« L’Amour ouf », de Gilles Lellouche (Compétition)

Vous prendrez bien un peu de Canada Dry ?

Christophe Kantcheff  • 24 mai 2024
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« L’Amour ouf », de Gilles Lellouche (Compétition)
Lellouche a rempli son caddie. Il exhibe, émerveillé, tous les articles qu’il a achetés : gros calibres, hémoglobine, coups et blessures.
© Cédric Bertrand

L’Amour ouf / Gilles Lellouche / 2 h 46.

Gilles Lellouche a dans les yeux de l’enfant qu’il est resté des rêves de cinéma américain. Pour un réalisateur français, c’est original. Qui, en dehors de lui, pourrait nourrir une telle inclination ? Celle-ci ne va pas vers le cinéma indépendant, surreprésenté lors de cette soixante-dix-septième édition (ne serait-ce que dans la compétition, avec les films de Coppola – autofinancé –, Schrader ou Baker) pour cause de pénurie du côté des majors, paralysées l’an dernier par les longues grèves des acteurs et des scénaristes. Non, Lellouche regarde vers la grande flamboyance, la machinerie d’apparat, la légende étoilée. Son rêve est hollywoodien.

Le film est à Hollywood ce que Dick Rivers était à Chuck Berry.

L’Amour ouf est donc le film américain que beaucoup désespéraient de voir en l’absence de Tom Cruise et de Leonardo DiCaprio. Sauf qu’il est à Hollywood ce que Dick Rivers était à Chuck Berry.

Soit une grande histoire d’amour commencée dès l’adolescence entre la sage Jackie et le voyou Clotaire (père violent, se sentant méprisé par le monde…, tout le toutim psychologique pour expliquer bien bien). Ces deux-là s’aiment dans les années 1980. Clotaire commence sa carrière de délinquant en s’attaquant aux parcmètres et déclare sa flamme à sa dulcinée en lui enregistrant des cassettes audio. Irruption d’une séquence musicale et chorégraphiée parce que les cœurs dansent. Sur « A Forest », de Cure, les jeunes comédiens Mallory Wanecque et Malik Frikah, qui ne sont pas en cause, s’agitent.

Clotaire est recruté dans la bande d’un caïd de la drogue, interprété par Benoît Poelvoorde qui s’est fait la voix de Brando dans Le Parrain. Alain Chabat, en père veuf de Jackie, porte une choucroute noire sur la tête pour faire plus jeune. Hommage à Dustin Hoffman ?

Ellipse. Clotaire (François Civil) sort de prison où il a passé 12 ans, sacrifié. Ce n’est pas lui qui a tué un convoyeur de fonds mais le fils du parrain. Il ne retrouve pas son père, décédé, usé par son travail d’ouvrier, mais son frère, sa mère et son pote (respectivement, Raphaël Quenard, Elodie Bouchez et Jean-Pascal Zadi). Vengeance, refus du système, volonté de flamber sans plus attendre : ça va barder !

Scorcese version Casino, le supermarché

C’est Scorsese mais version Casino le supermarché. Lellouche a rempli son caddie. Il exhibe, émerveillé, tous les articles qu’il a achetés : gros calibres, hémoglobine, coups et blessures.

Jackie (Adèle Exarchopoulos), elle, s’est mariée à un gosse de riche (Vincent Lacoste). Mais l’amour – ouf, donc – traverse le temps, le confort, et le scénario. Changement « osé » d’aiguillage par rapport à ce qui avait été montré dans la prophétique ouverture du film : Clotaire, une balle dans la tête. Place aux moments émotion (Roméo a écrit une liste de 457 mots en prison quand il pensait à Juliette – ça commence par « lumière », « charme »…). Et aux baisers sur la plage devant des couchers de soleil.

On s’en voudrait de casser les rêves ou d’égratigner les beaux sentiments. Mais L’Amour ouf est en compétition à Cannes. Au moins, avec son casting toujours-plus, la montée des marches aura été réussie.

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Cinéma
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