Citoyen·nes, réveillons-nous !

Avec Emmanuel Macron, la démocratie représentative est court-circuitée par des « comités Théodule » ancrés dans le privé, qui se servent au passage en servant l’État. Sortons de notre torpeur.

Rose-Marie Lagrave  • 10 janvier 2024
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Citoyen·nes, réveillons-nous !
Manifestation contre la réforme des retraites, boulevard Voltaire, à Paris, le 28 mars 2023.
© Guillaume Deleurence / Illustration : atelier Dugudus

Certain·es se veulent citoyen·nes du monde, d’autres aspirent à devenir un jour citoyen·nes, quand celles et ceux qui ont lutté pour conquérir enfin cette qualité (les femmes notamment et les minorités) regardent perplexes comment et à quelle vitesse le champ d’exercice de leur citoyenneté se rétrécit comme peau de chagrin. Partisan·es ou détracteur·rices de la démocratie représentative, force est de constater que c’est la seule version qui nous reste, encore qu’elle soit sérieusement restreinte dans ses prérogatives.

Le président, bon prince, entend donner de la main droite ce qu’il a volé de la gauche.

Il n’est pas de jour sans que l’on ne soit délesté de cette petite parcelle de citoyenneté que nous exerçons par délégation. C’est encore trop : les voix qui portent l’écho des nôtres dans l’enceinte de l’Assemblée nationale battent certes la charge, mais doivent vite rendre gorge puisqu’on leur tire le tapis sous les pieds. Pas question de voter, trop risqué. À coups de 49.3 (on en compte désormais 23), l’exécutif et le président de la République contournent les obstacles et mettent un terme aux débats laissant en rade le peuple sans assemblée.

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Mais le président, bon prince, entend donner de la main droite ce qu’il a volé de la gauche. Soucieux de prendre le pouls de ses concitoyens, il multiplie les commissions ad hoc à chaque fois qu’il entend impulser une politique sectorielle : l’écologie, les politiques de mémoire, la fin de vie, la Ciivise, la commission sur la parentalité, la liste n’est pas close. Mais il n’y suffit pas, les cabinets de conseil (McKinsey, Capgemini, etc.), qui coûtent un « pognon de dingue », sont sollicités et remplacent les commissions permanentes de l’Assemblée nationale, dont le travail est ainsi mis sous cloche.

On se prend à rêver d’une Assemblée dont tou·tes les député·es se lèveraient et se casseraient le temps que leurs droits soient rétablis.

Les instances légitimes de la démocratie représentative sont court-circuitées par des « comités Théodule » ancrés dans le privé, qui se servent au passage en servant l’État. S’opère ainsi un glissement de plaques tectoniques de l’État au privé qui marque la dérive d’une République de citoyens à une République d’« experts ». Le comble de cette dérive est qu’elle n’est même pas cohérente avec elle-même. Les rapports rendus n’obligent nullement le président à en respecter les recommandations.

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Pire encore, les commissions mises en place se voient assigner des objectifs déjà définis que les membres n’ont plus qu’à entériner : tel est le cas de la commission sur la parentalité, dont trois sociologues ont démissionné avant même de commencer à débattre. Ils eussent été bien inspirés de refuser au préalable une telle mission, en rappelant qu’elle est du ressort de l’Assemblée nationale, ce qui veut dire, au passage, que tant qu’il y aura des conseillers du prince pour détourner le pouvoir qui est dû aux citoyens, la démocratie représentative restera lettre morte.

Et l’on se prend à rêver d’une Assemblée dont tou·tes les député·es, comme un seul corps, se lèveraient et se casseraient le temps que leurs droits soient rétablis. Et nous, citoyen·nes ordinaires, nous assiégerons les bas-côtés pour faire passer le message : nos voix comptent et il faudra compter avec nous, à condition qu’en ce début d’année on sorte d’une coupable torpeur pour passer à l’action.

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