Qui veut la mort de la Nupes ?

En qualifiant Fabien Roussel de « Doriot », Sophia Chikirou voudrait torpiller la Nupes qu’elle ne s’y prendrait pas autrement. En toile de fond : la rivalité entre Jean-Luc Mélenchon et le secrétaire national du PCF, un désastre annoncé.

Denis Sieffert  • 27 septembre 2023
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Qui veut la mort de la Nupes ?
Sophia Chikirou, lors des questions au gouvernement à l'Assemblée nationale, le 23 mai 2023.
© Lily Chavance

La Nouvelle Union populaire écologique et sociale aurait-elle atteint son point Godwin, ce seuil critique au-delà duquel il n’est plus possible de débattre, et moins encore de mener des combats communs ? C’est à croire après la sortie de la députée LFI de Paris Sophia Chikirou, qui voit « du Doriot dans Roussel ». La reductio ad hitlerum, pour reprendre l’ironique formule du philosophe Leo Strauss, est une figure connue du débat politique, mais voilà qu’elle fait irruption au sein même de la gauche, entre partenaires d’une même alliance. On voudrait torpiller la Nupes qu’on n’agirait pas autrement. La stratégie de Jean-Luc Mélenchon, qui a relayé la formule assassine, se précise peu à peu. La personnalité la plus en vue de la gauche voit venir avec inquiétude le moment où il risque de devoir se soumettre à une règle du jeu collective de désignation du candidat à la présidentielle de 2027. On devine qu’il aimerait reprendre sa liberté d’action bien avant l’échéance.

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Il ne faut sans doute pas chercher ailleurs les raisons de la violente attaque contre Fabien Roussel, lequel – ironie de la situation – poursuit le même objectif. On ne fera pas l’injure ici à Sophia Chikirou de n’avoir pas mesuré la portée de son insulte. Jacques Doriot, exclu du parti communiste en 1934, n’a pas été un vulgaire « collabo », comme tant d’autres, il a embrassé l’idéologie nazie jusqu’à prendre les armes sous l’uniforme de la Wehrmacht. On voit mal après cela comment Roussel et Mélenchon pourraient faire cause commune. La Nupes est donc mal en point. D’autant qu’au mois de juillet le leader de LFI n’avait pas épargné ses autres partenaires auxquels il prédisait un avenir à la Déat, autre transfuge de la gauche qui a terminé ministre du gouvernement de Vichy. Tout ça est nimbé de délicatesse.

Il n’est vraiment pas temps de sacrifier la Nupes à la réalisation d’ambitions qui ne feront que des vaincus.

Mais la responsabilité de la crise n’incombe pas au seul Mélenchon. Si comparer Roussel à Doriot est ignoble et stupide, d’autres rapprochements, moins infâmants, viennent à l’esprit. Le secrétaire général du Parti communiste a plutôt tendance à réveiller les mânes de ses illustres prédécesseurs Maurice Thorez et Georges Marchais. Si l’on préfère une référence plus proche de nous, on lui trouverait une vague parenté idéologique avec Manuel Valls. Le pire, c’est qu’il y a un vrai débat derrière tout ça. Comment reprendre au Rassemblement national ce que celui-ci a pris à la gauche ? Le vote ouvrier en particulier. Comment y parvenir sans glisser sur le terrain de l’extrême droite ? C’est peu dire que Roussel joue avec le feu. Sur l’immigration, les violences policières et l’écologie, il préfère la démagogie à la pédagogie. Entre la fin du monde et la fin de mois, il rompt grossièrement l’équilibre.

À trop vouloir flatter un bon sens populaire en quête de boucs émissaires à la crise sociale, il tient un discours conservateur et régressif. Les sondages lui sont reconnaissants. C’est bien ce qui chagrine Mélenchon, qui voit un rival se dresser devant lui.  L’un s’adresse à un bon peuple réel ou fantasmé ; l’autre vise les tours des cités et les abstentionnistes des banlieues. La gauche ne gagnera pas sans réconcilier ces deux populations. Ce sont des convergences qu’il faut rechercher, plutôt que de se vautrer dans l’anathème. La rivalité de deux leaders que, désormais, la Nupes encombre, est un désastre programmé. Elle n’est pas seulement l’affrontement de deux ambitions qui semblent mettre un malin plaisir à extrémiser leurs divergences, et à se caricaturer, quand il faudrait construire ce que l’historien Roger Martelli appelle « un récit émancipateur désirable et crédible ».

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Avec Doriot et Déat, on est loin du compte. Roussel boude la manif contre les violences policières, tandis que Mélenchon refuse d’appeler à l’apaisement lors des émeutes de fin juin, chacun considérant sans doute que ce sont leurs électorats, réels ou potentiels, qui s’affrontent. Cités contre ouvriers et petits commerçants. L’antagonisme a été exacerbé par la vieille gauche de gouvernement. Il est porté à incandescence par la politique antisociale et inégalitaire de Macron. Il faut y remédier. Des personnalités comme Clémentine Autain et François Ruffin y travaillent. D’autres aussi chez les Verts et au Parti socialiste. La tâche est rude. Elle requiert de la (bonne) volonté. Je persiste à croire que la Nupes, dont Mélenchon fut en 2022 le principal artisan, est indispensable à la réussite. Il n’est vraiment pas temps de la sacrifier à la réalisation d’ambitions qui ne feront que des vaincus.

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