LFI : Raquel Garrido, condamnée au silence pour cause de divergence

La députée de Seine-Saint-Denis, qui critique ouvertement la stratégie de Jean-Luc Mélenchon, ne pourra plus s’exprimer au nom de La France insoumise pendant quatre mois. Les « frondeurs » dénoncent une sanction « bureaucratique ». Le bureau du groupe parlementaire nie le caractère politique de cette décision.

Lucas Sarafian  • 7 novembre 2023
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LFI : Raquel Garrido, condamnée au silence pour cause de divergence
Raquel Garrido, lors des journées d'été d'EELV au Havre, le 24 août 2023.
© LOU BENOIST / AFP

À 1 h 10 dans la nuit de lundi 6 à mardi 7 novembre, Raquel Garrido publie un long tweet. « Je suis humiliée, je suis en colère, j’ai honte de voir cette évolution du projet politique auquel j’ai consacré 30 ans de ma vie », écrit-elle. La sanction est tombée quelques minutes plus tôt. Après une audition d’environ 1 h 30 devant David Guiraud et Anne Stambach-Terrenoir, le bureau du groupe insoumis indique dans un communiqué que « Raquel Garrido ne pourrait plus être oratrice au nom du groupe dans les travaux parlementaires pour une durée de quatre mois ».

Même Adrien Quatennens, auteur de violences conjugales, a eu le droit à de longues délibérations au sein du groupe.

Raquel Garrido

La députée de Seine-Saint-Denis ne pourra donc plus s’exprimer au nom de La France insoumise à l’Assemblée nationale pendant ce temps, ni prendre la parole lors de la séance hebdomadaire des questions au gouvernement. La raison de cette punition ? « Il lui est reproché, non pas de défendre ses idées, mais une accumulation d’agissements et de propos répétés qui nuisent au bon fonctionnement collectif du groupe parlementaire », expose le communiqué du bureau du groupe LFI qui évoque notamment la « diffusion de fausses informations », la « mise en cause et le dénigrement » de plusieurs députés insoumis ainsi que des salariés du groupe LFI au Palais Bourbon.

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Selon l’intéressée, cette sanction s’explique « parce que j’ai tenu bon sur le principe de non-cumul des mandats […], parce que j’ai osé dénoncer la communication masculiniste d’Adrien Quatennens orchestrée par Sophia Chikirou et soutenue par Jean-Luc Mélenchon, parce que j’ai défendu l’unité de la Nupes, du mouvement syndical et de LFI pendant le grand mouvement des retraites alors que la direction LFI ne faisait que cliver, cliver et cliver encore ». Dans son texte publié sur les réseaux sociaux, elle cite également l’exemple de sa proposition de loi constitutionnelle abrogeant le 49.3. Le bureau lui aurait reproché son « insistance » pour défendre ce texte lors de la niche du groupe insoumis le 30 novembre.

Ligne officielle et affaire Quatennens

D’après la députée, cette sanction s’explique avant tout par ses désaccords vis-à-vis de la ligne officielle du mouvement et sa critique sur l’omniprésence de Jean-Luc Mélenchon. Il y a une semaine, Garrido expliquait à Politis que les « quatre états-majors des partis de la Nupes » étaient « en échec » pour reconstruire l’union de la gauche. À 10 h 30, lors du point presse hebdomadaire du groupe LFI, Mathilde Panot, la présidente du groupe, a nié le caractère politique de la décision : « Ça n’a rien à voir avec le fait d’exprimer des critiques. »

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Au téléphone, Danielle Simonnet fulmine. « C’est une décision scandaleuse et inadmissible. Il s’agit de prendre des mesures disciplinaires face à un problème politique. Quand on a un désaccord politique, on tente de le résoudre en débattant. C’est ça, faire de la politique, développe la députée de Paris qui a quitté le PS en 2008 avec Jean-Luc Mélenchon. Ceux qui osent exprimer un avis différent de celui du groupe et de Jean-Luc Mélenchon sont sanctionnés. En fait, les dirigeants de notre groupe n’acceptent pas qu’on soit autre chose qu’un collectif monolithique. »

Le parti ne se renforce pas en s’épurant.

Clémentine Autain

« On ne règle pas des divergences politiques par des sanctions bureaucratiques. Ce n’est pas possible, reprend Clémentine Autain sur France Inter ce matin. Le parti ne se renforce pas en s’épurant. La logique derrière cela, c’est l’idée que le clan irait avant le mouvement. » Pour le moment, seuls les « frondeurs » ont soutenu leur collègue sanctionnée. « À défaut de pouvoir débattre ensemble, la direction de mon groupe parlementaire pourrait-elle nous fournir la grille tarifaire en cas de divergence politique ? Raquel Garrido est en désaccord sur l’absence de démocratie dans La France insoumise. Et comment notre mouvement, qui prône la VIe République, lui répond ? Non pas par un débat, mais par une sanction », lâche sur X (ex-Twitter) François Ruffin.

Sur le même réseau social, Alexis Corbière dénonce aussi une « sanction administrative infondée ». Éric Coquerel, le président de la commission des Finances, a préféré s’abstenir : « Je ne fais jamais de commentaire sur la vie interne de notre mouvement et je continuerai à le faire. Je réserve à mon mouvement mes propres commentaires. »

« Quand des députés du noyau mélenchoniste font du off dans la presse contre ceux qu’ils appellent « les dissidents », sont-ils condamnés en interne ? Quand ils tapent publiquement sur ces mêmes « dissidents » sur Twitter, ont-ils un rappel des règles de camaraderie ? Ce deux poids deux mesures au service du chef Mélenchon n’est pas supportable », dénonce, de son côté, un conseiller parlementaire du groupe.

Parallélisme troublant

Dès les premières lignes de son texte, l’élue du 93 fait le rapprochement entre sa sanction et celle d’Adrien Quatennens. Il y a un an, le député du Nord et successeur le plus crédible de Mélenchon avait été exclu du groupe pendant quatre mois après avoir été condamné pour violences conjugales. Ce qui a ulcéré les « unionistes » de toute la Nupes comme la communiste Elsa Faucillon ou l’écolo Sandrine Rousseau. « Le parallélisme entre la sanction d’Adrien Quatennens et celle de Raquel Garrido est pour le moins troublant, sinon déconcertant voire choquant », estime Arthur Delaporte, porte-parole des députés PS. Pour le député PCF Sébastien Jumel, « elle est trop insoumise pour être Insoumise. Et je trouve que c’est une qualité intéressante ».

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Garrido pointe également le mode de décision de sa sanction : « Même Adrien Quatennens, auteur de violences conjugales, a eu le droit à de longues délibérations au sein du groupe. Le bureau s’est autoproclamé instance de discipline pour tenter – quelle immaturité – de régler des désaccords politiques par des mesures de coercition. » Le développement est repris par Danielle Simonnet : « Je me souviens qu’il a fallu batailler en échangeant longtemps en petits groupes pour prendre une décision sur l’affaire Quatennens. Là, il a suffi d’une réunion du bureau à huis clos. Ça fait un mois que je demande des explications sur Sophia Chikirou. J’ai envoyé une lettre, on ne m’a jamais répondu. »

Mathilde Panot tente tant bien que mal de temporiser : « Elle continue d’être membre du groupe, de participer aux réunions du groupe, de porter des amendements. Bref, de faire son travail de parlementaire. » En clair, une députée sans droit à la parole. Contactée, Raquel Garrido, elle, n’a pas répondu à notre sollicitation.

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