Tenir la ligne

Si l’on en croit le très droitier ministre de la Défense, ce serait pour lutter contre le terrorisme que nous, la France, avons déployé des troupes au Niger – comme dans nombre d’autres pays voisins. C’est très beau, mais c’est surtout très faux.

Sébastien Fontenelle  • 6 septembre 2023
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Tenir la ligne
Des partisans du Conseil national de sauvegarde de la patrie (CNSP) du Niger, manifestant devant la base aérienne du Niger et de la France à Niamey, le 30 août 2023 pour exiger le départ de l'armée française du Niger.
© AFP

L’autre jour, le très droitier ministre de la Défense d’Emmanuel Macron, Sébastien Lecornu, a déclaré dans le très droitier Figaro que, « au Niger, la France », dont nous sommes prié·es de comprendre qu’elle est gouvernée par des mecs dotés de couilles grosses comme des satellites de Jupiter, « ne se laissera pas impressionner » par la junte qui a récemment pris le pouvoir dans ce pays – et qui exige désormais le départ des troupes françaises stationnées dans sa capitale.

Car si « nous avons », nous, la France, « des soldats dans ce pays », ce n’est pas du tout parce que nous avons si mal digéré la décolonisation que nous continuons à considérer que nous avons tous les droits sur de larges pans du continent africain – allons, allons, qu’alliez-vous imaginer là – mais bien plutôt, soutient Sébastien Lecornu, « parce que, malheureusement, cette région du Sahel connaît une activité terroriste importante ».

Nous, la France, nous accommodons parfaitement du terrorisme lorsqu’il est pratiqué par de bons clients.

C’est donc pour lutter contre le terrorisme que nous avons déployé des troupes au Niger – comme dans nombre d’autres pays voisins – et que nous refusons, nonobstant l’insistance des autochtones, de les retirer de Niamey. Et c’est très beau – mais c’est très faux. Car, dans la réalité, nous, la France, nous accommodons parfaitement du terrorisme – que le dictionnaire définit comme l’« emploi systématique par un pouvoir ou par un gouvernement de mesures d’exception et/ou de la violence pour atteindre un but politique » – lorsqu’il est pratiqué par de bons clients.

Quand une coalition emmenée par un autocrate du Golfe martyrise le Yémen pendant près d’une décennie, précipitant ce pays dans la pire catastrophe humanitaire que le monde ait connue depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ; quand le même autocrate laisse (pour dire le moins) découper un opposant dans une capitale étrangère ; quand la justice de son pays ordonne l’exécution d’un retraité dont le seul « crime » est d’avoir dénoncé les exactions du régime, nous, la France, ne déployons pas du tout nos paras dans le Golfe pour lutter contre cette terreur. Mais il est vrai aussi qu’il serait tout à fait ruineux d’infliger à l’autocrate et à ses alliés, qui comptent parmi les plus fidèles acheteurs de notre industrie d’armement, les mêmes rudes leçons de maintien qu’à l’indigénat nigérien.


Post-scriptum. Il était attentif. Attentionné. Confiant. Curieux. Encourageant – et parfois dissuasif envers qui s’égarait dans de mauvaises directions ou se satisfaisait de trop de facilités. Érudit. Exigeant. (Très.) Il était présent et sensible au monde : à sa marche souvent difficile et à son devenir. Présent et sensible aux autres – ses auteurs et autrices, notamment. Il tenait la ligne dans une époque où cette forme très particulière de camaraderie, de droiture et de probité devient si rare. Le lundi 28 août 2023, François Gèze, éditeur, est décédé – et c’est d’une infinie tristesse. Politis lui rend hommage dans ce portrait, « François Gèze, l’anti-sectaire ».


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Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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