Une rentrée sociale ? « On ne sait pas. C’est le bordel »

Les syndicats – CGT en tête – évoquaient une mobilisation sociale début octobre. Mais après le refus d’Emmanuel Macron de nommer un gouvernement du NFP, la colère populaire pourrait s’exprimer lors d’une mobilisation prévue le 7 septembre.

Pierre Jequier-Zalc  • 28 août 2024 abonné·es
Une rentrée sociale ? « On ne sait pas. C’est le bordel »
Marylise Léon (CFDT) et Sophie Binet (CGT) lors de la manifestation contre l’extrême droite, à l’appel de l’intersyndicale, le 16 juin 2024.
© Jerome Gilles / NurPhoto / AFP

« Une rentrée offensive » pour « construire une mobilisation avec toutes celles et ceux qui le souhaitent, fin septembre, début octobre. » Dimanche 25 août, Sophie Binet, la secrétaire générale de la centrale montreuilloise, confiait ceci dans les colonnes de nvo.fr, le site de l’entreprise de presse de la CGT. Mais, depuis, l’article a été retiré. Au sein du bureau confédéral, il a été décidé de ne pas communiquer. « Tout simplement parce que les décisions seront prises mercredi soir », nous assure-t-on le mardi 27, sans expliquer ce retrait de l’interview de Sophie Binet.

Pourtant, de nombreux regards sont désormais tournés vers les organisations syndicales. En réactivant le souvenir du Front populaire, les images des grandes grèves de juin 1936 sont dans toutes les têtes. Elles sont encore plus vivaces au lendemain du refus d’Emmanuel Macron de nommer à Matignon Lucie Castets, mandatée par le Nouveau Front populaire pour devenir première ministre et soutenue par la CGT.

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Juste après ce refus, acté par un communiqué publié par l’Élysée, les appels à une mobilisation ont inondé les réseaux sociaux. Notamment portés par des responsables politiques, insoumis et communistes en tête, et par les organisations de jeunesse. L’Union syndicale lycéenne s’est fendue d’un communiqué déterminé : « [La jeunesse] doit prendre la tête d’une grande mobilisation démocratique. » La date est fixée au samedi 7 septembre.

Il faut montrer que le NFP est crédible partout : à Matignon en passant par l’Assemblée nationale et la rue.

M. Nadel

Contacté, son président, Manès Nadel, évoque « un retour positif de plusieurs partis de gauche mais aussi d’organisations de la société civile comme le Planning familial ». La France insoumise a immédiatement soutenu l’initiative. « Il faut montrer que le NFP est crédible partout : à Matignon en passant par l’Assemblée nationale et la rue. » Le syndicaliste espère « une longue marche à Paris et dans toute la France ». Une ambition que partage l’Union étudiante. La porte-parole de l’organisation, Éléonore Schmitt, explique que le rendez-vous début octobre suggéré par la CGT semblait trop loin. « Il faut lancer les hostilités avant, et c’est intéressant quand la jeunesse propose cette étincelle », avance-t-elle.

Mais du côté des syndicats, aucune réaction à l’heure où nous écrivons ces lignes – la CGT devrait communiquer le 29 août. À la CFDT, par exemple, rien ne semble décidé. « On ne sait pas, c’est le bordel », confie une syndicaliste de la plus grosse organisation syndicale du pays qui ne cache pas son malaise face à la situation politique actuelle. Un bureau national doit se tenir lundi 2 septembre mais la participation du syndicat réformiste à une mobilisation pour la nomination d’un gouvernement du Nouveau Front populaire paraît, à ce stade, fort improbable.

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« Jamais on ne sera en défense d’une formation politique en disant que c’est elle qui doit exercer le pouvoir, et jamais on n’appellera à une mobilisation pour faire pression sur une institution », assurait ainsi la numéro 1 de la CFDT, Marylise Léon, mi-juillet. « Maintenant que le risque de l’extrême droite est écarté, la CFDT va certainement revenir dans sa ligne légitimiste en disant que ce n’est pas aux syndicats de dire aux acteurs politiques ce qu’il faut faire », souligne Karel Yon, sociologue spécialiste des syndicats et des mouvements sociaux.

Si on veut réussir une grève, il faut la construire au-delà d’une réaction sur la question politique.

M. Guilbert

Même du côté des syndicats plus combatifs, une mobilisation dans les prochains jours semble exclue. « Si on veut réussir une grève, il faut la construire au-delà d’une réaction sur la question politique, souligne Murielle Guilbert, codéléguée générale de l’Union syndicale Solidaires. Pour l’instant, on reste sur notre feuille de route syndicale dessinée début juillet. » Rejetant, « pour l’instant », une participation au mouvement du 7 septembre. Cette « feuille de route », à Solidaires, consiste à construire une mobilisation unitaire début octobre sur trois thématiques phares pour toutes les organisations syndicales : les retraites, les salaires et les services publics.

Les syndicats font preuve de prudence

Ce chemin est aussi partagé par la FSU et la CGT, force motrice pour construire cette mobilisation. « On veut une vraie grève massive. Pas juste une manifestation de rentrée sociale routinière », assure la conuméro 1 de Solidaires. En termes de timing, les trois organisations ont en tête la présentation du budget à l’Assemblée nationale, début octobre. « Manifester pour un budget, c’est compliqué, mais nous pensons qu’il faut prendre ce risque », note Benoît Teste, secrétaire gé néral de la FSU. L’idée, par exemple, est de faire comprendre aux salariés que la question des retraites pourrait être de nouveau débattue à ce moment-là.

Cette forme d’attentisme, ou du moins de prudence, pourrait, en surface, étonner. « Mais en réalité, ce n’est pas complètement surprenant », assure Karel Yon, qui rappelle que les syndicats sont « des grosses machines ». « La CGT a engagé une démarche importante en soutenant le NFP pendant les législatives. Ils ont pris soin que ces décisions soient très discutées en interne tout en essayant de maintenir un cadre unitaire, qui permet de mieux s’affirmer sur le plan politique », explique le sociologue.

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Un cadre unitaire, qui, durant la mobilisation contre les retraites, était l’alpha et l’oméga de toutes les décisions. Et sur lequel la CGT aimerait encore essayer de s’appuyer pour ne pas s’engager seule et risquer de faire un flop. Car si les souvenirs des grèves générales de 1936 ont été ravivés, celles-ci restent d’un autre temps, rappelle Karel Yon. « La France du Front populaire, c’est la France où s’affirme la classe ouvrière industrielle, avec des grandes usines concentrées et un syndicalisme fort. Aujourd’hui, c’est l’exact inverse. »

On va essayer que ça commence à bouillonner en septembre.

Le souvenir du « pétard mouillé » de « la France à l’arrêt » durant la mobilisation contre les retraites reste dans toutes les têtes syndicales. Pour ne pas échouer une seconde fois, les syndicats préfèrent temporiser en suivant l’évolution de la situation. Le tout, en essayant de construire, dans les entreprises, une potentielle mobilisation en octobre. Un leader syndical conclut : « D’ici là, on va essayer que ça commence à bouillonner en septembre. » Dès le 7 septembre ?

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