Éco-anxiété : tempête dans les têtes

Alors que les limites planétaires sont franchies les unes après les autres, les populations, marquées par un été caniculaire, semblent elles aussi atteindre leurs limites émotionnelles.

Rose-Amélie Bécel  • 9 novembre 2022 abonné·es
Éco-anxiété : tempête dans les têtes
© Lors de la marche pour le climat, le 25 octobre 2022, à Paris. Les 18-30 ans sont d’abord animés par la colère. (Fiora Garenzi / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP.)

M i-février, j’ai craqué. Je ne sortais plus de chez moi, je n’en pouvais plus. Aujourd’hui, j’ai appris à vivre avec, mais les angoisses sont toujours là, comme une épée de Damoclès. » Robin, 22 ans, a mis plusieurs années à identifier les causes de la dépression qui l’a conduit à être hospitalisé cet été.

Parmi elles, l’éco-anxiété. « L’avenir me terrorise. Après chaque nouvelle catastrophe naturelle dans le monde, je me demande : à quand la prochaine ? C’est un sentiment d’angoisse, de fatalité, de paralysie qui m’empêche de vivre », explique l’étudiant en physique-chimie.

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À mesure que l’état de la planète se dégrade, l’angoisse des catastrophes environnementales à venir se double d’un sentiment de détresse face aux changements déjà en cours. Déforestation, incendies, disparition de glaciers… Cette perte de repères face à un environnement familier qui se dégrade à vue d’œil porte un nom : la solastalgie (1).

C’est un sentiment qu’a connu Marine, 36 ans, partie du Havre cet été pour des vacances dans la forêt de Paimpont, en Bretagne. « C’est une région que je connais bien, où j’ai l’habitude d’aller depuis que je suis petite. Mais là, sur la route, je n’ai rien reconnu. Les talus étaient jaunes et grillés, nous sommes passés par des coins incendiés, avec des arbres calcinés. Dans la forêt, les feuilles des arbres étaient tombées au sol et tout craquait quand on marchait. J’ai presque fondu en larmes. »

Angoisse, lassitude, colère

La médecin spécialiste en santé publique Alice Desbiolles est l’une des premières à avoir porté le terme d’éco-anxiété en France (2). Pour elle, « cela fait des décennies que des communautés sont atteintes par les changements de leur environnement. Mais, à partir de 2018, une série d’événements a fait émerger le terme dans le débat public français, notamment à la suite de la démission de Nicolas Hulot du ministère de la Transition écologique, qui a entraîné l’organisation de marches pour le climat ».

Cette inquiétude latente, réponse émotionnelle saine face aux menaces de destruction du monde qui nous entoure, n’a rien d’une maladie mentale. « Mais, à côté de ces émotions qui n’ont rien de pathologique, certaines personnes éprouvent de vrais symptômes tels que des troubles du sommeil, des épisodes de dépression, des troubles anxieux généralisés. »

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Les émotions éprouvées par les personnes souffrant d’éco-anxiété ou de solastalgie sont variées et souvent intenses. « Je ne suis pas anxieux mais plutôt dépité. Je suis conscient de l’état de la planète depuis des années et je vois bien que, collectivement, on n’en fait pas assez », explique Amine, doctorant en physique des particules.

Pour Mossane, étudiante en journalisme de 23 ans, l’angoisse cède la place au désespoir : « J’ai l’impression que, quoi que je fasse à mon échelle, ça ne changera rien face à la menace mortelle des canicules ou des inondations. Je remets souvent en question mes habitudes écolos : à quoi bon acheter des vêtements d’occasion et surveiller ce que je mange si les gouvernements et les industries ne font rien ? »

On nous demande de ne pas mettre de pièces jointes dans nos mails et à côté de ça on construit des stades de foot climatisés au Qatar !

Face à l’inaction des pouvoirs publics et d’une large partie du secteur privé, la colère n’est jamais

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Écologie
Publié dans le dossier
L'humanité dépasse les bornes
Temps de lecture : 11 minutes

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