Mieux que le barrage, le Front

Après le score historique de l’extrême droite aux européennes, l’heure est à la mobilisation. Il reste deux semaines pour expliquer le danger républicain du RN et faire émerger un « Front populaire » large, enthousiaste, qui s’inscrit dans la durée, ramenant les citoyens vers un chemin d’espoir.

Pierre Jacquemain  • 11 juin 2024
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Mieux que le barrage, le Front
Rassemblement place de la République, à Paris, le 11 juin 2024, le soir de l'annonce d'une union de la gauche pour les législatives de juin et juillet.
© Maxime Sirvins

Interrogeons-nous sérieusement un instant : qui aurait le plus à craindre d’un gouvernement dirigé par une probable coalition allant de Jordan Bardella à Marion Maréchal en passant par Nicolas Dupont-Aignan et François Asselineau ? Si l’on en juge les expériences politiques de nombreux pays dirigés par l’extrême droite, les femmes, les étrangers, les jeunes, les pauvres, les racisés, les militants écologistes et syndicaux, les personnes LGBTI seraient les principales victimes de cette coalition.

Comment expliquer, alors, que les ouvriers de France ont voté à 52 % pour le RN aux élections européennes – même si le RN arrive en tête désormais dans toutes les catégories socioprofessionnelles ? Comment comprendre que les jeunes sont toujours plus nombreux qu’aux élections précédentes à voter pour eux – avec + 11 % ? Ou encore que les femmes, qui ont toujours moins voté pour les partis d’extrême droite, soient aujourd’hui 32 % à leur faire confiance – c’est dix points de plus qu’en 2019 ?

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TikTok, le réseau social où Bardella semble séduire une partie de la jeunesse, n’est pas une explication à la hauteur du succès. Pas plus que la sympathie de Marine Le Pen pour la famille des félidés. Les raisons sont à chercher ailleurs, et il se peut qu’elles se situent entre colère sociale et ressentiment d’une grande partie de la population qui ne considère plus la gauche et les écologistes comme porteurs d’un projet émancipateur qui réponde à ses attentes.

Modèles étrangers

Dans un excellent article de nos amis de Basta !, les régimes hongrois et polonais sont décrits comme le modèle de ce qui pourrait nous arriver en France : contrôle de la justice, de la presse et des arts par le gouvernement, attaques contre les ONG, racisme et xénophobie d’État, remises en cause des libertés et droits fondamentaux, enfermement systématique des exilés. On peut aussi aller faire un tour du côté de l’Italie pour voir comment sa nouvelle égérie, Giorgia Meloni, a supprimé les minima sociaux et expédié durablement plusieurs millions de personnes dans la misère.

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Pas franchement les amis des plus faibles, les copains de Marine Le Pen. Pas plus les amis des femmes, en ouvrant la voie aux anti-IVG dans les hôpitaux. Ou encore des homosexuels, en interdisant par exemple aux autorités locales d’enregistrer à l’état civil les enfants de couples gays et lesbiens. Les intellectuels et la culture sont pareillement dans le viseur de Meloni, qui assume mener une guerre civilisationnelle, à l’instar de Viktor Orbán ou encore Javier Milei en Argentine qui, après six mois de pouvoir, a vu la moitié de sa population plonger dans la pauvreté.

Il reste trois semaines pour convaincre que Bardella est un danger pour la République.

Mais alors, se peut-il que près de 40 % des électeurs soient à ce point naïfs quant au sort qui les attend en plébiscitant celles et ceux qui légiféreront contre leurs intérêts ? Non, et le croire serait une erreur, de même que penser qu’il y aurait 40 % de xénophobes en France serait faire fausse route. La gauche et les écologistes devront s’interroger sérieusement sur leur abandon, parfois leur mépris, des classes populaires. Toute la gauche. Les partis, les syndicats, les intellectuels, les artistes, les associations.

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Mais l’heure est à la mobilisation. Il reste trois semaines pour convaincre que Bardella est un danger pour la République. Pas seulement de marteler qu’il est d’extrême droite : cela ne suffit plus. Pas plus qu’il ne suffira de « faire barrage » – même s’il faut s’y résoudre partout où cela sera nécessaire, alors que le patron des LR Éric Ciotti annonce un accord avec le RN. Car au-delà du barrage, la perspective d’un « Front populaire » large, enthousiaste, qui s’inscrit dans la durée, peut ramener les citoyens vers un chemin d’espoir. Politis y prendra toute sa part.

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Parti pris

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