L’arrêt menstruel, « un sujet de société et de santé publique »

Le Sénat examine ce 15 février un texte qui permettrait aux femmes de bénéficier d’un arrêt de travail et d’un suivi médical en cas de règles douloureuses. Le bilan dressé par les communes ayant testé le dispositif apparaît positif. Mais le texte pourrait être bloqué par la droite.

Luna Guttierez  • 14 février 2024
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L’arrêt menstruel, « un sujet de société et de santé publique »
© Klara Kulikova / Unsplash

Mise à jour le 16 février 2024

La droite sénatoriale et le gouvernement ont, comme on pouvait le craindre, rejeté la proposition de loi sur l’arrêt menstruel, avec 206 voix contre et 117 pour. On notera que les votes contre se rapprochent étrangement du nombre d’hommes au Sénat (221 ; 64 % des élus). Les réfractaires craignent un non-respect du secret médical et une stigmatisation des femmes. « Je ne pense pas que toutes les femmes souhaiteraient faire connaître la raison de leur absence », a déclaré le ministre délégué à la santé, Frédéric Valletoux. Puisqu’il va de soi qu’en tant qu’homme, il a bien évidemment vécu la douleur des règles lui permettant de penser à la place des femmes…

L.G.


Première publication le 14 février 2024

Ce jeudi 15 février rentrera peut-être dans l’histoire des combats menés au nom des droits des femmes. Le Sénat doit examiner une proposition de loi portée par la sénatrice socialiste Hélène Conway-Mouret sur l’arrêt menstruel. Les femmes de 15 à 45 ans qui ont des règles douloureuses pourraient ainsi bénéficier d’un ou deux jours d’arrêt par mois, sans perdre leur salaire. Des solutions graduées en fonction de la douleur : aménagements du poste et du temps de travail, recours au télétravail étendu puis arrêt menstruel si la personne n’est pas apte à travailler. Un suivi médical serait assuré par des gynécologues dans les centres municipaux de santé.

Il m’arrive de perdre la vue, c’est invalidant pour le travail.

Aurélie

Aurélie raconte souffrir de migraines pendant ses règles : « Il m’arrive de perdre la vue, c’est invalidant pour le travail, je ne peux tout simplement pas. » En septembre dernier, elle a demandé un certificat médical au cas où, un jour, ses règles l’empêcheraient d’aller travailler. À Saint-Ouen, où Aurélie travaille au service des archives, l’arrêt menstruel a été expérimenté. Pour elle, c’est un soulagement de savoir qu’elle peut demander un aménagement de dernière minute. « Tout est stipulé sur ma fiche de poste. J’ai bénéficié d’un jour en télétravail et je n’ai jamais demandé d’arrêt. Contrairement à ce que disent les réfractaires, les femmes n’abusent pas de ce droit. »

Sur le même sujet : Saint-Ouen, première ville française à mettre en place le congé menstruel

Ce dispositif dont a bénéficié Aurélie à Saint-Ouen a été lancé il y a un an par Karim Bouamrane, maire socialiste de la ville. Depuis, 15 autres communes – principalement de gauche – l’ont expérimenté auprès de leurs agentes. Une semaine avant le vote des sénateurs, les maires ayant mis en place l’arrêt menstruel se sont réunis lors d’une conférence de presse pour appeler à une « globalisation de l’arrêt menstruel dans tout le pays en l’inscrivant dans un cadre législatif ». Pour le maire écologiste de Grenoble, Éric Piolle, les politiques locales montrent que le chemin est possible. « Avec la mise en application concrète de l’arrêt menstruel dans nos communes, c’est un message fort que nous envoyons aux parlementaires. On a la capacité de le faire. »

Difficultés juridiques

« Est-ce que le gouvernement souhaite laisser faire ces expérimentations et que petit à petit, elles amènent une reconnaissance de ces douleurs dans la société française ? Ou bien est-ce qu’il veut marquer ses prérogatives et attaquer les initiatives ? », demande le maire de Grenoble, Éric Piolle. Plusieurs élus affirment avoir subi des difficultés d’ordre juridique avec certaines préfectures. Michelle Delage, élue d’Abbeville en charge de l’égalité femmes hommes, raconte : « Le conseil municipal a voté à l’unanimité pour l’expérimentation de l’arrêt menstruel chez les agentes. Faute de reposer sur une loi, le projet a été retoqué par la sous-préfecture de la ville. »

D’où l’importance d’inscrire l’arrêt menstruel dans la législation pour faire avancer les droits des femmes. « La proposition de loi, permettra de donner un cadre juridique pour généraliser l’arrêt menstruel dans toutes les entreprises et collectivités », affirme la sénatrice Hélène Conway-Mouret. Ce dispositif peine à convaincre les différentes familles politiques. Pour ceux qui le portent, ce projet se veut transpartisan. Mais les statistiques parlent d’elles-mêmes : sur les 16 maires, deux élus de droite ont mis en place cet arrêt. Il s’agit du maire d’Arras, Fred Leturque et celui d’Abbeville, Pascal Demarthe.

« Un sujet de santé publique »

L’humoriste Enora Malagré, marraine de l’association Info-endométriose, est atteinte de cette pathologie. Lors de la conférence de presse, elle raconte : « Une crise, c’est vomir, ramper sur le sol, avoir des contractions comme pendant l’accouchement, perdre connaissance ». Elle ajoute : « Il ne faut pas que cela soit une double peine pour les femmes. Elles souffrent déjà beaucoup et aimeraient pouvoir vivre normalement. ».

« C’est un sujet de santé publique, de bien-être au travail et de justice sociale. Il faut parler librement du sujet intime des douleurs invalidantes. Elles sont silencieuses et pourtant, elles impactent négativement la carrière professionnelle des femmes », détaille la sénatrice Hélène Conway-Mouret. Au travail, ces douleurs invisibilisées ont des conséquences sur le pouvoir d’achat des femmes. Celles qui peuvent prendre un arrêt perdent une partie de leur salaire. Tandis que les plus précaires sont obligées de travailler dans la douleur, ce qui les empêche d’être efficientes. L’arrêt menstruel permet d’avancer réellement sur le chantier de l’égalité des chances au travail.

On nous a toujours dit que c’était normal d’avoir mal pendant les règles.

S. Abboud

Beaucoup de femmes ne parlent pas de la douleur de leurs règles (dysménorrhées). On estime pourtant qu’environ une sur deux en souffrirait. « On nous a toujours dit que c’était normal d’avoir mal pendant les règles, sauf qu’on peut faire autre chose que simplement dire qu’il faut vivre avec », explique la gynécologue obstétricienne Sarah Abboud. L’arrêt menstruel, valable un an, permet aux femmes d’être accompagnées médicalement.

« La reconnaissance passe par la prise en charge des patientes, on ne leur dit pas simplement de rester chez elles, on essaye de trouver des solutions médicales pour diagnostiquer et soulager », détaille la gynécologue. Une fois identifiés, les symptômes peuvent signaler la présence d’une pathologie et proposer un traitement en conséquence. « Avec un vrai accompagnement, elles continuent à travailler », affirme Sarah Abboud.

Un projet transpartisan qui peine à convaincre la droite

Alors qu’Emmanuel Macron a fait de l’égalité femmes hommes la grande cause de ses deux mandats, Hélène Conway-Mouret s’est saisie de cette annonce pour travailler avec Marie Lebec, la ministre chargée des relations avec le Parlement. « Elle était tout à fait réceptive, elle veut clarifier certaines choses avec ses collègues ».

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Côté Sénat, dont la majorité est à droite, la proposition de loi sur l’arrêt menstruel a été rejetée en commission, mercredi 7 février. Des séries de propositions de loi sur le sujet ont déjà été retoquées dans le passé et un rapport sénatorial en juin dernier se prononçait défavorable à une telle solution. Cette fois-là sera-t-elle la bonne ? Hélène Conway-Mouret considère les parlementaires « en opposition idéologique » mais estime « que cela peut se rejoindre » lors du vote du 15 février.

Les sénateurs craignent d’éventuels abus de l’arrêt menstruel. La douleur n’est pas quantifiable, il faudrait miser sur la confiance, chose inenvisageable pour certains. La sénatrice, elle, affirme que « les femmes n’abusent pas de cet arrêt et qu’il ne poussera pas les employeurs à les discriminer. Dans tous les cas, celles atteintes de dysménorrhées ne vont pas ou mal travailler, autant les soulager et les protéger. »

Si le Sénat rejette cette proposition, la République aura eu un manquement.

K. Bouamrane

Sur une année d’expérimentation, le bilan de la mairie de Saint-Ouen a démontré que seulement 15,5 % (1) des femmes en souffrance avaient demandé un arrêt, bien loin de l’abus craint par les parlementaires. « La part de la population française qui souffre de règles douloureuses s’élève à 25 % et ne bénéficie pas de cadre juridique. Si le Sénat rejette cette proposition, la République aura eu un manquement », affirme Karim Bouamrane, maire de Saint-Ouen.

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Mise à jour le 19 février : et non 7,5 % comme écrit précédemment.

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