Comment (véritablement) taxer les riches

Des économistes proposent des solutions simples et efficaces pour réinstaurer un système fiscal fondé sur la progressivité.

Pierre Jequier-Zalc  • 23 août 2023 abonné·es
Comment (véritablement) taxer les riches
© Guillaume Deleurence

« Le taux optimal d’imposition des plus riches est tout simplement celui qui maximise les recettes fiscales. Cet objectif ne fait pas particulièrement controverse parmi les économistes. Intuitivement, il correspond à l’idée qu’un dollar supplémentaire a plus de valeur dans les mains d’une personne aux ressources modestes que dans les mains de Bill Gates. » Dans leur livre Le Triomphe de l’injustice (Seuil, 2020), les deux prestigieux économistes Emmanuel Saez et Gabriel Zucman dressent un constat imparable : taxer les riches permettrait d’aider les plus démunis, notamment via la redistribution au travers de l’éducation et de la santé.

Mais malgré ce relatif consensus scientifique, le pouvoir actuel s’entête à refuser toute forme de taxation des plus hauts revenus. Les arguments utilisés sont toujours les mêmes : cela nuirait à la santé économique du pays et, surtout, les riches ont assez d’outils à leur disposition pour soit s’expatrier, soit évader fiscalement leur revenu. Cette idée est devenue le paradigme dominant vis-à-vis de la fiscalité des plus aisés : à quoi bon mettre des mesures en place s’ils trouvent des moyens d’y échapper ?Pourtant, loin d’être une fatalité, cet argumentaire est largement réfutable. Pour cela, il faut en revanche penser des modifications en profondeur de notre système fiscal – national, mais aussi international. « Augmenter les taux supérieurs d’impôt sur le revenu sans rien changer d’autre à la réglementation fiscale ou à la politique de recouvrement actuelle serait une mauvaise idée », écrivent les deux auteurs précédemment cités.

Le Triomphe de l'injustice Richesse, évasion fiscale et démocratie Emmanuel Saez Gabriel Zucman

Plusieurs chantiers apparaissent donc prioritaires. En premier lieu, rétablir un impôt sur le revenu (IR) réellement progressif. Arrêter – ou, a minima, réguler – le mécanisme de subvention au réinvestissement dans son entreprise pourrait être une première étape. Pour cela, la taxation des entreprises filiales – les holdings –, comme c’est déjà le cas aux États-Unis, pourrait être une option. Intégrer les revenus du capital dans l’IR en serait une autre, pour éviter la faiblesse et la non-progressivité de la flat tax. Bien sûr, tout cela doit être conditionné à une lutte acharnée contre la fraude fiscale. « L’évasion fiscale peut être considérablement réduite en mettant en œuvre des politiques publiques appropriées », assurent Emmanuel Saez et Gabriel Zucman.

Choix politique

Enfin, mettre en place un impôt sur la fortune réellement efficace viendrait compléter ces premières mesures. Car « un système fiscal moderne et progressif comporte trois ingrédients indispensables et complémentaires : un impôt sur le revenu, un impôt sur les sociétés (intégré à l’impôt sur le revenu) et un impôt progressif sur la fortune », rappellent les deux économistes. Il s’agit d’instaurer une taxe progressive sur les très hauts patrimoines – Zucman parle des personnes détenant plus de 20 millions d’euros – en prenant le soin d’éviter toute niche fiscale. Pour l’économiste français, cette mesure rapporterait entre 20 et 30 milliards d’euros par an. Plus que le déficit annoncé du système des retraites, par exemple.

« C’est une folie, tous les riches partiraient ! », pourraient, face à une telle réforme, s’exclamer de nombreuses personnes. Pourtant, une mesure élémentaire permettrait d’éviter ce phénomène. « Le plus simple consisterait à dire que, lorsque l’on a été résident fiscal français pendant plusieurs décennies, vous continuez à payer des impôts en France, même lorsque vous vous expatriez. Cela réduirait drastiquement l’exode. C’est une mesure que l’on peut faire. C’est un choix politique », explique Gabriel Zucman à Mediapart. Un choix que le gouvernement actuel a décidé de balayer. À quel prix ? 

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