Les écolos, une menace pour l’État de droit ?

Pourquoi, alors que l’histoire leur a donné raison et qu’ils veulent préserver notre planète des périls du réchauffement climatique et de l’hyperactivité humaine, les écologistes sont-ils pris pour cible de la répression et présentés comme de dangereux ennemis par nos dirigeants ?

Vanina Delmas  • 5 avril 2023
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Les écolos, une menace pour l’État de droit ?
Manifestation à Sainte-Soline, le 25 mars.
© Thierry Olivier / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP.

« Les Soulèvements de la Terre, par leur inventivité, leur niveau d’organisation, leur force d’influence, leur capacité à mobiliser et à donner un retentissement national et médiatique aux luttes locales auxquelles ils s’associent, apparaissent aujourd’hui comme un acteur majeur de la contestation écologique radicale. »

Cette phrase n’est pas la biographie officielle du mouvement écologiste qui a organisé la mobilisation contre les mégabassines dans les Deux-Sèvres. Elle est extraite du rapport du service central du renseignement territorial qui a fuité sur le site Lundi matin. Les Soulèvements de la Terre y sont également présentés comme « un mouvement qui a su incarner le concept de transversalité des luttes » et qui « a ingénieusement convaincu des militants habituellement adeptes d’actions de désobéissance civile à basculer vers la “résistance civile” ».

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Autant de qualificatifs qui suffisent à certains pour apposer le sceau d’« écoterroristes » sur cette coalition regroupant des dizaines de collectifs locaux, des sections syndicales, des ONG, dont le collectif Bassines non merci et la Confédération paysanne.

Le 28 mars, lors de la séance de questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, Gérald Darmanin a franchi ce cap en annonçant leur prochaine dissolution : « Violences répétées, attaques contre les forces de l’ordre, appels à l’insurrection. Les Soulèvements de la Terre ont encore montré à Sainte-Soline la menace qu’ils représentent », a-t-il déclaré, en référence à la manifestation du 25 mars qui s’est transformée en affrontements violents entre quelques manifestants et les forces de l’ordre.

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Le ministre de l’Intérieur les a dans son viseur depuis quelques mois et avait déjà dégainé le mot d’écoterrorisme en octobre 2022, lors d’une précédente manifestation. Une surenchère verbale qui laisse entendre que les écologistes sont considérés comme une menace pour l’État de droit.

Criminaliser les écologistes

Pour Albin Wagener, socio-écolinguiste à l’université Rennes-II et à l’Inalco, les choix de communication du ministre traduisent clairement une volonté d’imposer une réponse sécuritaire et de criminaliser les écologistes. « En utilisant les termes “insurrection” ou “écoterroriste” – même si ce dernier n’a pas vraiment de fondement en France –, Gérald Darmanin crée un imaginaire pour les stigmatiser, les faire passer pour dangereux, et cela fonctionne car il l’impose avec toute sa légitimité de ministre. Il veut montrer qu’il est dans le camp de la raison tandis que les écolos appartiennent au camp de l’affect, de l’émotion pure, de la rage, où rien n’est contrôlé », plaide-t-il.

En utilisant les termes “insurrection” ou “écoterroriste” Gérald Darmanin crée un imaginaire pour stigmatiser.

« Ils caricaturent le mouvement pour le marginaliser et mettent en lumière seulement les affrontements et les violences pour éviter de parler du sujet de fond, qui est l’accaparement des ressources en eau par le modèle agricole. Cette répression est au service d’une politique gouvernementale basée sur le déni de l’urgence climatique. »

Pour Sylvie Ollitrault, directrice de recherche au CNRS et spécialiste des mouvements écologistes, la séquence autour de la mobilisation contre les mégabassines ne marque pas de rupture particulière au niveau de la répression mais, selon elle, le curseur s’est déplacé du côté des écologistes et de leurs soutiens.

« Je constate de nouveaux soutiens du côté politique – des drapeaux du NPA étaient visibles à Sainte-Soline – ou du côté des associations environnementales qui misent habituellement sur la concertation avec les politiques publiques plutôt que sur la désobéissance civile, précise-t-elle. Ces formes de solidarité envers les militants qui prennent des risques dans ces manifestations donnent une tonalité plus radicale et montre que l’écologie peut être un objet qui fédère. »

La répression envers les défenseurs de l’environnement n’est pas une nouveauté. Que ce soit les antinucléaires entrant sur les sites des centrales, les faucheurs volontaires d’OGM ou les créateurs de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, ils ont toujours été vus comme des perturbateurs de l’ordre établi, les politiques et les intellectuels conservateurs les pointant comme des menaces.

Dans les années 1970-80, les écologistes passaient pour des irrationnels, notamment à propos du nucléaire.

« Dans les années 1970-1980, les écologistes passaient régulièrement pour des irrationnels, notamment à propos du nucléaire : l’État les faisait passer pour des personnes refusant le progrès et répétait un discours rassurant sur la maîtrise des technologies. Les militants écologistes se sont donc attelés à mettre en avant leur expertise, le sérieux de leurs analyses plutôt que les inquiétudes individuelles, explique Alexis Vrignon, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université d’Orléans, et coauteur d’Une histoire des luttes pour l’environnement (Textuel, 2021). Depuis le milieu des années 2010, les militants s’autorisent davantage à exprimer leur désarroi et considèrent que l’expertise ne sera pas suffisante pour se faire entendre des pouvoirs publics. » Il constate une autre évolution : des actions plus offensives dans l’espace public, menées par une partie de la mouvance écolo.

La perception et la gestion du mouvement écologiste ont connu un tournant à partir de 2015. Le gouvernement de François Hollande a utilisé l’état d’urgence, déclaré à la suite des attentats contre Charlie Hebdo et du 13-Novembre, pour interdire des manifestations, ordonner des perquisitions chez les militants écologistes et assigner à résidence certains d’entre eux.

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Puis il y a eu la répression des militants contre le grand contournement ouest de Strasbourg, ceux de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes en 2018, sans oublier la criminalisation au long cours des opposants au projet d’enfouissement des déchets nucléaires Cigéo à Bure, qui a conduit à un procès aussi hors norme qu’ubuesque en juin 2021.

« Respect de l’ordre républicain »

Le ministre de l’Intérieur actuel ne fait que suivre la dérive autoritaire déjà en marche. « Gérald Darmanin n’a pas besoin des Soulèvements de la Terre pour enclencher son système de répression envers les écologistes. Cela s’inscrit dans un processus long qui a été marqué ces dernières années par la création de la cellule de gendarmerie Déméter, mais aussi par le contrat d’engagement républicain mis en place début 2022 par la loi dite “séparatisme”, qui contraint la liberté associative et cible en particulier les associations environnementales », détaille Antoine Gatet, juriste et vice-président de France nature environnement (FNE).

 Les atteintes à la démocratie environnementale se multiplient.

Cette dernière mesure oblige les associations qui sollicitent un agrément ou un soutien de l’État à se soumettre « au respect de l’ordre républicain ». Elle a ouvert la voie à de nombreuses interprétations et dérives. Ainsi, le préfet de la Vienne, Jean-Marie Girier – ancien chef de cabinet de Gérard Collomb à l’Intérieur et très proche d’Emmanuel Macron –, a-t-il demandé l’arrêt des subventions de la municipalité de Poitiers au Village des alternatives organisé par Alternatiba, sous prétexte que les ateliers de désobéissance civile étaient jugés incompatibles avec le contrat d’engagement républicain signé entre l’association et les collectivités.

France nature environnement n’a pas appelé au soutien des Soulèvements de la Terre après la dernière manifestation à Sainte-Soline, du fait de ses modes d’action. Les militants de ce réseau sont encore profondément marqués par la mort de Rémi Fraisse, provoquée par une grenade policière lors d’une manifestation contre le barrage de Sivens (Tarn), en 2014.

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Mais Antoine Gatet comprend l’émergence d’un tel mouvement : « Les atteintes à la démocratie environnementale se multiplient, que ce soit par le détricotage progressif du droit à l’environnement, ou en muselant et en réprimant les premiers acteurs de la protection environnementale, y compris des associations comme celles du réseau FNE qui utilisent le recours à l’État de droit et à la justice pour lutter contre les grands projets inutiles et imposés. »

« Ayatollahs verts »

Et cela ne risque pas de s’arranger avec la nouvelle cellule anti-ZAD mise en place au sein du ministère de l’Intérieur à partir de septembre 2023, qui serait composée de cinq juristes chargés d’accompagner les préfets afin d’éviter toute nouvelle zone à défendre, sur le plan du maintien de l’ordre, ou sur le plan juridique.

Les écologistes, à l’instar des lanceurs d’alerte, ont souvent eu le tort d’avoir eu raison avant tout le monde : sur le réchauffement climatique, les énergies fossiles, les modes de production et de consommation, la croissance à tout prix, la pénurie d’eau, la publicité, l’agriculture intensive, etc.

Quand on criminalise ses opposants politiques, c’est la démocratie qui vacille. 

À vouloir transformer en profondeur, si ce n’est radicalement, nos modèles économiques productivistes, ils sont rendus, ironie de l’histoire, responsables des dérèglements du monde. Et alors qu’ils n’ont jamais réellement accédé au pouvoir – ou seulement de manière minoritaire dans divers gouvernements –, ils sont accusés de tous les maux.

Au cours de la période récente, ils ont été qualifiés tantôt d’« utopistes », tantôt de « fous » – comme jadis on renvoyait à la folie et on persécutait des scientifiques parce qu’ils démontraient que la Terre était ronde –, pour finir dépeints en « ayatollahs verts ». Avec Darmanin, nous voici entrés dans une nouvelle ère. Celle de la criminalisation des écologistes. Et quand on criminalise ses opposants politiques, c’est la démocratie qui vacille. 

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Avec le soutien de Politis, le documentaire De l’eau jaillit le feu de Fabien Mazzocco (76 minutes, 2023, production Mauvaises Graines & Mona Lisa Production, sortie nationale le 31 mai 2023).

Dans le marais poitevin, des milliers de personnes sont aujourd’hui engagées dans une lutte contre un projet de mégabassines. Fabien Mazzocco a filmé ce territoire et ses habitants pendant 20 ans et documente comment une zone paisible est devenue l’épicentre d’une véritable guerre de l’eau.

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