L’extractivisme à la française

La dissolution des Soulèvements de la Terre démontre l’incapacité des gouvernements à comprendre qu’il est des moments vitaux où la situation oblige à une action personnelle et directe.

Jérôme Gleizes  • 28 juin 2023
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L’extractivisme à la française
Graffiti de rue, à Paris, juin 2023.
© Guillaume Deleurence

L’eau n’est pas un bien ordinaire en abondance qui pourrait être stocké et exploité comme n’importe quelle marchandise. L’eau opère un cycle fermé. Elle s’évapore dans l’atmosphère, se condense dans des nuages, et enfin retombe sur le sol sous forme de précipitations. Ces eaux pluviales vont alimenter par infiltration les nappes phréatiques souterraines ou ruisseler pour recharger les cours d’eau. Ce cycle de l’eau est perturbé par le dérèglement climatique. Les cultures doivent s’adapter au nouveau climat. La mégabassine repose sur un ancien modèle productiviste qui incite à des cultures intensives et ne tient pas compte de l’augmentation de l’évaporation avec la hausse des températures.

La dissolution des Soulèvements de la Terre démontre une nouvelle fois l’incapacité des gouvernements à comprendre qu’il est des moments vitaux où la situation oblige à une action personnelle et directe. Elle peut être légale ou illégale, violente ou non. Les Soulèvements de la Terre défendent à la fois des recours au tribunal administratif et des blocages de chantiers, la désobéissance civile et la destruction de canalisations. Cette action est vitale au sens littéral du terme et le mouvement contre les bassines relève des luttes contre l’extractivisme, ce mode particulier d’accumulation de richesses, extrayant d’importantes quantités de ressources naturelles, ici de l’eau, et générant d’importantes inégalités du fait de l’accaparement privé de la ressource. 

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Le changement climatique en cours provoque une modification du cycle de l’eau. Celle-ci, autrefois abondante dans la région du Poitou, est aujourd’hui en train de se raréfier. Les productions agricoles intensives comme le maïs, qui consomment de très grandes quantités d’eau, excluent toutes celles qui n’y ont pas accès. Tout comme les tenants de l’action directe luttaient aux XIXe et XXe siècles contre l’exploitation qui mettait leurs vies en danger, ceux d’aujourd’hui se battent pour la ressource vitale qu’est l’eau.

La protection d’un bien commun ne peut pas être sacrifiée au profit de celle de biens privés.

Tout comme il y a un siècle, les États alimentent la confusion entre les différentes mobilisations. Aujourd’hui, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, emploie les mêmes termes d’(éco-)terrorisme à propos de la dégradation d’une banque ou du blocage d’un chantier. Au-delà de la question politique de la nature et de l’efficacité des actions, il faut insister sur l’essence profonde de la lutte. Il faut sortir des logiques capitalistes d’exploitation des ressources, qu’elles soient humaines ou naturelles, pour aborder une analyse systémique et métabolique. Nicholas Georgescu-Roegen a été le premier à synthétiser cette problématique au travers du concept de bioéconomie et de décroissance. La protection d’un bien commun ne peut pas être sacrifiée au profit de celle de biens privés. L’usage de la violence légitime de l’État ne peut pas protéger des biens particuliers au détriment de la collectivité. La nécessité fait loi et nous devons nous soulever contre tous les extractivismes pour vivre et faire émerger un modèle productif alternatif. 

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