Trois victoires pour les libertés fondamentales

Depuis la mi-avril, le Groupe d’action juridique anti-arrêtés préfectoraux a déposé plusieurs dizaines de référés d’urgence devant les tribunaux administratifs. Retour sur des succès notables.

Nadia Sweeny  • 24 mai 2023
Partager :
Trois victoires pour les libertés fondamentales
Manifestation du 1er Mai à Paris, en 2023.
© Lily Chavance

Paris : L’atteinte à la liberté de manifester et au droit à un recours effectif

Au lendemain de l’annonce du 49.3, le 17 mars, imposant sans vote des députés la réforme des retraites, la préfecture de police a publié chaque soir, pendant une quinzaine de jours, des arrêtés interdisant les rassemblements sur des périmètres extrêmement larges. Chaque jour, l’équipe du Groupe d’action juridique anti-arrêtés préfectoraux (Gajaap) dépose un référé d’urgence que le juge administratif doit retoquer au motif qu’il est trop tard pour statuer. La stratégie est d’accumuler ces décisions qui prouvent, à l’occasion d’un référé déposé le 31 mars, les effets de cette méthode préfectorale : le juge administratif ne peut que constater qu’il n’a pas réussi à se prononcer, faute de temps.

Le samedi 1er avril, le groupe arrive finalement à « attraper » l’arrêté d’interdiction de manifester qui s’applique le soir même. La réponse du tribunal est sans appel : la préfecture a porté « une atteinte manifestement illégale à la liberté de manifester ». L’arrêté est suspendu. Trois jours plus tard, le 4 avril, le tribunal administratif rend sa décision sur les méthodes du préfet et constate qu’il a porté « une atteinte grave et manifestement illégale au droit à un recours juridictionnel effectif ». Il est sommé de publier ses arrêtés « dans un délai permettant un accès utile au juge des référés ».

Orléans : L’interdiction de détourner la loi antiterroriste

Après l’échec du référé contre le préfet de l’Hérault, faute de temps, le Gajaap parvient à « attraper » celui de la préfecture du Loir-et-Cher qui utilise les mêmes dispositions de la loi antiterroriste (Silt) pour imposer un périmètre de sécurité à l’occasion de la visite du président de la République. Alors même qu’aucune menace terroriste n’est identifiée. Saisi par le Gajaap, le tribunal administratif d’Orléans a estimé, le 25 avril, qu’« un déplacement du président de la République ne saurait être regardé comme justifiant à lui seul, par sa nature, l’instauration d’un périmètre de sécurité ». La préfecture a « porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir ».

Une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir.

Le même jour, le ministère de l’Intérieur, par la voix de Pascale Léglise, directrice des libertés publiques et des affaires juridiques, s’est fendu d’un mail à l’ensemble des préfets dénonçant un « détournement de procédure » : « Je vous remercie donc de bien vouloir prendre en compte cette alerte pour éviter de nouvelles suspensions », ajoute-t-elle. Une diligence qui ne semble pas avoir été demandée en matière de pratique de publication tardive, pourtant également fustigée par les tribunaux administratifs. Dans la foulée, le préfet du Doubs a retiré de lui-même son arrêté utilisant le même cadre en prévision de la visite présidentielle de célébration du 175e anniversaire de l’abolition de l’esclavage.

Lille : L’interdiction du fichage des manifestants par le parquet

Pour une fois, ce n’est pas la préfecture qui est en cause, mais le parquet de Lille, qui a créé un fichier Excel nommé « Suivi des procédures pénales : mouvement de la réforme des retraites », où sont listées les identités des personnes placées en garde à vue dans le cadre des manifestations contre la réforme gouvernementale. Révélé par Mediapart le 5 mai, ce fichier a fait l’objet d’un référé-suspension par le Gajaap. À l’audience, lundi 15 mai, le ministère de la Justice a tenté de justifier cette pratique, qualifiée de « commune », par les possibilités légales du fichier Cassiopée – logiciel de suivi pénal. Or celui-ci ne permet ni un listing en fonction d’un événement particulier, ni le fichage des gardés à vue mais des prévenus – soit les personnes poursuivies.

Dans le cadre du dernier mouvement social, la majorité des gardés à vue sont sortis sans poursuites. Dans son ordonnance du 19 mai, le tribunal administratif considère que ce fichier a porté une atteinte «grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée ». Il ordonne « l’effacement des données » mais aussi le placement sous séquestre d’un exemplaire, auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). Toute personne peut ainsi demander à la Cnil si elle figure dans le fichier et, le cas échéant, déposer plainte.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Soutenez Politis, faites un don !

Envie de soutenir le journal autrement qu’en vous abonnant ? Faites un don et déduisez-le de vos impôts ! Même quelques euros font la différence. Chaque soutien à la presse indépendante a du sens.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Loi de programmation militaire : l’enjeu de l’Europe
Défense 5 juin 2023

Loi de programmation militaire : l’enjeu de l’Europe

Mardi 6 juin, l’Assemblée nationale votera la Loi de programmation militaire, après 2 semaines de débats. Malgré un consensus rare sur l’essentiel du contenu de la loi, l’opposition et les experts dénoncent un manque sur l’implication de l’Europe et de son rôle dans la défense nationale.
Par Clémentine Mariuzzo
Verbalisations sans contrôle à Dijon : le procureur botte en touche
Justice 2 juin 2023

Verbalisations sans contrôle à Dijon : le procureur botte en touche

Une trentaine de personnes ont reçu des amendes et des courriers suite à des casserolades à Dijon, sans que quiconque n’ait été verbalisé ou contrôlé sur place. Comment ces personnes ont-elles pu être identifiées ? Interrogé par Politis, le procureur de Dijon botte en touche.
Par Pierre Jequier-Zalc
Blocage de l’AG de Total : deux militantes déposent plainte pour violence policière
Répression 30 mai 2023

Blocage de l’AG de Total : deux militantes déposent plainte pour violence policière

Suite à la répression policière du blocage de l’assemblée générale de Total vendredi 26 mai, deux militantes d’Alternatiba Paris ont saisi l’IGPN ce lundi. L’avocate des cinq gardés à vue après l’action dénonce également la répression judiciaire des activistes.
Par Rose-Amélie Bécel
À Dijon, des amendes pour casserolades qui interrogent et inquiètent
Répression 30 mai 2023

À Dijon, des amendes pour casserolades qui interrogent et inquiètent

Une trentaine de personnes ont reçu des amendes et courriers suite à des casserolades à Dijon, interdites par la préfecture. Problème : quasiment aucune n’a été verbalisée ni même contrôlée lors de ces rassemblements, ce qui questionne les méthodes policières d’identification.
Par Nadia Sweeny