Gaza, cette moins que rien

Les soldats israéliens n’hésitent pas à mettre en scène leurs exactions contre les Palestiniens dans des photographies, devenant des éléments fondamentaux du processus de torture lui-même.

Kaoutar Harchi  • 21 février 2024
Partager :
Gaza, cette moins que rien
Un soldat israélien, près de la frontière avec la bande de Gaza, le 19 février 2024.
© RONALDO SCHEMIDT / AFP

Demain, lorsque tout sera fini et que nous peinerons à croire que tous ces enfants, toutes ces femmes, tous ces hommes ont été tués, nous nous demanderons pourquoi. Puis nous nous souviendrons que tous étaient de Palestine. Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’être de là, s’en revendiquer, exiger que cela soit reconnu, méritait, aux yeux de l’État israélien, bombes, destruction, famine, maladie et mise à mort.

Puis nous nous demanderons comment, qui, quand, où ? Nous chercherons des documents et nous retrouverons nombre de photographies et de films montrant des soldats de l’armée israélienne s’emparer d’un coffre-fort, détruire un magasin de jouets d’enfants, mettre le feu à des maisons, ou du moins à ce qu’il en reste (1).

Ces mises en scène sont le fait des soldats eux-mêmes, qui souvent vont plus loin encore et font entrer leurs victimes dans la photographie. Je pense, par exemple, à ce soldat exhibant les sous-vêtements rouges d’une femme palestinienne. Cette femme existe sans exister. Elle a été capturée au triple sens du terme. Elle a été prise par la violence coloniale – peut-être est-elle morte. Ses affaires intimes ont été prises en photo par des photographes impitoyables. Ses affaires, encore, ont peut-être été volées par ces photographes, une fois la photographie prise.

La relation colon/colonisé est ainsi, en plus d’une catégorie raciale, une catégorie sexuelle.

Que les soldats de l’armée israélienne choisissent d’exhiber ce type d’affaires n’est pas anodin. Photographié, le sous-vêtement rouge devient le support de la construction d’une masculinité nationale, coloniale et guerrière. De là, Israël est figuré comme une force militaire virile, brutale, supérieure, tandis que Gaza est féminisée, traitée comme une femme, réduite à « une femme noire », à « une pute », comme l’affirmait le chanteur israélien Lior Narkis, le 15 novembre 2023. La relation colon/colonisé est ainsi, en plus d’une catégorie raciale, une catégorie sexuelle.

Sur le même sujet : Gaza : des mots pour l’innommable

La photographie, nous le voyons bien, est un élément fondamental du processus de torture lui-même. Son usage, tant idéologique que stratégique, favorise le déploiement d’un imaginaire colonial sexuellement structuré, typique de tout régime d’annexion politique. Cela fut observé, hier, dans l’Algérie coloniale et nous l’observons aujourd’hui dans la Palestine colonisée. Demain, lorsque tout sera fini et que nous commencerons à croire que tous ces enfants, toutes ces femmes, tous ces hommes ont été tués, nous continuerons sûrement à nous demander pourquoi. C’est une question lancinante que rien ne semble épuiser.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Idées Intersections
Temps de lecture : 2 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Caroline Chevé : « La situation en cette rentrée scolaire est très inquiétante »
Entretien 1 septembre 2025 abonné·es

Caroline Chevé : « La situation en cette rentrée scolaire est très inquiétante »

C’est l’un des nouveaux visages du monde syndical. La professeure de philosophie a pris la tête de la FSU, première fédération syndicale de l’enseignement, au début de l’année. C’est dans ce nouveau rôle qu’elle s’apprête à vivre une rentrée scolaire et sociale particulièrement agitée.
Par Pierre Jequier-Zalc
Violences sexuelles : et si le « oui » ne valait rien ?
Idées 28 août 2025 abonné·es

Violences sexuelles : et si le « oui » ne valait rien ?

L’inscription de la notion de consentement dans la définition pénale du viol a fait débat l’hiver dernier à la suite du vote d’une proposition de loi. Clara Serra, philosophe féministe espagnole, revient sur ce qu’elle considère comme un risque de recul pour les droits des femmes.
Par Salomé Dionisi
Insaf Rezagui : « La France pourrait être poursuivie pour complicité si elle continue de soutenir Israël »
Entretien 27 août 2025

Insaf Rezagui : « La France pourrait être poursuivie pour complicité si elle continue de soutenir Israël »

Alors que l’Assemblée générale de l’ONU se réunit en septembre et que le génocide perpétré par Israël à Gaza se poursuit, la docteure en droit international public Inzaf Rezagui rappelle la faiblesse des décisions juridiques des instances internationales, faute de mécanisme contraignant et en l’absence de volonté politique.
Par Pauline Migevant
Le ressentiment, passion triste et moteur des replis identitaires
Société 29 juillet 2025

Le ressentiment, passion triste et moteur des replis identitaires

Dans ce texte puissant et lucide, l’historien Roger Martelli analyse les racines profondes d’un mal-être né des blessures sociales et de l’impuissance à agir. À rebours des discours simplificateurs, il en retrace les usages politiques, notamment dans la montée des extrêmes droites, qui savent capter et détourner cette colère refoulée vers l’exclusion et la stigmatisation de l’autre.
Par Roger Martelli