Comment LR impose au gouvernement une cohabitation sur la ligne du RN

Pour faire adopter sa loi immigration, et pour qu’Élisabeth Borne reste en poste, le gouvernement doit satisfaire Les Républicains… en s’alignant sur le Rassemblement national. Marine Le Pen a déjà gagné.

Pierre Jacquemain  • 18 décembre 2023
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Comment LR impose au gouvernement une cohabitation sur la ligne du RN
Manifestation contre la loi Darmanin, à Paris, en mars 2023.
© Lily Chavance

Avec le projet de loi Darmanin sur l’immigration, il n’est plus question d’êtres humains, il est question de nombre et d’indésirables. Comme si le danger, en France, ne venait que de l’extérieur, que par-delà nos frontières. On ne parle pas d’hommes ou de femmes, ni même d’enfants, mais de sous-êtres.

Depuis que le texte a été rejeté par l’Assemblée nationale, et que Les Républicains se retrouvent au cœur du jeu politique, les pires horreurs et les clichés les plus nauséabonds sur les étrangers – ceux qui fuient la guerre, la faim ou le dérèglement climatique – se diffusent à une allure folle, jusque dans les rangs de la majorité. Parce qu’il faut plaire à l’extrême droite, marcher sur ses plates-bandes. Reprendre son fonds de commerce. L’étranger, c’est l’ennemi numéro un : voilà ce qu’ont en commun le parti présidentiel, LR et RN.

Sur l’échelle du racisme décomplexé, on atteint des sommets.

Ce matin encore, lors d’une interview de Bruno Retailleau sur BFM, le patron des Républicains du Sénat a sorti de son chapeau le concept de présomption de culpabilité. L’étranger, par définition, est coupable. Disposé à commettre des crimes, et des attentats, bien sûr. Avant lui, Éric Zemmour avait décrété que tous les mineurs isolés étrangers étaient « des voleurs, des assassins, des violeurs ». Retailleau redit de manière plus policée ce pour quoi Zemmour a été condamné pour provocation à la haine raciale. Pas de doute, tout le monde regarde dans le même sens. Et avec eux, ils entraînent la majorité présidentielle. Sur l’échelle du racisme décomplexé, on atteint des sommets.

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Ce week-end, la cheffe du gouvernement, Élisabeth Borne, a réuni à plusieurs reprises la droite des Républicains pour parvenir à un compromis sur le texte de loi et qui doit permettre à la commission mixte paritaire (CMP), en séance ce soir à 17 h, d’être conclusive. Notez bien qu’elle n’a pas invité la gauche. Pas plus que le centre. Non, elle a réuni la droite.

Cette droite se confond plus que jamais avec l’extrême droite dont les propositions – à quelques exceptions près – conviendraient désormais à la Première ministre. Au point même d’assumer une forme de préférence nationale si chère au Rassemblement national – feu le Front national. Aurore Bergé, ministre des Solidarités, a d’ores et déjà annoncé que l’octroi des allocations sociales pour les étrangers en situation régulière allait être discuté. Coûte que coûte, le gouvernement semble prêt à accepter l’inacceptable, du Jean-Marie Le Pen dans le texte, pour que la loi soit votée.

Un temps, le gouvernement avait fixé des « lignes rouges infranchissables ». Elles sont désormais largement franchies. Peu importe le sort des étrangers, Borne veut garder son poste. Or son maintien à Matignon dépend du passage du texte à l’Assemblée nationale et de son approbation par une majorité de députés – ce qui reste à ce stade toujours aussi incertain, même si la CMP devait être conclusive. En reprenant la main sur les négociations, contre Gérald Darmanin, elle lie son sort à celui du texte immigration.

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Le gouvernement et sa Première ministre n’étant peut-être pas suffisamment malmenés, voire humiliés, Les Républicains ont requis que la Première ministre s’engage par écrit auprès du président du Sénat Gérard Larcher, aujourd’hui avant 17 heures, à réformer l’Aide médicale d’État que les LR veulent supprimer. Sans ce courrier, pas d’accord sur le texte, ont exigé les Républicains. Les LR dictent l’agenda du gouvernement sur une ligne d’extrême droite. Du jamais vu. Comme si, finalement, les Républicains imposaient une cohabitation au gouvernement… sur un axe Zemmour-Le Pen. Emmanuel Macron s’est fait élire contre l’extrême droite, mais il lui passe le relais du pouvoir un peu plus chaque jour.

De lois liberticides en lois xénophobes, ce sont les idées de Le Pen que reprend le pouvoir en place.

Reste à savoir comment les députés macronistes – de Renaissance au Modem en passant par Horizons, notamment ceux tentés par une fronde (pour de bonnes ou mauvaises raisons, c’est-à-dire par conviction ou par calcul politique), qu’on estime à une trentaine – se comporteront lors du vote à l’Assemblée nationale demain soir. Si le texte remanié devait être rejeté, le gouvernement aurait beau jeu de renvoyer l’échec sur le dos des Républicains : ce sera avant tout l’échec du gouvernement. Dans ces conditions, la majorité sortirait fracturée par la mobilisation de ses frondeurs. Si le texte devait être voté, nous basculerions dans une autre France que celle qui avait fait de la solidarité, de l’accueil et de l’asile une boussole. Une fierté.

On dit désormais Marine Le Pen prête à prendre le pouvoir, avant ou après 2027. Force est de constater qu’elle a déjà gagné. De lois liberticides en lois xénophobes, ce sont ses idées que reprend le pouvoir en place. Une fois à l’Élysée, elle n’aurait plus grand-chose à faire pour que la France bascule vers le pire.

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Parti pris

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