Secrets toxiques, une coalition à l’attaque des méthodes d’évaluation des pesticides

Le groupement d’associations dénonce les nombreuses carences dans les méthodes d’évaluation des produits et milite pour obtenir de réelles études de toxicité. Elle veut faire changer la loi aux niveaux national et européen.

Vanina Delmas  • 8 novembre 2023 libéré
Secrets toxiques, une coalition à l’attaque des méthodes d’évaluation des pesticides
© Tim Mossholder / Unsplash

« Si le règlement européen était correctement appliqué, les maladies professionnelles liées à l’exposition aux pesticides ne seraient pas aussi nombreuses ! » assène Andy Battentier, directeur de la campagne Secrets toxiques. Une sentence qui se fonde sur une analyse minutieuse de la législation sur les pesticides au niveau européen, et les jeux d’influence orchestrés par les industriels des pesticides et de la chimie. Depuis 2020, une coalition d’associations s’est formée pour réclamer le retrait de produits frauduleux et la condamnation des responsables de la fraude, pour dénoncer les nombreuses carences dans l’évaluation des produits et obtenir de réelles études de toxicité. Ce collectif a été initié par Nature et progrès, Générations futures et Campagne glyphosate France, qui avait analysé l’urine de « pisseurs volontaires » à la recherche de traces de pesticides. Aujourd’hui, il fédère plus de soixante-dix associations et groupes locaux.

La coalition Secrets toxiques mise énormément sur la sensibilisation du grand public pour renforcer petit à petit la pression citoyenne. Ainsi, un film – en accès libre sur YouTube, voir aussi en fin d’article – a été réalisé en 2022, un tour de France a lieu actuellement avec des projections du film, donnant lieu à des rencontres, et un livre (1) a été publié en août dernier. Mais la coalition n’hésite pas à faire aussi appel à la justice. En 2020, une plainte contre X a été déposée au pôle santé du tribunal de Paris pour fraude à l’étiquetage, mise en danger de la vie d’autrui et atteinte à l’environnement.

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Secrets toxiques. Faire face ensemble au scandale des pesticides, Andy Battentier et Martin Rieussec, Jouvence, 192 pages, 2023.

Elle s’appuie sur une étude scientifique réalisée par Gilles-Éric Séralini et Gérald Jungers sur des produits pesticides « sans glyphosate », en vente libre dans les magasins de bricolage (2). Les auteurs ont révélé la présence de nombreux composés toxiques tels que l’arsenic, le plomb, le titane ou des hydrocarbures aromatiques polycycliques non déclarés. En février dernier, 29 associations de protection de l’environnement et 28 député·es ont déposé un recours devant le Conseil d’État pour « mise en danger de la vie d’autrui, atteinte à l’environnement, fraude à la déclaration, fraude à l’étiquetage ».

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La loi Labbé, adoptée en 2014, interdit pour les particuliers à partir du 1er janvier 2019 la vente, la détention et l’utilisation des produits phytosanitaires à l’exception de ceux de bio-contrôle. En 2017, elle est étendue et interdit les produits phytosanitaires pour l’entretien des espaces verts, forêts, promenades et voiries.

Toxicité globale

« Selon le règlement établi en 2009, avant la mise sur le marché d’un pesticide, il faut prouver l’absence d’effets immédiats ou sur le long terme sur la santé humaine et sur l’environnement, dans des conditions normales d’utilisation. Mais le nœud du problème réside dans la méthode d’évaluation de ces produits et c’est là-dessus que nous essayons de faire bouger les lignes », détaille Andy ­Battentier. En effet, dans la pratique, il faut fournir des données seulement sur la substance active déclarée par le fabricant, et non sur la toxicité du produit global tel qu’il est épandu. Une pratique permettant d’esquiver l’évaluation du fameux « effet cocktail », souvent plus dangereux.

Secrets toxiques

« Si vous mettez du glyphosate – la substance active de l’herbicide Roundup – dans de l’eau et que vous pulvérisez le produit sur une plante, celui-ci va couler rapidement, ne laissant pas le temps au glyphosate d’agir. Si vous ajoutez un produit, qu’on appelle coformulant, la texture du produit change et lui permet de rester plus longtemps sur la plante, de passer les membranes cellulaires et d’agir, explique Andy Battentier. Si ça colle mieux à la plante, ça colle également mieux à la peau de la personne qui épand le produit. À la fin, l’effet toxique constaté sera celui du produit global ! »

Cet amalgame entre toxicité du produit fini et toxicité de la molécule définie comme substance active est savamment entretenu par l’industrie de l’agrochimie. Mais il commence à sérieusement se fissurer. En 2019, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie par Me Guillaume Tumerelle, a rendu un arrêt dans lequel elle reconnaît que « les procédures conduisant à l’autorisation d’un produit phytopharmaceutique doivent impérativement comprendre une appréciation non seulement des effets propres des substances actives contenues dans ce produit, mais aussi des effets cumulés de ces substances et de leurs effets cumulés avec d’autres composants dudit produit ».

Les décisions de justice ne sont pas suffisantes, car le problème est politique.

Andy Battentier

Une sorte de rappel du bout des lèvres du principe de précaution, qui donne tout de même raison aux militant·es antipesticides. « Mais les décisions de justice ne sont pas suffisantes, car le problème est politique, reconnaît Andy Battentier. Si nous obtenons une véritable évaluation de la toxicité à long terme du produit, beaucoup de pesticides ne pourront plus être mis sur le marché, donc les politiques agricoles devront radicalement changer. Si l’on veut que les décisions de justice soient appliquées, il faut de la volonté politique pour les mettre en œuvre. »

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