À Orly, Alicia, 13 ans, privée de liberté par l’État français

Depuis deux semaines, une toute jeune Congolaise est maintenue dans la zone d’attente d’Orly. Son avocate dénonce cette situation et réclame qu’elle puisse sortir et être prise en charge par les services de l’État adaptés.

Pauline Migevant  • 19 décembre 2023
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À Orly, Alicia, 13 ans, privée de liberté par l’État français
L'aéroport d'Orly.
© Jean-Guy Nakars / Unsplash

Alicia* arrive dans le tribunal, escortée par trois policiers. Pull à rayures, jeans, baskets, elle a 13 ans et le visage fermé. Durant un court échange avant l’audience, Marine Simon, son avocate, apprend qu’Alicia n’a pas mangé depuis la veille. « Ils ne lui ont pas donné de couverts, expliquera-t-elle au juge. Cette enfant n’a tout simplement pas mangé. » Alicia est arrivée du Bénin le 4 décembre. Depuis, elle est en zone d’attente (ZA) à Orly, un espace où les personnes étrangères sont maintenues notamment lorsqu’elles ne remplissent pas les conditions pour entrer sur le territoire français, ou lorsqu’elles veulent demander l’asile.

*

Le prénom a été changé.

Politis avait évoqué la situation d’Alicia il y a quelques jours, en suivant la députée Elsa Faucillon, exerçant son droit de visite parlementaire dans la zone d’attente. En juin 2023, le Comité des droits de l’enfant de l’ONU a demandé à la France de « mettre fin à l’enfermement des enfants » dans les centres de rétention administrative et les zones d’attente. Depuis 2012, la France a été condamnée onze fois par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) concernant la rétention des mineurs. Pour l’avocate, « Il est déjà aberrant que des enfants accompagnés soient maintenus en détention. Alors une enfant comme ça, isolée… »

Sur le même sujet : À Orly, en zone d’attente, avec les mineurs étrangers privés de libertés

L’audience a lieu dans une petite salle du tribunal administratif de Melun. Derrière le bureau du juge, des mots en rouge et bleu, inscrits deux par deux sur des affiches blanches, évoquent les domaines traités par la justice administrative. « Santé-Citoyens » ; « Laïcité-Magistrats » ; « Recours-Étrangers ». Avant que l’audience ne commence, Alicia regarde son téléphone, comme le feraient d’autres ados de son âge. Sa jambe tremble sur le banc. Son administratrice ad hoc, qui la représente lors des procédures, s’assied à côté d’elle. Le ministère de l’Intérieur, lui, « n’est ni présent ni représenté ».

« L’urgence est évidente »

« L’urgence ici est évidente, on parle d’une enfant en zone d’attente », explique Marine Simon. Autoriser son entrée sur le territoire, suspendre son maintien en zone d’attente, condamner l’État à une amende : ce sont les demandes de l’avocate. Selon le ministère de l’Intérieur, le juge administratif n’est pas compétent pour juger le maintien ou non en détention d’Alicia, qui relèverait seulement du juge des libertés. Pourtant, assure l’avocate, « il s’agit bien de la violation de libertés fondamentales, notamment celle d’aller et de venir librement, le droit à la dignité ».

Elsa Faucillon Orly mineurs zone d'attente
Elsa Faucillon, députée PCF, discute avec Alicia, en zone d’attente, le 14 décembre dernier. (Photo : Maxime Sirvins.)

« On est dans une situation de traitement inhumain et dégradant », explique-t-elle en évoquant les réveils tous les jours entre 4 et 5 heures du matin, les bruits dans l’hôtel au milieu de la nuit l’empêchant de bien dormir, les journées en zone d’attente « sans aucune occupation, entourée d’adultes ». L’avocate invoque la convention internationale des droits de l’enfant, qui prévoit que « tout enfant privé de liberté sera séparé des adultes ».

Comment peut-on estimer qu’il est dans l’intérêt d’Alicia d’être maintenue en zone d’attente ? 

M. Simon

« Comment peut-on estimer qu’il est dans l’intérêt d’Alicia d’être maintenue en zone d’attente ? », demande l’avocate. La semaine dernière, la CEDH avait suspendu son réacheminement au Congo. « L’éloignement n’étant pas possible, elle aurait dû être libérée instamment par la police aux frontières », a estimé l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé). Malgré tout, Alicia a été maintenue en zone d’attente, une décision renouvelée par le juge des libertés et de la détention vendredi dernier qu’elle risquerait, à sa sortie de l’aéroport, d’être victime d’un réseau de traite d’êtres humains.

« Ça ne se passe pas bien »

« Le ministère n’apporte pas de preuves, estime l’avocate, qui ajoute : le but n’est pas de laisser Alicia sortir toute seule, mais qu’elle soit prise en charge par les services de l’État adaptés. » Marine Simon évoque l’affaire du ressortissant ouzbek renvoyé par la France – au mépris de la CEDH – dans son pays, où il risque des tortures. La plaidoirie est de courte durée, et le juge demande à Alicia de s’approcher : « Madame », lance-t-il. « Enfin, “Madame”… », se reprend-il en se souvenant de l’âge de la jeune fille.

Celle-ci parle très bas, et son administratrice doit s’avancer de deux rangées de chaises pour entendre. « Ça ne se passe pas bien », murmure Alicia, qui évoque brièvement les réveils, les difficultés pour dormir avec le bruit. Elle précise qu’elle est venue en France pour continuer ses études, et aller chez la sœur de sa mère. À son tour, l’administratrice intervient pour souligner que « la situation de cette jeune fille est extrêmement préoccupante » et que « le projet est qu’elle aille chez sa tante qui travaille tard le soir, et qu’elle s’occupe de ses enfants ».

Sur le même sujet : Aux frontières de la France : terre d’écueil

L’audience a duré quinze minutes. Alicia sort de la salle, les policiers aussi. Elle reste sur son téléphone. Quand on discute avec elle, elle explique de sa voix très basse que, la journée, elle regarde la télé sur son téléphone, TF1 ou Gulli, des films de Noël ou le dessin animé Totally Spies. « Tu joues avec les autres enfants ? », lui demande son administratrice. « Non, ils ne parlent qu’arabe, sauf un qui parle anglais », souffle-t-elle. Elle explique qu’elle est en classe de troisième. Un des policiers pointe un écriteau en lui demandant de lire ce qu’il y a écrit. Elle lève la tête et répond : « Tribunal administratif de Melun. »

Dans l’après-midi, le tribunal rend sa décision : il estime que l’atteinte aux libertés fondamentales n’est pas caractérisée et qu’il est incompétent pour juger du maintien ou non en zone d’attente. Une audience à la Cour d’appel avait lieu aujourd’hui, 19 décembre, pour contester la décision du juge des libertés et de la détention. « En espérant que ça fonctionne », confiait l’avocate. Hélas, la justice a confirmé son maintien en zone d’attente. En attendant une des suites, des plus incertaines (1).

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Paragraphe mis à jour le 19 décembre, avec la décision de justice.

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