Rachel, une militante de choix

Engagée dans les actions menées par Dernière Rénovation pour exiger des pouvoirs publics la réfection énergétique des bâtiments, la jeune femme a pris l’option radicale de la résistance civile.

Vanina Delmas  • 6 septembre 2023
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Rachel, une militante de choix
Rachel, lors d'une opération de blocage du pont de Saint-Cloud, le 26 novembre 2022.
© Fanny M.

Rachel ne passe pas inaperçue devant le tribunal correctionnel de Tours. Avec son large sourire, ses cheveux orange et sa fougue qui la pousse à prendre dans ses bras celles et ceux venu·es la soutenir, elle détonne. De la joie et de l’enthousiasme communicatifs, quelques heures seulement avant de se retrouver face à une juge avec quatre autres militant·es de Dernière Rénovation (DR). Leur crime : avoir recouvert de peinture orange la façade et la grille de la préfecture d’Indre-et-Loire en mars 2023 pour dénoncer l’inaction climatique du gouvernement. Autour d’elle, les « Ça va ? » interrogatifs et bienveillants fusent, immédiatement suivis d’un : « C’est vrai que tu es habituée ! » Car, à 21 ans, la Rouennaise a déjà l’expérience des gardes à vue, des déferrements devant les juges et de quatre procès. « Dautres enquêtes sont en cours, je suis aussi dans ­lattente dautres convocations au tribunal dans le cadre dordonnances pénales. On le sait, nous sommes de dangereux écoterroristes ! » ironise Rachel.

Dernière Rénovation préfecture Tours
Action contre la préfecture de Tours, le 22 mars 2023. (Photo : Dernière Rénovation.)

Ce jour-là, face à la présidente du tribunal, la jeune femme arbore le même tee-shirt blanc que le jour de l’action. Sur celui-ci, des inscriptions au feutre noir qui interpellent la juge et le procureur : côté dos, « Résister est vital » ; côté face « We have 735 days left », en référence au nombre de jours qu’il reste avant le point de bascule lié au changement climatique. Rachel n’est pas dans la provocation gratuite, mais sait qu’elle doit à tout prix faire passer son message. Sa dialectique est implacable, rodée, clamée d’une voix claire, assurée, et sans aucune note.

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Quand elle énumère les chiffres clés extraits des rapports du Giec sur le climat, des études de la Fondation Abbé-Pierre sur le coût de la rénovation thermique, ou du projet de loi de finances, elle semble incollable, intarissable, invincible. « La question aujourdhui, madame la présidente, est de savoir de quel côté de lhistoire on veut être. Cest fou que des personnes qui réclament seulement la fin des passoires thermiques se retrouvent dans un tribunal ! Jai fait le choix de la résistance civile et je continuerai tant que ce sera utile », assène la récidiviste. Quasiment une plaidoirie. « Les procès, ça la transcende un peu. Comme si ce nétait pas son procès, mais celui de la crise climatique », glisse son amie Manon, elle aussi militante de DR.

J’ai fait le choix de la résistance civile et je continuerai tant que ce sera utile.

Rachel a grandi sur la rive gauche de Rouen, dans une famille de profs  ses parents et ses grands-parents  qui parlaient volontiers de politique et de sociologie à table, construisant pas à pas son esprit critique. Elle repense à sa grand-mère végétarienne qui lui donnait des cours de cuisine végé et bio, car « cest important de faire attention à ce quon met dans son corps et dans lenvironnement », la même aïeule qui affichait un tract « Osez Bové ! » sur son frigo. Elle raconte son enfance parsemée d’expéditions en forêt ou à la mare près de chez elle et les heures passées à observer « les petites bêtes » à la loupe. Et sa première action de blocage de route, à 8 ans, pour ­sauver les grenouilles en obligeant les voitures à ralentir. « Avec ma copine, nous voulions installer des dos-d’âne mais, comme cétait trop compliqué pour des gamines, on a décidé de les faire avec notre corps en sallongeant par terre. » Prémonitoire. « Tout ça, cest un peu lécologie bien-pensante en mode “ll faut sauver la planète” », se moque-t-elle gentiment.

« Pas le temps pour la révolution »

Pour Rachel, la convergence des luttes est naturelle : l’écologie ne peut pas être déliée du social, les migrations et le climat sont deux urgences de même ampleur, et être anticapitaliste est indispensable pour faire ces liens. Il faut dire que son déclic personnel pour prendre conscience de la crise globale actuelle coche toutes les cases : il s’agit de l’incendie de l’usine Lubrizol en 2019. Elle garde en mémoire le « gros nuage noir au-dessus de Rouen », les élèves de retour au lycée deux jours plus tard, qui vomissaient à cause de l’odeur nauséabonde, des « trucs multicolores » qui flottaient sur la Seine et des gouttes de pluie « aux couleurs chelou » qui retombaient dans les champs.

À 17 ans, elle constate l’inertie, voire l’inaction des pouvoirs publics. « J’ai compris que la santé et la vie des citoyens et citoyennes ne sont pas leur priorité, c’est scandaleux ! » s’indigne-t-elle encore aujourd’hui. Son CV de militante s’étoffe depuis cinq ans : en 2018, Rachel participe aux grèves et aux marches pour le climat avec« la sensation dassister à un tournant » ; en 2019, elle manifeste pendant le mouvement contre la réforme des retraites ; en 2021, elle se présente aux élections départementales sur la liste de La France insoumise au Petit-Quevilly. Des actions légitimes et légales, qui sont de belles ripostes aux juges qui ne cessent de lui demander ce qu’elle a fait avant d’arriver à l’illégalité.

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La jeune femme a tout de même goûté à la désobéissance civile au sein d’Extinction Rebellion, puis tombe sur les actions« déter et stylées » des Italiens d’Ultima Generazione qui lui font découvrir le Réseau A22 et la campagne française Dernière Rénovation. Depuis sa première action,« un blocage classique de périph’ »,elle s’est notamment collé la main à l’asphalte et a recouvert de peinture orange la sculpture de Charles Ray intitulée Horse and Rider, située sur le parvis de la Bourse du commerce dans le premier arrondissement de Paris. De la « résistance civile », selon le jargon de DR, mais au service d’une lutte réformiste.

Dernière rénovation Rachel
Rachel (à droite), lors de l’action à la Bourse du commerce, à Paris, en novembre 2022. (Photo : Dernière Rénovation.)

« On na pas le temps pour la révolution, même si je suis convaincue que c’est ce quil faudrait pour changer le système sur le long terme. Cest pour cette raison que jai choisi de mengager à Dernière Rénovation : demander un plan et des financements à la hauteur pour la rénovation des bâtiments est quand même la réforme la plus consensuelle quon puisse faire ! » s’exclame Rachel, ponctuant son monologue d’un rire sonore et spontané.

Deux piliers : l’audace politisée et la pédagogie

Rachel est une radicale dans le vrai sens du terme, qui a beaucoup lu et connaît les racines des problèmes contre lesquels elle lutte. Mais elle ne colle pas au stéréotype de la militante intolérante. Ce matin-là, son envie de chocolat chaud réconfortant est plus forte que ses habitudes de végane. Sur l’écologie, elle comprend que tout le monde ne passe pas son temps libre à lire les rapports du Giec, que certains refusent de penser quotidiennement à « cette réalité anxiogène » et préfèrent profiter des moments de joie avec leur famille et leurs amis. Rachel mise sur l’audace politisée et la pédagogie pour convaincre partout, tout le temps, que ce soit à la table de ses grands-parents ou sur le plateau de « Touche pas à mon poste », face à un Cyril Hanouna « insupportable et vraiment sexiste ». Son amie Manon se souvient de ce soir de 2022, en pleine Coupe du monde de football au Qatar. « Spontanément, nous avons décidé d’écrire ”6 500 ouvriers morts au Qatar“ sur notre front et d’entrer dans des bars qui diffusaient le match ! Finalement, on a débattu avec des gens toute la nuit ! »

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Pour Rachel, l’action et le dialogue sont ses deux jambes pour agir, sans fébrilité ni naïveté. Elle a fait l’expérience de la répression policière lors des actions, des jeux malsains des policiers pour effrayer les parents des militants arrêtés, des gardes à vue dans des cellules insalubres, des situations où elle a dû faire des pieds et des mains juste pour qu’on l’emmène aux toilettes. « Et encore, je suis blanche, je parle français et je suis briefée, donc je n’ai pas à me plaindre. Mais je ne souhaite ça à personne ». Lutter dans un mouvement anticarcéral pourrait la tenter. Rachel confie à demi-mot avoir un peu souffert d’écoanxiété et beaucoup du Fomo (fear of missing out, « peur de rater quelque chose »). Des maux de son époque, de sa génération. L’avenir ? Elle ne sait pas, n’y pense pas. Ou ne veut pas y penser.

À une époque pas si lointaine, son destin de bonne élève semblait tout tracé, elle s’imaginait parfois professeure d’histoire. Mais elle refuse de tenter Sciences Po et renonce aux longues études malgré un bac mention très bien en poche pour se consacrer au militantisme. Aujourd’hui, elle s’investit à temps plein dans l’équipe permanente de Dernière Rénovation, par choix et un peu par contrainte. Sa condamnation à deux mois de prison avec sursis lors d’un précédent procès l’empêche de continuer son service civique en tant qu’animatrice au sein de l’association normande Des camps sur la comète. « J’organisais des camps nature, je faisais de l’éducation populaire, de la pédagogie sur l’écologie. Un alignement parfait avec toutes mes convictions », glisse-t-elle. Mais pas de temps ni de place pour les regrets : il reste moins de six cents jours avant le point de bascule climatique.

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