« Eureka », rêves d’Indiens

Lisandro Alonso réalise un film politique et chamanique.

Christophe Kantcheff  • 27 février 2024 abonné·es
« Eureka », rêves d’Indiens
"Eureka" est un exemple de cohérence entre la forme et le fond, ce couple éternel.
© Le Pacte

Eureka / Lisandro Alonso / 2 h 27.

Et revoici Viggo Mortensen, qui interprétait déjà l’un des protagonistes du film précédent de Lisandro Alonso, Jauja. Dans Eureka, son personnage est plongé dans ce qu’il est convenu d’appeler le « far west » – en noir et blanc. Il arrive dans un village où règnent la violence et la déprédation, à la recherche de quelque chose ou de quelqu’un. Son atout : il excelle dans l’activité qui fait ici la loi. Il est habile de la gâchette. Mais le voici dans une situation délicate…

Quand, soudain, la caméra recule légèrement. Un écran de télévision encadre ce que nous venons de voir : il s’agit d’un film, donc. Ce téléviseur est situé dans un intérieur – l’image est désormais en couleur – où, à l’arrière-plan, s’affaire une femme policière, Alaina (Alaina Clifford). Elle s’apprête à sortir pour commencer sa journée de travail.

Excellent début, qui pose un fossé béant. D’un côté, un western typique états-unien, une histoire de Blancs où les Indiens jouent les utilités. De l’autre, une policière indienne (qui ne peut se retrouver dans ce western, qu’elle ignore) quadrillant seule une réserve où ses semblables sont groggy par la misère. La dimension sociale et politique est essentielle dans Eureka, même si elle n’est pas explicite. D’autant que, après Alaina, on suit sa nièce, Sadie (Sadie Lapointe), qui, elle, va visiter son jeune frère en prison. Puis vient un troisième volet où l’on se retrouve avec des orpailleurs en Amazonie.

Espace-temps indéfini

Une autre dimension traverse le film : surnaturelle. De ce point de vue, Eureka traduit une évolution du réalisateur argentin : après ses premiers films, La Libertad (2001) et Los Muertos (2004), très matérialistes, le fantastique a peu à peu investi son cinéma. Pour être beaucoup plus présent ici, où l’espace-temps n’est pas exactement défini. On ne traverse pas pour autant les lieux et les époques de façon arbitraire. Lisandro Alonso s’est inspiré du chamanisme, très ancré chez les Indiens. La plus belle réincarnation que montre le cinéaste est celle d’Alaina, qui, désireuse de s’extraire de son désespoir, s’en remet aux pouvoirs de son grand-père pour disparaître et se transformer en oiseau.

La plus grande force d’Eureka est de ne jamais se situer en surplomb de l’univers des Indiens.

La magie expressive des longs plans séquences qu’affectionne Lisandro Alonso ne fonctionne pas toujours (surtout dans la troisième partie). Mais la plus grande force d’Eureka est de ne jamais se situer en surplomb de l’univers des Indiens (ce qui constitue toujours un problème, même si c’est avec les meilleures intentions du monde), mais depuis cet univers. En cela, Eureka est un exemple de cohérence entre la forme et le fond, ce couple éternel.

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Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes