majorité des médias, de l’économie, des ministères, doublé d’interventions directes dans le cours de la justice.

C’est le fameux « épiteliko kratos ». Une formule tirée du langage militaire, qui signifierait « état-major gouvernemental ». Mise en avant comme une vertu par le candidat Kyriákos Mitsotákis, en 2019, cette formule sert depuis de justification à toute dérive sectaire du Premier ministre, et comme fil rouge de son programme électoral pour les législatives de ce 21 mai.

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« Tout ce que nous avons connu dans le passé est de l’amateurisme en comparaison, souligne, désabusé, le critique littéraire Manolis Piblis. Mitsotákis a créé au sein de son cabinet des structures qui ont le contrôle des ministères. Leurs titulaires, nommés en fonction des équilibres politiques, sont doublés de vice-ministres ou de secrétaires généraux, souvent des proches, qui ont parfois plus de pouvoir qu’eux, et qui, plutôt que de les seconder, rendent compte directement au Premier ministre. » Une analyse que rejette Ilias Kanellis, du journal progouvernemental Ta Nea : « Il ne s’agit guère plus que d’une unité de coordination et visant l’efficacité pour s’affranchir des problèmes bureaucratiques. »

« Pire et plus à droite qu’Orbán »

L’avis du septuagénaire Georgios Kyrtsos, eurodéputé de droite libérale et vieux loup de la politique grecque, s’appuie sur son expérience de conseiller de Konstantinos Mitsotákis, Premier ministre dans les années 1990 et père de l’actuel Premier ministre. « Pour moi qui l’ai vu se construire de l’intérieur du parti conservateur, il ne s’agit pas d’un système, comme l’estime la gauche, mais bel et bien d’un régime Mitsotákis. »

Les cadres et les député·es du parti conservateur Nouvelle Démocratie de Kyriákos Mitsotákis sont au garde-à-vous, par crainte de suivre le même chemin que sept d’entre eux, récemment poussés vers la sortie après un désaccord avec le Premier ministre. Dont Georgios Kyrtsos, exclu en février 2022 à la suite de son coup de gueule contre les violations de la liberté de la presse dans le pays. «Mitsotákis est pire et plus à droite qu’Orbán [le premier ministre hongrois, NDLR] dans ce domaine », avait-il tweeté.

ZOOM : Mitsotakis en tête, mais minoritaire

Les Grecs vont élire à la proportionnelle, ce 21 mai, 300 députés choisis parmi les 36 partis en lice, dont cinq d’extrême droite. Pour la première fois le Conseil constitutionnel a statué sur le fond pour barrer la route au parti Les Grecs, fondé par l’ancien porte-parole du parti néonazi Aube dorée, condamné le 7 octobre 2020 pour avoir dirigé et appartenu à une « organisation criminelle ».

Ce verdict historique a envoyé en prison l’ensemble du groupe parlementaire d’Aube dorée. Pourtant les sondages créditent encore l’extrême droite, tous partis confondus, de 5 à 7 % des voix. Estimés à 37 %, les conservateurs de Nouvelle Démocratie (Mitsotakis) sont loin de la majorité absolue, alors que le Premier ministre sortant rejette toute alliance avec l’extrême droite.

À gauche, la gauche radicale de Syriza (25,7 %), les socialistes du Pasok (7 %), les communistes du PC (6,3 %) et le parti de Varoufakis, l’ancien ministre des Finances de Syriza (3,2 %) écartent toute alliance entre eux. L’inconnue demeure les indécis, estimés à plus de 10 %. Aussi, un second tour à la majorité simple semble probable, le 2 juillet, pour dégager une majorité. 

Les faits le confirment : la Grèce est bien loin derrière la Hongrie dans le classement mondial de la liberté de la presse. La distribution de celle-ci est monopolisée par un proche du clan Mitsotákis, qui, lui, contrôle les six canaux de télévision du pays, faiseuse d’opinion. Et en juillet 2022 a éclaté l’affaire des écoutes téléphoniques.

Plusieurs journalistes, des militaires haut gradés, des eurodéputés dont Georgios Kyrtsos, le chef du Parti socialiste Níkos Androulákis, des ministres en exercice et des membres influents du monde des affaires étaient depuis plusieurs mois sur écoute de l’EYP, dirigé par Panagiotis Kontoleon, homme lige que Kyriákos Mitsotákis avait fait nommer à ce poste bien qu’il n’en eût pas les compétences. L’affaire avait provoqué le limogeage des fusibles : Panagiotis Kontoleon ainsi que Grigoris Dimitriadis, chef du cabinet (et neveu) du Premier ministre.

Aris Hatzistefanou, cinéaste et auteur du best-seller Propagande et désinformation, analyse cette dérive. « Mitsotákis agit simultanément sur trois niveaux dans le but de contrôler totalement la parole publique : prise de contrôle de la télévision, de l’agence de presse nationale et de l’EYP, qui a mis sur écoute un nombre encore inconnu de personnes. Sous prétexte de campagnes de lutte contre le covid, il a distribué des subventions aux médias progouvernementaux, les autres ont été écartés ou n’ont reçu que des miettes. Enfin, il a payé des conseils en communication pour soigner son image hors de Grèce. Ce plan était préparé avant même son arrivée au pouvoir. »

Ce plan était préparé avant même son arrivée au pouvoir.

En septembre 2022, le site Reporters United publiait une enquête prouvant que 1 million d’euros avaient été versés à la société Edelman, spécialisée dans la communication. En février dernier, le site de droite Capital.gr révélait que la dette de Nouvelle Démocratie envers les banques et l’État avait explosé sous le mandat de Mitsotákis (toujours à la tête du parti), culminant à 400 millions d’euros.

Antisémites au gouvernement

Ces informations n’ont jamais été démenties à ce jour. Et sans fausse honte, le vice-président du parti et ministre des Investissements, Adonis Georgiadis, a demandé l’annulation d’une partie au moins de cette dette, alors même que des centaines de foyers perdent leur résidence principale en raison de leur endettement auprès des banques. Rien d’étonnant pour Aris Hatzistephanou : «L’un des leviers de l’arsenal Mitsotákis pour s’assurer les alliances nécessaires à son maintien au pouvoir est l’exonération des dettes que les grands consortiums médiatiques ont accumulées auprès du secteur public. »

Sinistre personnage que cet Adonis Georgiadis, antisémite notoire. Alors député, il « vendait » à la télévision des ouvrages vantant la supériorité de « l’ethnie grecque ». Nommé au gouvernement, il a dû faire amende honorable auprès de la communauté juive du pays, très inquiète. Deux autres ministres sont dans la même mouvance.

Makis Boridis, à l’Intérieur, est un ami personnel de Jean-Marie Le Pen. Et Athanasios Plevris, à la Santé, est un révisionniste repenti. En 2019, il avait appelé à envoyer des armes létales aux frontières pour stopper les migrants ou à expédier ceux qui en avaient réchappé sur des îles désertes pour les décourager. Il est entré au gouvernement lors du remaniement d’août 2021.

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«Mitsotákis avait pourtant le choix, il existe des cadres très valables à Nouvelle Démocratie, lâche un diplomate sous couvert d’anonymat. Cette nomination est un signe clair envoyé à ses électeurs d’extrême droite. » Un avis partagé par Dimitris Psaras, auteur du livre phare Une carrière. Le parcours politique de Kyriákos Mitsotákis et spécialiste de l’extrême droite. « Kyriákos Mitsotákis a pris la présidence de Nouvelle Démocratie en faisant alliance avec l’extrême droite du parti, dont Georgiadis, Boridis et Plevris sont les étendards. »

Et une fois que les élections ont été gagnées, il les a nommés à des postes clés. Anastassia Tsoukala, juriste et maîtresse de conférences à Paris-Saclay, estime que sa politique concernant les questions migratoires relève du même esprit sécuritaire : « La police est assurée d’une quasi-impunité, quelles que soient les bavures qu’elle commet.»

La dynastie des Mitsotákis n’est arrêtée par aucun contre-pouvoir solide.

La fragilisation grandissante de la démocratie grecque s’illustre aussi par la perméabilité entre les pouvoirs. Alexandros Sakelaridou, professeur à l’université Panteion à Athènes, en veut pour témoignage la lettre envoyée par le Premier ministre au juge d’instruction de la Cour suprême en charge de l’enquête sur le récent accident de train de Tembi.

«Il le prévenait qu’il avait nommé un comité d’experts pour enquêter et qu’il aurait à en tenir compte. C’est une violation flagrante de la séparation des pouvoirs ! s’étrangle ce sociologue. Et plus grave encore, il n’y a personne pour s’en étonner. La Grèce subit depuis des décennies le phénomène des dynasties politiques, mais le problème actuel, c’est que celle des Mitsotákis n’est arrêtée par aucun contre-pouvoir solide. »

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