La planète n’est pas assurable

Les marchés commencent à comprendre que la valorisation des actifs financiers reposant sur les ressources en voie d’extinction ou de dégradation irréversible va s’effondrer.

Jean-Marie Harribey  • 29 novembre 2023
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La planète n’est pas assurable
© NOAA / Unsplash

Quand de rares économistes hétérodoxes alertent sur le non-sens de la valeur économique intrinsèque de la nature, on se gausse d’eux. Mais quand ce sont les institutions internationales ou les think tanks libéraux qui mangent leur chapeau, on les prend au sérieux. L’Institute for Environment and Human Security de l’United Nations University (UNU-EHS), et la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) ont ainsi publié des rapports établissant que les catastrophes naturelles seront de moins en moins assurables.

Les idéologues du capitalisme, sous le label de « science économique », vont de débâcle en débâcle.

La fréquence et la violence des tempêtes, inondations, incendies s’accroissent avec le changement du climat, lui-même engendré par les activités économiques émettrices de gaz à effet de serre. D’ordinaire, les compagnies d’assurances couvrent les risques pour lesquels existe une demande. Or, plus les événements extrêmes sont fréquents et graves, moins les acteurs ont les moyens de souscrire à des contrats de plus en plus chers. Le point ultime est l’« inassurabilité du futur » : « Aujourd’hui déjà, le déficit de protection – des pertes financières qui ne sont pas assurées – est élevé : aux États-Unis, 57 % des pertes dues aux inondations ne sont pas assurées, 26 % au Royaume-Uni et 63 % en Allemagne (1). » Et « entre les années 1970 et les années 2010, le nombre de catastrophes naturelles a été multiplié par quatre, et le coût moyen qui leur est associé par 2,2 (2) ».

Pour l’instant, ce qui est visible se résume à la hausse régulière du prix d’un contrat d’assurance lié à l’habitation (une multiplication moyenne par 2,5 en vingt ans). Mais le jour approche où l’augmentation deviendra vertigineuse et gagnera tous les secteurs de l’économie. Et ceci est à rapprocher des prévisions qui effraient les marchés financiers, sur lesquels de nombreux opérateurs commencent à comprendre que la valorisation des actifs financiers reposant sur les ressources en voie d’extinction ou de dégradation irréversible va s’effondrer, rendant justice à Marx qui parlait de capital fictif à son sujet.

La leçon à tirer de cette histoire est que les idéologues du capitalisme, sous le label de « science économique », vont de débâcle en débâcle. D’abord, ils ont nié l’épuisabilité des ressources et en ont conclu qu’aucun risque ne pesait sur une humanité confiante dans le progrès technique. Ensuite, rendus à l’évidence, ils ont plaidé pour tenir compte de la « valeur économique intrinsèque de la nature » à ajouter à la valeur du capital dans la perspective de substituer ce dernier aux ressources, toujours grâce au progrès technique. Enfin, ils paniquent parce que cette prétendue valeur économique intrinsèque est inassurable. Forcément, puisqu’une valeur potentiellement infinie, si elle conditionne la vie, échappe au calcul économique (3).

3

Jean-Marie Harribey, La richesse, la valeur et l’inestimable, Les Liens qui libèrent, 2013.



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