Le ‘sumud’ de Gaza

Le gouvernement israélien fait la sourde oreille aux demandes de cessez-le-feu à Gaza, visiblement décidé à effacer le peuple palestinien de la carte. Une carte devenue la jauge d’un avenir impossible.

Nacira Guénif  • 8 novembre 2023
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Le ‘sumud’ de Gaza
Manifestation de soutien aux Palestiniens, place de la République à Paris, le 22 octobre 2023.
© Maxime Sirvins

Les protestations n’en peuvent plus de pleuvoir, mais pas autant que les bombes. Si l’on sait désormais ce que les pluies de bombes sur Gaza doivent accomplir, certains prétendent encore douter de la sincérité de qui appelle les pouvoirs occidentaux à faire preuve de fermeté et d’humanité afin d’obtenir le cessez-le-feu que, même sous sa version euphémisée de « pause humanitaire », le gouvernement israélien refuse obstinément. Car la raison principale de ce refus est qu’il n’est pas question de s’arrêter en si bon chemin pour anéantir le peuple palestinien, le repousser vers ses voisins arabes ou, s’il résiste, l’effacer purement et simplement de la carte.

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Cette carte est en effet crevée par les trous béants de la multiplication des colonies en Cisjordanie occupée et des spoliations à Jérusalem-Est, pendant que de nouveaux cratères de bombardements à Gaza ôtent tout espoir de franchir un jour la distance entre les deux bords déchiquetés de la Palestine. Cette carte est devenue la jauge d’un avenir impossible. Elle ressurgit parmi toutes celles qui l’ont précédée, cernées chaque fois un peu plus par le malheur de l’occupation et l’arbitraire d’un État colonial.

Quiconque a laissé faire ça, d’année en année, de colonie en colonie, a sa part dans le malheur du peuple palestinien.

La dernière carte est dictée par la violence inouïe de la vengeance et la punition qui s’abattent sans discontinuer depuis un mois sur le peuple gazaoui. Elle nous contraint de revoir la leçon trop vite oubliée que les guerres précédentes dans cette même prison à ciel ouvert nous ont enseignée : aucun des dirigeants, là-bas comme ici, ne veut laisser la moindre chance à une paix que seule permettrait la libération du peuple palestinien, par une solution à un ou deux États. Aucun État palestinien n’a d’ailleurs jamais été pensé sur les cartes du Moyen-Orient que les dirigeants européens ont tracées nonchalamment lorsque l’empire ottoman s’est effondré. Cette faute continue d’être payée aujourd’hui par les Palestiniens. Ils n’y sont pour rien, mais ils paient quand même.

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Ils paient pour cette faute et pour l’horreur des massacres perpétrés, à peine entrouverte la porte de leur prison, par des factions emportées par l’horreur de leur propre vie, comme s’il fallait que ça se paie enfin, refusant de voir l’humanité dans les yeux de qui les a vues arriver, incrédule. L’humanité est un luxe qu’ils ne peuvent plus se permettre à force d’humiliation et de bestialisation. Ils ne l’ont pas vue non plus chez celleux qu’ils ont privé·es de leur liberté et dont on ne sait plus comment s’y prendre pour obtenir la libération avant qu’iels ne périssent sous les bombes et les assauts terrestres de l’État qui prétend les défendre. Un échange de prisonniers ? Il faudrait que la jauge soit pour une fois favorable aux Palestiniens et que leur vie vaille quelque chose.

Plus personne ne devrait s’accommoder d’une mort palestinienne de plus.

Cela n’excuse rien, mais il faut bien admettre que quiconque a laissé faire ça, d’année en année, de colonie en colonie, a sa part dans le malheur du peuple palestinien et est complice de l’État israélien. Pour résister à la déshumanisation, les opprimés ont un mot en arabe : sumud, pour endurance, persistance, attachement à ce qui fait le propre de l’existence et la rend inaliénable, même face à la mort, même lorsqu’elle devient certaine. Pourtant, plus personne ne devrait s’accommoder d’une mort palestinienne de plus. Car c’en est toujours une de trop.

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