Fin de vie : l’intérêt général de la dignité

Alors que l’examen du projet de loi sur l’accompagnement des malades et de la fin de vie a démarré lundi 27 mai, l’exécutif mobilise la nécessaire notion de dignité de la mort alors qu’il participe, par sa politique, à rendre indigne la vie.

Hugo Boursier  • 28 mai 2024
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Fin de vie : l’intérêt général de la dignité
L'unité des soins palliatifs de Bourges, en février 2024.
© Hugo Boursier

L’entrée du projet de loi sur la fin de vie à l’Assemblée nationale, lundi 27 mai, colore l’Hémicycle d’un attachement général à la notion de « dignité ». Dignité de la vie, dignité de la mort. Un joli mot que le gouvernement utilise à loisir lorsqu’il défend un texte mûri par une commission spéciale, une convention citoyenne et un comité consultatif national d’éthique, et dont les élu·es vont se saisir selon leurs convictions mais aussi leurs croyances intimes. Le gouvernement a raison de vouloir faire entrer la fin de vie dans cet espace d’intégrité des êtres.

Trop de personnes atteintes d’une « affection en phase avancée ou terminale » – expression qui a été retenue en commission spéciale à la place de celle, jugée trop imprécise, de « pronostic vital engagé à court ou moyen terme » – agonisent à l’ombre des lois et du droit.

Sur le même sujet : Notre dossier : « Fin de vie, fin d’un tabou français »

Que la faute soit portée d’emblée sur la situation chaotique des soins palliatifs est une évidence. Le texte a l’ambition, d’ailleurs, de combler des trous béants. Sans dire précisément comment, pour l’instant. Mais la gauche, majoritairement favorable, doit rester vigilante, comme le groupe insoumis l’a été en faisant adopter, en commission, un amendement important pour asseoir le caractère non lucratif des nouvelles maisons d’accompagnement. Le tout afin d’éviter « un Orpea de la fin de vie », comme nous l’a glissé le député de Haute-Garonne Hadrien Clouet.

Une longue inertie politique qui a préféré ne pas regarder en face les personnes prêtes ou condamnées à mourir.

Mais la faute revient aussi à une longue inertie politique qui, trop longtemps, a conduit à ne pas regarder en face les personnes prêtes ou condamnées à mourir. Un détournement irresponsable du regard. Pourtant, nombre d’entre elles et de leurs soutiens – associatifs, médecins, citoyens –, souhaitent disposer de ce choix, et de ce droit.

Loin des peurs et des fantasmes

Ils ont besoin de savoir que ce dernier existe, qu’il est garanti par la collectivité, et que l’on peut définitivement apaiser ses souffrances lorsqu’elles sont réfractaires à toute solution miracle. Loin des peurs, ou des fantasmes, d’une entreprise de mort à portée de main – ce qui ne semble être ni la philosophie du texte, ni le fond des arguments défendus par celles et ceux qui le soutiennent. C’est cet équilibre, difficile mais nécessaire, que les voix des cultes et des intégristes essaient de rompre. Et la galaxie Bolloré, qui offre un porte-voix puissant aux associations réactionnaires, s’y attelle méthodiquement.

Une vie digne, un travail digne, une retraite digne, une mort digne. L’exécutif feint de l’avoir oublié.

Mais si cet horizon d’une mort digne doit être approché, comme le souhaite apparemment l’exécutif, il ne faut pas oublier tout ce que ce dernier entreprend pour réunir les conditions d’une vie indigne. Il est d’ailleurs tristement ironique de constater que 24 petites heures seulement séparent l’éloge d’une mort paisible de l’annonce, dimanche 26 mai par Gabriel Attal, de la nouvelle réforme de l’assurance-chômage, qui continue de précariser la vie des personnes en recherche d’emploi. 

Le gouvernement joue à pile ou face avec la dignité, valeur qui était déjà au cœur de la mobilisation contre la réforme des retraites, l’an dernier. Une vie digne, un travail digne, une retraite digne, une mort digne : l’exécutif feint d’avoir oublié qu’ils vont de pair, mais personne n’est dupe.

Sur le même sujet : Elisa Rojas : « Notre mort est toujours considérée comme libératrice par cette société » 

La dignité, c’est aussi ce que demandent les personnes handicapées. Et l’on peut comprendre les craintes des collectifs antivalidistes devant un projet de loi qui leur apparaît comme une morbide issue de secours, tant leurs droits sont bafoués au quotidien. À l’Assemblée nationale, lundi, la députée écologiste Sandrine Rousseau a voulu les rassurer en affirmant que des amendements les protégeront. Le tout pour garantir un nouveau et précieux droit. Et pour porter l’intérêt général de la dignité. 

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