À Orly, en zone d’attente, avec les mineurs étrangers privés de libertés

Depuis plus de dix jours, une mineure isolée est maintenue à l’aéroport d’Orly. En tout, dix-sept personnes, dont six mineurs, s’y trouvaient lors d’une visite inopinée de la députée Elsa Faucillon. Politis l’a accompagnée. Reportage.

Maxime Sirvins  • 15 décembre 2023
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À Orly, en zone d’attente, avec les mineurs étrangers privés de libertés
Elsa Faucillon, députée PCF, discute avec une mineure isolée en zone d'attente.
© Maxime Sirvins

Aéroport d’Orly, jeudi 14 décembre 2023. Il fait encore froid en cette matinée et les voyageurs s’entassent devant les boulangeries pour prendre leur café. Au milieu de cette effervescence au bilan carbone élevé, Elsa Faucillon, députée des Hauts-de-Seine pour la Nupes (PCF), arrive avec une de ses collaboratrices, Assia Hebbache. « Je n’ai pas pris l’avion depuis plus dix ans », explique en rigolant la députée, avant de relancer « et ce n’est pas près d’arriver à nouveau ». Car aujourd’hui, Elsa Faucillon n’est pas à Orly pour prendre un vol vers une destination touristique.

« C’est tout au fond du terminal, je crois », lance-t-elle, en regardant à droite et à gauche. Arrivée à l’extrémité du terminal 4, loin de voyageurs, elle se retrouve devant un panneau « Accès ZA ». Derrière cet acronyme, qui veut dire zone d’attente, se trouve une petite salle où sont placés les exilés pour une durée maximale de 26 jours. Pour y accéder, il faut se présenter au téléphone devant un accueil vide. Elsa Faucillon fait valoir son droit de visite de parlementaire. Politis l’accompagnera tout le long.

Elsa Faucillon Orly mineurs
Elsa Faucillon arrive en zone d’attente, où sont placées les personnes exilées pour une période maximale de 26 jours. (Photo : Maxime Sirvins.)

Une fois les vérifications faites, nous sommes escortés dans les locaux de la police aux frontières, la PAF. À l’entrée, la salle d’attente rudimentaire avec des bancs en bois est vide. La température est élevée. « Il fait super chaud ici », lance la collaboratrice de la députée. Le long du couloir qui mène à un bureau, une plaque Frontex est affichée sur un mur. C’est l’agence européenne de gardes-frontières et garde-côtes. En juillet 2023, la médiatrice de l’Union européenne a ouvert une enquête contre elle, après le naufrage d’un navire d’exilés faisant environ 500 morts.

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Dans le bureau, des grands tableaux Velleda recouvrent les murs. Dessus, on trouve une liste de 17 personnes, leurs noms, nationalités, dates d’arrivées en France, etc. Parmi elles, 6 sont des mineurs et ont entre 4 et 15 ans. Toutes ces personnes sont actuellement retenues dans la zone d’attente de l’aéroport. Dans le projet de loi immigration, qui a fait l’objet d’une motion de rejet lundi 11 décembre, les mineurs ne pourront plus être placés dans les centres de rétention administratifs. « Mais toujours dans les zones d’attentes », explique la députée. Lundi prochain, le 18 décembre, le texte sera examiné en commission mixte paritaire, CMP, composée de sept députés et sept sénateurs. Des conditions qui risquent de mener à un durcissement de la loi.

« Réacheminement »

Dans la pièce, un commandant de police arrive et se présente poliment. La députée pose alors plusieurs questions sur les mineurs et particulièrement celle isolée, âgée de 13 ans. Les agents nous expliquent qu’elle est arrivée il y a 10 jours « avec deux personnes qui avaient le même nom de famille ». Rapidement, la PAF se rend compte que les identités sont fausses et que la jeune fille est seule. « Pourquoi est-elle encore maintenue dans cette zone ? Pourquoi n’est-elle pas avec l’aide sociale à l’enfance ? » Aux questions de la députée, le commandant répond avec assurance.

« Le parquet lui a défini un administrateur ad hoc qui a décidé qu’elle était plus en sécurité ici. » Ledit administrateur est une personne, désignée par un magistrat, qui se substitue aux parents pour exercer les droits de leur enfant mineur non émancipé, comme l’explique l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE). Sur le tableau blanc, dans la ligne de la jeune fille, la date de « réacheminement » indique le 20 décembre depuis l’aéroport Charles de Gaulle. Elsa Faucillon demande alors si elle sera rapatriée à cette date. « On ne parle pas de rapatriement, mais de réacheminement. Ça change tout », explique le commandant. Les terminologies administratives « expulsion », « rapatriement » ou « réacheminement » n’auront cependant que peu d’intérêt pour la jeune fille, qui est soupçonnée d’être victime de traite humaine.

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Elsa Faucillon demande alors à visiter la zone d’attente pour rencontrer les exilés. À l’intérieur, à l’entrée, un bureau avec deux policiers fait face au reste de la salle. Quelques tables et banquettes accueillent les personnes mentionnées sur les tableaux sous la lumière de quelques néons. Les regards se tournent, curieux, vers la délégation. Elsa Faucillon se présente aux deux agents. Pour l’une des deux, il s’agit de sa première visite d’une députée. La membre du Parti communiste français prend alors le temps de lui en expliquer les raisons.

À première vue, aucune trace de la jeune mineure isolée. Toutefois, bien présente, elle est séparée du reste de la salle par un paravent derrière les deux agents. Elsa Faucillon décide d’aller directement la voir. Emmitouflée dans un grand sweat à capuche, la jeune fille ne lâche pas son téléphone des yeux. Avec douceur, la députée lui explique son rôle. « Je ne suis pas de la police, je ne suis pas là pour le tribunal, je suis juste là pour voir si tu vas bien. » Peu loquace, la jeune congolaise semble totalement perdue et préfère ne pas parler.

Je ne suis pas de la police, je ne suis pas là pour le tribunal, je suis juste là pour voir si tu vas bien.

Elsa Faucillon s’assoit alors à son niveau, face à elle. L’enfant répond alors à quelques questions par un simple « oui » ou « non ». Oui, elle dort bien, même si, dans l’hôtel Ibis où ils sont logés, le réveil est aux alentours de cinq heures du matin pour des raisons d’organisation. Non, elle ne veut pas rentrer chez elle. « Je veux faire des études et être médecin », explique-t-elle pour justifier sa venue. Aux autorités, elle a expliqué être envoyée par ses parents pour garder une jeune fille de six ans chez de la famille en France. À ce moment, Alexis Marty, directeur de la police aux frontières d’Orly, arrive à son tour. « Désolé, j’étais occupé avec la manifestation des employés d’Air France », explique-t-il en souriant.

(Photo : Maxime Sirvins.)

Elsa Faucillon redemande pourquoi la jeune fille n’est pas placée auprès de l’aide sociale à l’enfance. La Cour européenne des droits de l’Homme a même été saisie sur le sujet de son maintien en zone d’attente. « On ne sait pas qui a fait ça », explique le policier, avant de sous-entendre qu’il s’agissait de l’Anafé, l’association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers. Selon le communiqué de celle-ci, « le 12 décembre, la CEDH a suspendu, via une mesure provisoire, le réacheminement » de la jeune fille. « L’éloignement n’étant pas possible, elle aurait dû être libérée instamment par la police aux frontières. »

« Si les parents ne sont pas suffisamment maltraitants, je préfère que l’enfant retourne avec eux »

Ce 15 décembre, un juge de la détention et des libertés a décidé de maintenir la jeune fille dans la zone d’attente. Et lundi 18 décembre, le tribunal administratif examinera si le maintien en détention de cette enfant porte atteinte aux libertés fondamentales. « Ici, ce ne sont pas les zones les plus adaptées, mais si on les laisse à l’ASE, ils s’enfuient dans 100 % des cas », estime le directeur sans expliquer l’origine de ce chiffre.

« En tant que père, je préfère qu’elle soit avec ses parents plutôt. » Dans cette histoire, la suspicion de traite d’être humain a été levée après une enquête avec la police congolaise sur les parents. Pourtant, ils ont tout de même envoyé leur fille, seule, avec des faux papiers, censée être reçue dans une famille qui ne semble pas lui prêter beaucoup d’intérêt, d’après l’enquête. Pour Elsa Faucillon, il y a alors un risque de maltraitance. « Si les parents ne sont pas suffisamment maltraitants, je préfère que l’enfant retourne avec eux », explique Alexis Marty. En entendant cette phrase, Elsa Faucillon et sa collaboratrice se regardent, presque choquées. Le directeur de la PAF repartira quelques minutes plus tard retrouver la manifestation.

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La députée fait ensuite un tour de la salle pour parler aux différentes personnes, mais la barrière de la langue met un coup d’arrêt à l’élan, alors qu’une famille irakienne avec cinq enfants demande de l’aide. La discussion avec elle se fait avec Google Traduction. « Nous avons peur de mourir en Irak », « mon fils a de la fièvre », « on veut un avocat », « on a très peur et on est épuisés. » Pendant quasiment une heure, le binôme de l’Assemblée s’efforce d’aider la famille, tout en les mettant en contact avec l’Anafé.

La députée tente de trouver des solutions pour une famille irakienne. Faute de traducteur, les échanges se font au moyen de Google Traduction. (Photo : Maxime Sirvins.)

L’association reçoit pendant la visite plusieurs procès-verbaux envoyés par la députée pour effectuer un recours de la décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, (Ofpra). Alors que la famille indique être « en danger de mort », l’Ofpra a décidé que la demande d’accueil était « manifestement infondée ». Eux aussi sont maintenus dans la zone d’attente, d’après la décision du juge de la détention et des libertés.

Deux heures de visite plus tard, la petite délégation quitte les lieux après un dernier passage devant la mineure isolée de 13 ans. Alors que le risque de traite d’être humain par sa famille semble avoir été écarté, Elsa Faucillon lui demande si elle veut retourner chez ses parents. « Je ne sais pas », répond l’enfant.

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Société
Publié dans le dossier
Aux frontières, la France inhumaine
Temps de lecture : 10 minutes
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