« Nous, livreurs Uber, voulons être reconnus comme salariés »

Six livreurs à vélo sont partis de Paris, dimanche, jusqu’à Bruxelles, où ils sont arrivés ce mercredi. Le but : mettre la pression sur les eurodéputés sur la directive de requalification des livreurs et chauffeurs VTC.

• 8 novembre 2023
Partager :
« Nous, livreurs Uber, voulons être reconnus comme salariés »
© Kai Pilger / Unsplash

Jeudi 9 novembre, des livreurs de plusieurs pays membres de l’Union européenne, arrivés à vélo la veille à Bruxelles, mettront la pression sur les eurodéputés, qui s’apprêtent à voter une directive sur la requalification de leur statut. L’opération « La Grande Livraison », qui associe les chauffeurs VTC, doit parachever une lutte de plusieurs années. Récit d’un de ses organisateurs, Jérémy Wick.


Je m’appelle Jérémy Wick, j’ai 34 ans et ça fait six ans que je roule pour Uber et Deliveroo. Je suis livreur à vélo. Depuis dimanche, avec Vincent, de Toulouse, Felipe, d’Espagne, Marcus, d’Autriche, Francesco, d’Italie, et Camille, de Belgique, on est sur la route, direction Bruxelles. On s’est arrêtés à Beauvais, Amiens, Lille, et ce mercredi, donc, Bruxelles. Pour ce jeudi 9 novembre, on a organisé une manifestation avec les livreurs et les chauffeurs VTC. On a appelé ça « La Grande Livraison ».

ZOOM : Blackbird, une alternative bordelaise à Uber et Deliveroo

« Un service de livraison pensé par les livreurs ». C’est ce qui différencie Blackbird des plateformes comme Uber ou Deliveroo, selon le fondateur de cette entreprise, Jérémy Wick. Créée il y a un an à Bordeaux, Blackbird se veut plus respectueuse des cyclistes qui roulent pour livrer les commandes. Déjà, en les rémunérant davantage. Mais aussi, en supprimant la géolocalisation permanente. « Il n’y a pas de pression à la vitesse qui pousse le livreur à prendre toujours plus de risques », assure également Jérémy Wick, lui-même livreur depuis 2017.

Autre avantage : contrairement aux autres mastodontes, l’application évite le gâchis des plats qui ne trouvent pas de livreurs. En effet, sur les autres plateformes, les livreurs ont tendance à patienter trop longuement devant les restaurants, ce qui leur fait perdre de l’argent. Résultat : le livreur part, et le plat part à la poubelle. Blackbird permet d’éviter ce temps d’attente en donnant la possibilité aux restaurateurs de faire venir les livreurs uniquement lorsque la commande est prête.

C’est une action que j’ai organisée pour mettre la pression sur les eurodéputés qui s’apprêtent à débattre de la directive requalifiant les livreurs en CDI. Pourquoi avoir réuni des livreurs des quatre coins de l’Europe ? Parce que l’ubérisation n’a pas de frontières. Partout, les conditions de travail sont difficiles. On a beau être dispatchés à droite à gauche, on veut défendre nos camarades et améliorer leur quotidien.

Sur le même sujet : Les livreurs à vélo relèvent la tête

Je me suis inspiré d’une action que j’avais menée en 2019 : avec quatre collègues, nous étions partis de Bordeaux pour nous rendre au siège de Deliveroo France, à Paris. C’était au moment de la chute des tarifications de 40 %. Mais là le contexte est différent : ce que peut changer la directive européenne, c’est la présomption de salariat. C’est un principe simple qui inverse la charge de la preuve. Je vais prendre mon cas. Je suis actuellement en procès contre Deliveroo. Je veux être requalifié. Pour cela, il faut que je prouve que je suis bel et bien salarié. Si demain la directive passe, je serai d’office reconnu comme tel. Ce sera à l’entreprise de prendre ses responsabilités d’employeur. Un rôle qu’elle a toujours fui !

Dès qu’il s’agit d’améliorer les conditions de travail des livreurs, la France traîne des pieds.

Dès qu’on commence à parler de salariat, les plateformes disent qu’elles seront contraintes de partir. C’est de l’esbroufe. Deliveroo est présent dans quatorze pays. Parmi ceux-là, dans quels pays la plateforme est-elle rentable ? Deux. La France et le Royaume-Uni. Dans ces conditions, va-t-elle prendre le risque de quitter le pays ? Jamais… Par contre, les plateformes ont l’oreille du gouvernement. On l’a bien vu avec les UberFiles : Emmanuel Macron a aidé Uber pour que l’entreprise américaine puisse s’installer dans de bonnes conditions.

Sur le même sujet : Ubérisation : le Parlement européen vote la présomption de salariat

Depuis, dès qu’il s’agit d’améliorer les conditions de travail des livreurs, la France traîne des pieds. Aujourd’hui, la sociologie des livreurs a bien changé. Les étudiants qui grimpaient sur leur vélo pour se faire un peu d’argent sont partis, car ils ont compris qu’il est préférable de fabriquer des burgers plutôt que de les livrer. La grande majorité des livreurs sont des sans-papiers qui sont encore plus exploités parce qu’ils dépendent de loueurs de comptes qui prennent une commission. Parfois, ça grimpe à 70 % de ce que touche le livreur, il ne reste que les miettes.

Jérémy Wick au centre en tenue cycliste noire, le 6 novembre à Amiens, avec François Ruffin. (Photo : DR.)

Ce qui est sûr, c’est que, si la directive passe, des choses changeront. On aura accès aux congés payés, on cotisera vraiment pour la retraite. Ce métier, très difficile, mérite un salaire décent. Le taux d’accidents est de 39 %, soit bien plus que dans le BTP ! Pourtant, on n’a aucune prime de pénibilité. C’est à cause de ces conditions de travail qu’un livreur a perdu la vie, le 2 février. Il s’appelait Sultan Zadran. Il était d’origine afghane. Il a été percuté par un car de la société Flixbus, près de Bruxelles. En son honneur, on a souhaité respecter une minute de silence quand on s’est réunis dans la capitale belge.

Sur le même sujet : « L’ubérisation organise un suicide social collectif »

Bruxelles, c’est une énième bataille à remporter. Parce que la bataille médiatique, je pense qu’on peut dire qu’on l’a gagnée. La communication des plateformes est à l’image de leur business model, vouée à l’échec. Tout le monde sait qu’on bosse dur et qu’elles se remplissent les poches. Sur le plan judiciaire, la majorité des procès ont été gagnés par les livreurs. À New York, Uber a été condamné à payer 228 millions de dollars à des chauffeurs. En Espagne, Deliveroo a été obligé de salarier des livreurs : l’entreprise, qui n’était pas rentable dans la péninsule ibérique, a quitté le pays.

Nous, cette zone de non-droit, on la refuse.

En fait, c’est le far west et ils se prennent pour des cow-boys, sauf que leur chargeur commence à être à sec. Et nous, cette zone de non-droit, on la refuse. Il faut un cadre légal. Ce cadre, il ne faut pas le demander, il faut l’exiger. Il faut oser avoir ce courage politique qui aujourd’hui manque tant à ce gouvernement, qui lui aussi fuit ses responsabilités.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Publié dans
Carte blanche

La carte blanche est un espace de libre expression donné par Politis à des personnes peu connues du grand public mais qui œuvrent au quotidien à une transformation positive de la société. Ces textes ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction.

Temps de lecture : 5 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don