Séisme au Maroc : à la rencontre des villages oubliés

Le 8 septembre, un séisme de magnitude 6,8 frappait le Maroc et particulièrement sa province d’Al-Haouz. Une semaine après, alors que les grandes villes rappellent déjà les touristes, certains petits villages reculés attendent toujours de l’aide.

Lily Chavance  • 20 septembre 2023 libéré
Séisme au Maroc : à la rencontre des villages oubliés
À Imouzzer Ida Outanane, les villageois ne peuvent compter que sur eux-mêmes.
© Stéphane Duprat

« Dans un séisme, il y a trois phases, explique Pierre Vermeren, historien spécialiste du Maghreb et des sociétés arabo-berbères. D’abord le déblaiement, puis le logement d’urgence et enfin la reconstruction. » Les petits villages traversent difficilement la première phase, quand Marrakech est déjà dans la troisième. «Dès le lendemain, la ville était déblayée», confie Ludo, propriétaire de chambres d’hôtes à Marrakech. Après deux années de covid suivies de la guerre en Ukraine, tout est mis en œuvre pour ramener les touristes.

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« Annulé, annulé, annulé… » Ce sont les mots de Ludo en montrant sur son carnet la liste de désistements de ses clients. Il fait face à 100 % d’annulations pour le mois de septembre. Une semaine après ce puissant tremblement de terre qui a causé la mort de plus de 2 900 personnes, les terrasses des restaurants sont vides, le souk, calme, et les jardins, déserts. « En écoutant les médias français, nous avons l’impression que Marrakech a été rasé», raconte Shana*, 71 ans, venue prêter main-forte lors d’une collecte de dons pour les villages. Lorsque le monde entier regarde ce petit tigre africain, la préoccupation première de la classe politique est de reconstruire la vitrine de ce pays meurtri et de rassurer les touristes. Les échafaudages se montent dans la ville, les matériaux commencent à être acheminés et les dégâts recensés.

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Les prénoms ont été changés

Mais sur la place des Ferblantiers, espace pittoresque du Mellah, quartier juif de Marrakech, certaines familles attendent d’être relogées. Saad* est assis sur le sol dans le petit carré d’ombre que produisent de vieux draps tendus au-dessus de lui. C’est désormais là qu’il habite avec sa femme et ses trois enfants. Leur immeuble s’est effondré, emportant deux voisines. « Nos maisons se sont toutes écroulées ou fissurées ici. C’est surtout les lieux touristiques, les hôtels et les riads qui ont tenu », déplore-t-il.

C’est surtout les lieux touristiques, les hôtels et les riads qui ont tenu.

Saad

Pierre Vermeren précise qu’«à l’arrivée de Mohammed VI sur le trône, Marrakech a été transformé progressivement en capitale touristique internationale ». Mohsine El Ahmadi, professeur de sociologie politique à Marrakech, revient sur le gouffre social qui en a résulté : « Le Maroc a développé son économie, c’est bien. Mais lorsqu’une partie de la population ne partage pas ce progrès et reste en dehors de toute nomenclature de l’État bienfaiteur, la fracture sociale est inévitable. » Et celle-ci s’est intensifiée. «Les bidonvilles des alentours de la ville ont été vidés et rasés. Leur population a été transférée dans des cités de “recasement” », raconte l’historien. Aujourd’hui, ces zones sont les plus touchées par le séisme. Et certains y attendent toujours de l’aide.

Pas considérés comme des sinistrés

En prenant la route depuis Marrakech, après avoir passé la palmeraie desséchée par le passage des quads, les hôtels construits en plein désert et les toiles de tente des propriétaires de chameaux, les premiers villages de province apparaissent. Construites avec un mélange de matériaux précaires – paille, bambou, terre, pierre ou chaux –, les maisons ont pour beaucoup subi d’importants dégâts. À 230 kilomètres de Marrakech, à proximité de la touristique « vallée du Paradis », se trouve la commune d’Imouzzer Ida Outanane. En dépit de son rattachement à la ville d’Agadir et ses 7 500 habitants, elle regorge de villages de tribus amazighes oubliées. Dans le douar de Targa, 42 familles vivent à l’année. La route d’accès est sinueuse, les éboulis qui la bloquaient ont été déblayés trois jours après la catastrophe. L’aide n’est toujours pas arrivée dans cette région. Ali a 65 ans, sa maison n’est plus habitable, les murs couverts de larges fissures menacent à tout instant de s’effondrer. Contraint de vivre avec d’autres familles sous une tente de fortune, il hésite à nous faire visiter son logement. «Je ne veux pas que ça s’effondre sur vous », souffle-t-il.

Maroc séisme
«Les populations qui vivent dans ces villages ne reçoivent des visites qu’au moment des campagnes électorales. Dès qu’il y a une majorité au Parlement, on leur tourne le dos. Elles sont une simple réserve de voix ». Mohsine El Ahmadi, professeur de sociologie politique à Marrakech. (Photo : Stéphane Duprat.)

Chaque région instaure ses propres critères de prise en compte des dégâts. Ali, sa femme Ija et leurs trois enfants ne sont pas considérés comme des sinistrés par la commune. « L’aide financière est accordée en cas de démolition totale ou partielle, pas pour les fissures », explique Berri, bénévole du Secours populaire français, arrivé sur place ce jour-là. La famille va devoir reconstruire son logement de ses propres mains et transformer ses terres agricoles. Ali nous emmène au bas du village, sur une petite parcelle où il a déraciné tous ses oliviers. «Nous devons venir ici désormais, déclare-t-il, c’est tout ce que nous avons. Mais ma femme ne veut pas laisser notre vache. » Resté au rez-de-chaussée de la maison, l’animal n’aura plus sa place sur ce petit terrain. Pour les familles des villages, depuis le séisme, les priorités sont triples. Sauver les habitants, les affaires et les animaux. Ce jour-là, Mohammed, président de l’association Forum des jeunes de Targa, est sollicité pour convaincre la femme d’Ali de se déplacer : «Elle ne veut pas abandonner ses bêtes, c’est tout ce qu’ils ont ici. Les animaux représentent leur bien le plus précieux. »

Ici, l’eau est arrivée depuis peu avec un puits que nous avons aidé à creuser.

Mohammed

Dans les villages du Moyen-Atlas, les traditions ancestrales sont ancrées et la vie très différente des villes touristiques alentour. « Ici, l’eau est arrivée depuis peu avec un puits que nous avons aidé à creuser. Et elle n’est pas dans toutes les maisons. La plupart des gens vont à la source à dos d’âne », explique Mohammed. L’électricité est rare, le confort rustique. Les maisons regroupent souvent plusieurs familles et les espaces de vie sont restreints. L’école du village n’a que deux classes et le collège est à treize kilomètres dans les montagnes. «Les populations qui vivent dans ces villages ne reçoivent des visites qu’au moment des campagnes électorales. Dès qu’il y a une majorité au Parlement, on leur tourne le dos. Elles sont une simple réserve de voix », assure Mohsine El Ahmadi.

Cultiver l’espoir

Plus haut, le village d’Imjad rassemble douze familles et est accessible uniquement en 4×4 par un chemin non asphalté. Les maisons sont toutes fissurées et très fragilisées. Après avoir colmaté les dégâts avec des restes de ciment, les familles se sont rassemblées dans les derniers espaces habitables et à l’extérieur. Devant les murs des maisons, dans des sacs, les affaires ont été rassemblées. Les pièces sont vides, les sols jonchés de poussière de débris et les murs blancs lézardés de profondes fissures. Mais l’espoir habite toujours les lieux. Les familles sont prêtes à repartir de zéro. Elles arborent de chaleureux sourires à l’arrivée de Mohammed et Berri, premiers aidants sur les lieux, et le thé est servi rapidement.

«Ces gens n’ont pas l’habitude de recevoir de l’aide, explique Mohammed. Ici, ils se rassemblent entre eux et font comme ils peuvent. » « Le problème, c’est qu’ils savent qu’ils ne vont pas obtenir de bons matériaux ou de l’argent pour la reconstruction», ajoute Berri. Dans chaque village, les travaux vont être entamés par les habitants eux-mêmes. Et avec les mêmes matériaux qu’antérieurement, la construction restera tout aussi fragile. Les travaux prendront des mois. Mbark, 30 ans, sourd et muet, pointe le ciel de ses doigts et nous indique l’arrivée des nuages de pluie. À cette saison, le froid arrive et les précipitations diluviennes s’annoncent. «Notre meilleure amie, la pluie, que nous attendons toute l’année, va rapidement devenir notre pire ennemie», se désole Mohammed. Alors qu’à Marrakech les touristes seront revenus et les bâtiments consolidés, les dernières maisons debout dans les villages du Moyen-Atlas partiront avec les coulées de boue. 

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