L’agriculture sacrifiée

L’écologie est devenue le bouc émissaire des gouvernements et de l’agro-industrie productiviste. L’accord entre le Premier ministre, Gabriel Attal, et le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, en est la caricature.

Jérôme Gleizes  • 8 février 2024
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L’agriculture sacrifiée
Gabriel Attal en visite d'une ferme à Parcay-Meslay, près de Tours, le 28 janvier 2024.
© ALAIN JOCARD / AFP

« Dans la sphère de l’agriculture, la grande industrie fait disparaître le paysan et lui substitue le salarié. La production capitaliste détruit non seulement la santé physique des ouvriers urbains mais trouble encore la circulation matérielle entre l’homme et la terre, en rendant de plus en plus difficile la restitution de ses éléments de fertilité, des ingrédients chimiques qui lui sont enlevés et usés sous forme d’aliments, de vêtements… » (1)

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Marx, Le Capital, 1867

150 ans plus tard, ces mots sont toujours autant d’actualité. L’écologie est devenue le bouc émissaire des gouvernements et de l’agro-industrie productiviste. L’accord entre le Premier ministre, Gabriel Attal, et le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, est caricatural. Ce dernier est plus marqué par son diplôme d’école de commerce que par ses pratiques agricoles. Les hectares de céréales cultivées cachent sa présidence du leader français des huiles, le groupe Avril.

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En 2022, 9,5 milliards d’euros d’aides agricoles ont été distribués à la France. Mais ces aides, premier pilier de la politique agricole commune (PAC), financent essentiellement les gros producteurs, créant des inégalités. Selon l’Insee, 18 % des paysans vivent en dessous du seuil de pauvreté pendant que, selon Mediapart, Arnaud Rousseau a perçu, rien que de la PAC, 173 441 euros d’aides en 2021. Sans compter que les revenus issus des participations dans les sociétés de l’agroalimentaire ne sont jamais inclus (2).

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« Arnaud Rousseau, un poids lourd de l’agrobusiness pour diriger la FNSEA », Amélie Poinssot, 27 mars 2023.

Depuis toujours, les organisations syndicales productivistes françaises, avec le soutien des politiques de droite comme de gauche, ont refusé d’orienter la PAC vers son deuxième pilier fondé sur le développement rural et ont défendu un modèle d’exportation qui épuise les sols, maltraite les animaux, intoxique les paysan·nes, les endettant jusqu’au suicide.

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La seule voie raisonnable, défendue notamment par la Confédération paysanne, est celle de l’agroécologie, qui garantit une rémunération stable. L’agriculture est une composante essentielle des écosystèmes. Le modèle productiviste émet trop de gaz à effet de serre directement (méthane et CO2) et indirectement par des transports inutiles.

Les syndicats productivistes ont toujours défendu un modèle d’exportation qui épuise les sols, maltraite les animaux, intoxique les paysan·nes.

Il appauvrit les paysanneries vivrières au profit de la distribution et de l’agro-industrie. Selon le rapport 2022 de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, l’agriculture représente seulement un peu plus de 10 % de la valeur ajoutée, soit 6,90 euros sur 100 euros payés par le consommateur contre 10,40 euros pour les industries alimentaires.

Agriculture et écologie sont intrinsèquement liées. Il faut sortir du modèle productiviste pour celui basé sur le concept amérindien de « Suma Kasai » (bien vivre) qui a été incorporé dans les constitutions de l’Équateur et de la Bolivie. Les êtres humains ne sont ni hors, ni au-dessus des écosystèmes. Ils en sont une composante essentielle. Loin de sauver l’agriculture, la Macronie la sacrifie.

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