Après Mahsa Amini, une colère flamboyante
Des artistes et des personnes du monde du spectacle se sont mobilisées pour produire cinq clips mêlant musique et poésie, en soutien à la révolte des femmes iraniennes déclenchée le 16 septembre 2022.
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La scène est noyée dans un clair-obscur plein de gravité, pourtant aspiré vers le haut par un arc d’étroites fenêtres lumineuses, couleur bleu sans nuage. Le violoncelle de Sonia Wieder-Atherton gémit, profond et résolu. Soutenu par le piano de Shani Diluka, l’archet glisse avec effort comme les eaux d’un fleuve volontaire contre l’adversité des rives. Il se dilue dans la mélancolie pour libérer une brève élévation en persan, lourde de tendresse douloureuse, suspendue au vibrato d’Anousha Nazari. « Je caresse tes cheveux… »
« Muhayat » (Tes cheveux) est l’acte IV de Mèches de feu, une série de cinq clips vidéo. Le compositeur classique iranien (1) a ramassé en quelques phrases des poèmes de ses compatriotes Ramtin Dari et Garous Abdolmalekian, dont la comédienne Julie Gayet déploie la version française dans un solo sobre. La salle de cinéma où est projetée l’avant-première retient son souffle. L’œuvre sera diffusée sur les réseaux sociaux à partir du 16 septembre, date anniversaire de la mort de Mahsa Jina Amini. La jeune étudiante d’origine kurde est décédée à la suite de son interpellation violente par la police des mœurs, dans une rue de Téhéran, pour « port de vêtements inappropriés ». Elle aurait laissé voir des mèches de cheveux, contrevenant à l’obligation imposée aux femmes par les ayatollahs, depuis la Révolution islamique de 1979, de voiler leur tête en public. Dans les heures qui ont suivi, et pendant des mois, la colère des Iraniennes a enflammé les rues du pays.
« Des années durant, comme un fleuve ralenti par d’étroites courbes, vous avanciez silencieusement, doutant des plaines sans élan, déclame Julie Gayet. Et aujourd’hui, ce fleuve longtemps sous un épais voile ressurgit plus fort qu’une rivière gorgée de remous. Il renaît, de son lit, d’abondants cheveux qui se traînent dans les rues. Les mots, restés enfouis sous les crânes, s’affranchissent des têtes et se frayent un chemin. […] Je caresse tes cheveux et laisse mes mains se noyer dans leurs vagues. » Sous-titres en persan, car il s’agit bien, dans la tête de l’équipe qui a conçu cette œuvre, que Mèches de feu se faufile jusqu’en Iran, en dépit du contrôle des autorités sur les communications.
Pour Anousha Nazari, cette chevelure caressée, c’est celle de toutes les femmes iraniennes. « Chaque acte de résistance est une déclaration de courage de leur part. Et la voix est l’un des moyens les plus puissants pour en amplifier la portée. » La jeune mezzo-soprano iranienne fait le choix de quitter son pays pour la France en 2016 afin d’étudier le chant lyrique et de le pratiquer en soliste, ce qui est interdit aux femmes en Iran. « Je chante pour toutes celles qui ne peuvent pas le faire là-bas. » Le poète Ramtin Dari, lui aussi exilé (2), a vu sa vie bouleversée depuis un an.
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