A69 : les luttes voisines gagnent du terrain

Une nouvelle manifestation d’ampleur contre l’A69, intitulée « Roue libre », est organisée du 7 au 9 juin, entre Toulouse et Castres. La mobilisation ne faiblit pas contre ce projet décrié, et vise aussi ses « annexes », comme les carrières et les usines à bitume.

Vanina Delmas  • 7 juin 2024 abonné·es
A69 : les luttes voisines gagnent du terrain
Manifestation contre l'A69, sur le site de sa future usine de goudron, près de Puylaurens, le 9 décembre 2023.
© Matthieu RONDEL / AFP

En avril 2024, une manifestation déambulait dans les rues de Toulouse avec un slogan éloquent en tête de cortège : « Contre l’A69 et son monde. » Un monde fait de béton et de pollutions, qui va bien au-delà du tracé de la future autoroute prévue entre Castres et Toulouse. Depuis la première manifestation d’ampleur en avril 2023, la mobilisation contre l’A69 s’est élargie et densifiée car les citoyen·nes l’ont bien compris : sans terres agricoles, sans « usines à bitume », sans gravières, sans eau, il n’y aura pas d’autoroute.

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À une cinquantaine de kilomètres de Toulouse, dans le département de l’Ariège, des carrières de granulats ont remplacé les terres fertiles de cette vallée, connue pour abriter l’une des plus grandes nappes phréatiques d’Occitanie. Mais l’activité des géants du BTP la dégrade et l’assèche progressivement.

« D’une part, les prélèvements de granulats – ces amas de sable et de graviers principalement utilisés dans le secteur du bâtiment – se font de plus en plus profonds donc il y a mise à nu de la nappe. D’autre part, les déchets du BTP sont utilisés pour boucher les excavations créées au motif qu’ils seraient inertes alors que nous savons qu’ils ne le sont pas au contact de l’eau », résume Marie-François Vabre, présidente de l’association Eaux secours 31.

Aujourd’hui, 14 millions de tonnes de déchets sont dans la nappe, provoquant déjà une grave pollution.

Stop Carrières

« Aujourd’hui, 14 millions de tonnes de déchets sont dans la nappe, provoquant déjà une grave pollution aux métaux tels fer et aluminium (600 fois le seuil autorisé) et autres polluants issus du pétrole et des matériaux utilisés dans le bâtiment, rendant l’eau impropre à la consommation », ajoute le collectif Stop Carrières. En effet, cette nappe phréatique alimentée par l’eau des Pyrénées abreuve le débit de la Garonne et donc les robinets d’eau potable des Toulousains.

La folle extension des gravières

Des associations luttent depuis plus de quinze ans contre ces carrières. Mais le chantier de l’A69 a un peu relancé le sujet car un projet d’agrandissement des carrières est en cours. En février 2024, le préfet a approuvé le schéma régional des carrières d’Occitanie, malgré la contestation des collectivités locales. Actuellement, 250 hectares de terres de la vallée ont été transformés en gravières, mais cela pourrait monter jusqu’à mille hectares. Cet agrandissement conséquent servira clairement à alimenter les chantiers de grands projets de la région dont l’A69, mais aussi la ligne à grande vitesse Bordeaux-Toulouse ou encore l’extension de Port-la-Nouvelle dans l’Aude.

Début juin, les activistes d’Extinction rébellion Ariège se sont mobilisés et ont investi la gravière du Vernet, malgré l’interdiction de la manifestation par la préfecture. « Pas de gravier, pas de centrale à bitume. Pas de bitume, pas d’enrobé [goudron, N.D.L.R.]. Pas d’enrobé, pas d’autoroute », chantaient les militant·es.

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Les ressources en eau sont également en danger sur le chantier de l’A69 et les associations s’emploient à les documenter depuis le début de l’année avec des observations minutieuses, des photos géolocalisées consignées dans un dossier de 80 pages. « Sur le chantier, nous avons repéré des malfaçons dans la gestion des bassins provisoires d’eau pluviale, des fossés de drainages et de cours d’eau pollués par les rejets, un pompage complètement illégal des eaux souterraines, la nappe phréatique du lit majeur du cours d’eau mise à nu… Les eaux souterraines sont alors soumises à toutes les pollutions du chantier ! » s’indigne Marie-Françoise Vabre.

Des photos montrent clairement des engins de chantier au milieu de la nappe. Le 18 avril 2024, les associations Eau secours31, France Nature Environnement Occitanie Pyrénées et les Amis de la terre Midi-Pyrénées ont déposé une plainte auprès du procureur de la République pour dénoncer des infractions à la loi sur l’eau concernant la pollution des eaux pluviales et souterraines. Pour le moment, ils n’ont eu aucune réponse d’aucune administration.

Deux centrales programmées

À quelques kilomètres du tracé de l’autoroute, les interrogations et les inquiétudes s’accumulent également chez les habitant·es autour de Puylaurens et de Villeneuve-lès-Lavaur. La cause : deux « centrales d’enrobés à chaud » doivent sortir de terre à partir de fin 2024 pour fabriquer le revêtement de l’A69 à base d’un mélange par combustion de graviers, de sables, de granulats et de fraisats (1) qui sont des morceaux d’anciennes routes raclées, chauffés et réutilisés. Pour produire 500 000 tonnes d’enrobés pour les 53 kilomètres de l’A69, ces deux « centrales temporaires » seront en activité six jours sur sept, de 7 heures à 22 heures, pendant 12 à 18 mois.

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Matériaux résultant d’un fraisage.

Des conséquences annexes qui sont restées longtemps méconnues. Mais en mars 2023, l’arrêté préfectoral annonçant les travaux est publié suite à l’enquête environnementale et officialise notamment ces deux centrales.

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« Sur le territoire, ça a été un vrai coup de semonce car personne n’était au courant, même pas les élus ! » raconte Peter Quince*, qui habite dans un village situé à quelques centaines de mètres d’une des centrales. « C’est passé à la trappe car dans les documents (arrêté préfectoral, enquête environnementale, étude d’impact… ) ce n’est qu’un petit passage. Et les quelques réunions organisées sur le sujet par Atosca et la préfecture se sont faites en catimini. » Ce déni de démocratie a engendré de la colère chez bon nombre d’habitant·es qui se sont organisé·es en collectif pour pouvoir agir.

*

Pseudonyme.

« Tout le monde est concerné »

Le collectif Lauragais sans bitume s’est créé à l’été 2023 et a organisé en trois mois huit réunions d’informations publiques auxquelles ont assisté environ 2 000 personnes. Depuis, onze autres collectifs sont venus gonfler les rangs de la contestation, dont trois qui existaient déjà car des usines semblables sont déjà implantées dans le Tarn. Les principales craintes portent sur la nature et la quantité de produits qui émaneront des fumées des usines tels que le benzène, les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), le dioxyde de soufre, oxyde d’azote, monoxyde de carbone, les métaux lourds type arsenic ou plomb…

Il y a de nombreuses substances identifiées comme toxiques, cancérigènes.

« Il y a de nombreuses substances identifiées comme toxiques, cancérigènes. Nous avons calculé : environ 4 300 élèves, quarante écoles, six établissements de petite enfance sur un rayon de moins de 10 km. En prenant en compte les deux centrales et les vents, tout le monde est concerné, personne n’est protégé, personne n’y échappera », détaille Peter.

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Laëtitia Jacques partage totalement ces inquiétudes et cette colère. Elle est maraîchère en bio depuis trois ans à Le Faget, à 2,5 kilomètres de la future centrale d’enrobage de Villeneuve-lès-Lavaur. « Je me suis installée en bio grâce à des aides financières de la région, et juste après, cette même région donnait de l’argent pour installer des usines à bitume à côté de ma ferme », glisse Laëtitia, ironique. Mais le flou dans lequel pataugent les citoyen·nes et les agriculteurs et agricultrices ne la fait pas rire, alors ils et elles ont créé le collectif Paysan•nes sans bitume pour montrer que la profession agricole est aussi concernée par ce sujet. Selon leurs estimations, plus de 500 paysan·nes seraient plus ou moins impactés.

Qu’est-ce qu’on va retrouver dans les produits qu’on cultive ?

L. Jacques

Mais les questions demeurent. « Est-ce que nos sols seront pollués ? Et l’eau ? Qu’est-ce qu’on va retrouver dans les produits qu’on cultive (fruits, légumes, céréales, viande, miel…) ? Que répondre aux consommateurs qui commencent déjà à nous interroger ? Je m’interroge sur les conséquences sur ma terre, ma production mais aussi ma capacité à travailler toute la journée dehors s’il y a des odeurs, des dépôts, du bruit », énumère Laëtitia.

Questions sans réponses

Riverains, parents d’élèves et agriculteurs réclament depuis des mois à Atosca et à la préfecture des réunions spécifiques en présence de scientifiques et de médecins, dans l’espoir d’obtenir quelques réponses rationnelles. En vain. Quid des contrôles ? « Ils se sont engagés à faire un contrôle par an des pollutions, mais il faudra plusieurs semaines voire mois pour recevoir les résultats. Si c’est mauvais, autre test mais cela peut traîner et rien ne sera véritablement fait avant la fin de la production. S’il y a eu un problème, on le saura mais bien plus tard », raconte Peter.

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Face à l’inertie des pouvoirs publics, les douze collectifs ont formé une coalition pour porter « la voix des sans bitume », et s’auto-organiser afin de mener leurs propres études d’impact des polluants. Ils ont lancé une campagne pour fabriquer et vendre des capteurs Zephyr, qui mesureront certaines particules fines chez les habitants et dessineront une carte des concentrations de polluants en temps réel. L’idée est d’en installer un maximum rapidement pour évaluer la situation actuelle, et comparer si les centrales sont installées. Certes, ces capteurs ne sont pas homologués par l’État, et n’ont donc pas de valeur juridique. Mais ce seront des indicateurs importants pour alerter et mettre la pression sur la préfecture si les seuils de certains produits toxiques sont dépassés.

C’est plus facile d’être dans le déni que de véritablement affronter le problème.

L. Jacques

De même, Laëtitia réfléchit à faire des analyses de l’air et des sols par ses propres moyens mais cela demande des connaissances scientifiques et un budget – 150 euros par produit analysé. En attendant, elle continue de se mobiliser dès que possible et essaye toujours de motiver d’autres agriculteurs autour d’elle. « Leur situation n’est pas forcément simple. Et globalement, c’est plus facile d’être dans le déni que de véritablement affronter le problème, conclut-elle. Beaucoup de gens me demandent si je vais arrêter. Non ! S’installer en agriculture c’est quand même le parcours du combattant, notamment quand on n’est pas issu du milieu agricole, donc je ne lâcherai pas, je ne vais pas me laisser faire par Atosca. »

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