Les nouveaux contre-révolutionnaires de l’arc républicain

TRIBUNE. Cette coalition de circonstance autour de la Macronie rejette l’héritage subversif de la Révolution française qui a pourtant jeté les bases de notre République et de notre démocratie.

Francis Daspe  • 29 novembre 2023
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Les nouveaux contre-révolutionnaires de l’arc républicain
Le Serment du Jeu de paume du 20 juin 1789 aurait été considéré par les membres autoproclamés de cet arc républicain comme une scandaleuse entreprise de « bordélisation » des États généraux.
© Peinture de Jacques-Louis David.

« Et si j’étais né en 17 à Leidenstadt, Sur les ruines d’un champ de bataille, Aurais-je été meilleur ou pire que ces gens ? » Telle est l’interrogation fredonnée par Jean-Jacques Goldmann dans une chanson éponyme datant de 1990. Nous savons à quel point il faille se défier par-dessus tout de l’impasse de l’anachronisme et des reconstitutions historiques douteuses. Mais il existe parfois matière à s’interroger.

C’est le cas avec le culot monstre des membres autoproclamés de l’improbable arc républicain. Ils osent tout, y compris les comparaisons approximatives les plus frelatées. Savent-ils seulement d’où vient la République ? Quelle est son essence ? Il est permis d’en douter. Les symboles de la République témoignent sans ambiguïté des liens indéfectibles entre République et Révolution.

Ces drôles d’apôtres du prétendu arc républicain, si prompts à décerner à l’envi, qui plus est sur des critères pour le moins insondables, des brevets de républicanité ou de républicanisme, de quelle manière se seraient-ils positionnés face aux événements de l’année 1789 ? Sans doute à la droite du président de séance comme ceux qui étaient favorables au droit de veto du roi pour mieux étouffer l’expression des représentants du peuple et de la souveraineté populaire. Ils devinrent la droite, entre nuances de conservateurs et de réactionnaires : depuis, rien, ou presque, n’a changé.

Rejet de toutes les formes de contestation

La prise de la Bastille aurait été assimilée avec mépris à une effroyable émeute sanguinaire de la part d’une populace dangereuse.

Le Serment du Jeu de paume du 20 juin aurait été considéré sans nul doute comme une scandaleuse entreprise de « bordélisation » des États généraux, peut-être à l’égal d’un acte de subversion factieuse. Aujourd’hui, des députés qui bousculent le bel ordonnancement d’un jeu parlementaire compassé, ressemblant trop souvent à un théâtre d’ombres, sont accusés avec les mêmes mots. Par la transformation des États généraux en Assemblée nationale constituante qui s’ensuivit, c’est pourtant une étape décisive dans l’affirmation de l’existence d’une source de souveraineté autre que celle du roi, celle du peuple.

Le 14 juillet la prise de la Bastille, symbole de l’absolutisme avec ses lettres de cachet y envoyant des prisonniers de manière arbitraire, aurait été assimilée avec mépris à une effroyable émeute sanguinaire de la part d’une populace dangereuse. Au cours des dernières années, les différentes formes de contestations, des Gilets jaunes aux manifestations syndicales en passant par les moyens d’action des activistes écologistes, ont été traitées de manière récurrente de la sorte. L’événement est pourtant célébré chaque année par la République comme le jour de sa fête nationale.

La nuit du 4 août, qui se traduisit dans un même élan par l’abolition des privilèges, des trois ordres de la société et du régime seigneurial, serait reléguée à un vote démagogique sanctionnant le triomphe d’un affreux nivellement par le bas et d’un égalitarisme de bien mauvais aloi. Ou à une injustifiable spoliation de personnes apportant des bienfaits considérables à l’ensemble de la société. Il est vrai que faire la guerre ou prier pour le salut des âmes était bien plus utile que travailler quotidiennement dans les champs, ce qui conduisait les paysans à devoir rester pauvres, tout en payant de surcroit des impôts à tout le monde…Et que dire de la décision de procéder à la nationalisation des biens du clergé !

Persistance d’une morgue aristocratique

Aujourd’hui, ces mesures constituent le socle sur lesquels se fondent les principes républicains les plus élémentaires, transcrits quelques semaines plus tard dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août, véritable bloc de constitutionnalité. Pourtant, subsistent encore une même morgue aristocratique et une suffisance pathétique à croire qu’il n’existe pas d’alternative aux politiques menées et que rien ne peut, ou ne doit, changer.

Le cortège populaire, avec à sa tête des femmes, qui partit à Versailles pour finalement ramener le roi et sa famille à Paris, pourrait encourir les menaces de foudres de la justice, sous différents chefs d’accusation tels que violation du domicile du roi, séquestration, entrave à sa liberté d’aller et de venir, entorse inacceptable à sa liberté personnelle, menaces et intimidations inadmissibles, etc.

La République sans l’esprit et l’héritage de la Révolution, ce n’est plus la République.

La tentation du monarque républicain de s’enfermer dans sa tour d’ivoire élyséenne relève d’une logique identique à celle des rois absolus se retranchant dans le château de Versailles pour mieux s’éloigner du peuple. Cet épisode est pourtant un jalon essentiel dans la démonstration que le pouvoir doit être, du moins en démocratie, au service de tous et sous le contrôle des citoyens.

Le visage remodelé des contre-révolutionnaires

L’année 1789 marque le début de la période historique que l’on nomme contemporaine. C’est-à-dire l’histoire de notre temps, celle qui pose les bases de notre République et de notre démocratie, si imparfaites soient-elles. Les concepteurs de cet arc républicain semblent être restés dans un autre monde, virtuel, celui qui n’aurait pas connu la Révolution française. Une Révolution qu’il est nécessaire de considérer comme un bloc, comme le disait fort justement Clémenceau en 1889 au moment des débats sur la célébration du centenaire, avant de dériver plus tard vers d’autres rivages éloignés en se targuant d’être devenu « le premier flic de France ».

La République sans l’esprit et l’héritage de la Révolution, ce n’est plus la République. C’est une tentative parmi d’autres de préserver une forme d’Ancien Régime, qui récuse en bloc, de manière plus ou moins assumée, les événements fondateurs de 1789 au même titre que les efforts actuels pour approfondir l’ambition républicaine démocratique.

L’arc républicain allégué par la macronie n’est en réalité que la coalition de circonstance des diverses nuances de conservateurs et de réactionnaires. Ce n’est rien moins que le visage, remodelé pour paraître plus présentable, des (nombreux) nouveaux contre-révolutionnaires. Qui n’agréée pas à la Révolution méconnaît en fin de compte l’exigence fondamentale de la République et ne peut s’en prévaloir.



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