« Vous qui me parlez de vengeance, ayez honte ! »

Deux Israéliennes qui militent pour la paix racontent ce qu’elles éprouvent en ces jours tragiques, ne ménageant pas leurs critiques envers les dirigeants politiques du pays.

Politis  • 25 octobre 2023 abonné·es
« Vous qui me parlez de vengeance, ayez honte ! »
Un mur d'affiches identifiant les otages israéliens détenus depuis l'attaque du Hamas du 7 octobre,, à Tel Aviv, le 24 octobre 2023.
© AHMAD GHARABLI / AFP

Ori est une jeune fille de 19 ans, rescapée du kibboutz de Beeri, tout près de Gaza. Nous avons déjà évoqué son appel la semaine dernière. Mais nous pensons qu’il est important de le citer dans sa quasi-totalité. C’est évidemment une parole minoritaire où se mêlent colère et empathie.

« Le plus terrible, c’est quand je suis sortie de l’abri dans le noir et que j’ai vu la peur sur le visage de mes voisins, la peur et le désespoir sur les visages de gens que je connais depuis toujours. J’ai vu pleurer des gens avec qui j’ai grandi et qui essayaient de s’en sortir chacun à sa manière. Mais il y a quelque chose de très important à dire : ce qui est arrivé n’était pas nouveau, simplement plus terrible. Ne me parlez pas du “Dôme de fer” [système israélien de défense antimissile, NDLR], c’est un sparadrap ; ne nous parlez pas des soldats, c’est un sparadrap, c’est une honte, on se moque de nous. 

Ne me parlez pas de soldats ni de sécurité, parlez-moi d’une solution politique.

Citoyens d’Israël, politiciens, habitants de l’étranger, dites-moi comment je suis censée me lever le matin lorsque je sais qu’à quatre ­kilomètres et demi de mon kibboutz, à Gaza, il y a des gens pour qui ce n’est pas terminé. Pour moi, c’est terminé parce qu’il y avait un endroit où m’évacuer. Vous qui me parlez de vengeance, ayez honte ! Moi, chaque fois que j’entends le mot « vengeance », je perds un peu de mes forces. Après tout ce que j’ai vécu, penser que des gens vivent la même chose sans qu’on leur vienne en aide, ce n’est pas possible. Ne me parlez pas de soldats ni de sécurité, parlez-moi d’une solution politique.

J’ai 19 ans, j’ai des amis soldats qui sont tombés au combat. Quand ils étaient à l’école maternelle, ils savaient déjà ce qu’ils voulaient faire plus tard à l’armée. Je n’ai pas envie de dire à mon fils quand il aura 5 ans : « Dis-moi mon chéri, qu’est-ce que tu veux faire plus tard à l’armée ? » Je ne veux pas élever mes enfants comme ça. C’est une grande honte. Jusqu’où peut-on supporter ça ? Et c’est comme ça depuis des années. Les missiles nous passent au-dessus de la tête. Concrètement ou non. C’est une décision de Bibi [Benyamin Netanyahou, NDLR] ou du Hamas, dans laquelle on n’est rien. Que ce soit l’un ou l’autre, ça m’est égal.

Ce qui m’importe, c’est qu’à Beeri on souffre, qu’à Sdérot on souffre, et qu’à Gaza on souffre. J’ai beaucoup de colère contre Bibi. Combien de gens doivent mourir pour lui, son ego, son intérêt ? […] Bibi, je le rends coupable à 100 %, parce qu’il a fait le choix de nous faire vivre avec un “Dôme de fer” et pas avec une solution politique. Si mes mots atteignent quelqu’un, regardez en vous, posez-vous la question de vos valeurs : est-ce que vos valeurs sont en accord avec ce qui se passe ?

Prenez le temps de réfléchir. Sinon vous donnez espoir à la mort. 

Pour qui vous votez et ce que vous en attendez. Moi je sais ce que je veux. Je veux une paix juste. Je veux que les Bédouins du Néguev reçoivent la même aide que les habitants du kibboutz Beeri. Je veux le retour des prisonniers, la paix, la justice, le respect ! Si vous ne pouvez pas entendre ce que je dis maintenant, il n’y a plus d’espoir. Après ce que j’ai enduré à Beeri, j’ai le droit de vous demander de m’écouter. Vous me devez ça ! Prenez le temps de réfléchir. Sinon vous donnez espoir à la mort. »


Quelle est la perception des événements, en Israël, dix jours après l’attaque du Hamas, et alors qu’un déluge de bombes s’abat sur Gaza, privé d’à peu près tout ? Attar Ornan, une psychologue israélienne, habitante de Jérusalem, nous dit ce qu’elle a éprouvé dans ces jours tragiques. Militante de la paix, elle a cofondé dans les années 1970 Imout, une association israélo-arabe de psychothérapeutes. Son ressenti est sombre. C’est une parole recueillie au comble de l’émotion.

« Ma première réaction a été de penser que ce qui s’est passé le 7 octobre est ce qui se passera si un jour l’État d’Israël est détruit. Tout le monde sera massacré. Comme moi, beaucoup pensent que, s’il n’y a pas un vrai changement, ce sera un jour la destruction d’Israël. On redoute que les Palestiniens, ce jour-là, n’attachent pas de valeur à la vie humaine. Il faudrait qu’il y ait un long processus pour transformer les modes de pensée. Aujourd’hui, la plupart des Israéliens et des Palestiniens ne croient qu’à la force. Pour ma part, je pense que c’est parce qu’on n’a pas œuvré sincèrement en vue d’une solution au conflit. Des deux côtés, on pense qu’un compromis est impossible.

Aujourd’hui, la plupart des Israéliens et des Palestiniens ne croient qu’à la force.

Ma première réaction a été un sentiment d’horreur et d’affolement devant l’atrocité de l’attaque du Hamas. J’ai un peu évolué. L’apparition à la télévision des deux otages américaines qui ont été libérées par le Hamas a été comme une lueur d’espoir. Il nous a semblé qu’elles n’avaient pas été maltraitées ni violées. Est-ce le cas pour tous les otages ? Est-ce qu’il y a tout de même des limites à la violence ? Est-ce que le pire n’est pas certain ? Ces interrogations me hantent.

Un autre sentiment largement partagé en Israël est une très grande colère contre le gouvernement. La principale raison en est que la sécurité a été incroyablement négligée. Les gens ont le sentiment qu’il n’y avait qu’une seule chose qui comptait pour le gouvernement : la réforme de la justice (1). L’unique préoccupation de Benyamin Netanyahou concernait son sort personnel dans ses affaires de corruption. Tout va mal au gouvernement. Il n’y a que les services de santé qui soient épargnés par la critique. Même l’armée est sur la sellette. Les soldats se plaignent de leur sous-équipement.

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Depuis plusieurs mois, la réforme de la justice qui vise à affaiblir la Cour suprême mobilisait toute la société hostile au gouvernement d’extrême droite.

Mais le ministre de la Défense et les responsables militaires ont au moins reconnu leurs responsabilités. Il n’y a qu’un seul personnage qui ne reconnaît aucune faute, c’est Netanyahou. Quant aux colons, et leurs représentants les plus extrémistes au gouvernement, ils ont disparu de actualité. On ne parle plus d’eux, alors que les plus extrémistes ont les mains libres pour poursuivre leurs exactions en Cisjordanie occupée. Seul, ou presque, le quotidien Haaretz en parle. Mais son audience est marginale. La plupart des Israéliens ne veulent rien savoir de cette réalité.

Ce qui est frappant, dans cette situation, c’est que personne n’imagine autre chose que la prolongation de la guerre.

Ce qui est frappant, dans cette situation, c’est que personne n’imagine autre chose que la prolongation de la guerre. On ne sait rien. Un peu comme en 1967, à la veille de la guerre des Six-Jours. On ne sait pas jusqu’où va aller le conflit, ni quelle forme il peut encore prendre. Et cette totale incertitude accentue l’angoisse de la population. Personne ne voit comment tout cela peut finir. Il n’y a aucun projet de changer radicalement la donne, comme si tout devait finir fatalement par la destruction de l’autre. »


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