Israël, le pays de la guerre perpétuelle

Benyamin Netanyahou engage son pays dans un nouveau conflit contre le Liban. Ses motivations : prolonger son destin politique, attendre un retour de Trump, mais surtout, aller au pas de charge vers l’appropriation et l’annexion de la Cisjordanie.

Denis Sieffert  • 25 septembre 2024
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Israël, le pays de la guerre perpétuelle
Manifestation pour le Liban, à New York le 24 septembre 2024.
© Paul FRANGIPANE / AFP

Voilà donc Israël engagé dans une guerre de plus, avec les mêmes éléments de langage qu’à Gaza, la même rhétorique de haine et de violence pour tout ce qui l’entoure. Et voilà la population libanaise poussée sur les routes avec la promesse d’avoir la vie sauve. Les Gazaouis savent ce qu’il en est. Tout avait commencé par l’explosion simultanée de centaines de bipeurs et de talkies-walkies dans les mains de cadres du Hezbollah. Chez nous, quelques commentateurs n’ont pu dissimuler leur admiration. Pas l’éditorialiste du grand quotidien libanais L’Orient-Le Jour, à l’ironie mordante : « Tant de criminelle imagination dans l’art de diversifier l’œuvre de mort. » En une formule, la double face d’Israël était résumée. Modernité et barbarie.

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Souvenons-nous que la « performance technologique » a un précédent, lorsqu’en janvier 1996 Shimon Peres avait ordonné l’assassinat du dirigeant du Hamas Yahya Ayyach par un procédé similaire. Mais souvenons-nous surtout de la suite. Le Hamas avait riposté par une terrible campagne d’attentats, le Hezbollah était intervenu, Peres avait lancé une offensive contre le Liban, l’opinion israélienne s’était retournée contre le processus de paix d’Oslo qu’elle approuvait au lendemain de l’assassinat de Rabin. Et, au mois de juin suivant, Netanyahou avait, contre toute attente, remporté les élections. La paix s’était éloignée sans retour. Il faut toujours attendre la suite. De même, cette fois, des commentateurs ont pu se féliciter qu’il y eût peu de dégâts collatéraux, rien que des victimes ciblées et forcément coupables. Plus quelques enfants ici ou là…

Netanyahou se moque du sort des habitants de la frontière nord, comme des otages de Gaza.

Mais dans l’affaire du Sud-Liban, comme dans le précédent de 1996, les « dégâts collatéraux », que l’on nommera plus volontiers « massacre de civils », étaient à venir. Tant il était évident que l’opération bipeurs annonçait une offensive d’envergure. Nous y sommes. Cinq cents morts dans la seule journée du 23 septembre. Heureusement, la France a demandé « une réunion d’urgence » du Conseil de sécurité de l’ONU… Mais, pour sa nouvelle guerre, Netanyahou a évidemment un bon alibi : il veut permettre aux quelque soixante mille habitants du nord d’Israël de rentrer chez eux sans être sous la menace des roquettes du Hezbollah. Est-ce vraiment la guerre qui va assurer la sécurité des Israéliens de Kyriat Shmona et des environs ?

Si Netanyahou voulait sécuriser la population, il adopterait une autre logique. En fait, il se moque du sort des habitants de la frontière nord, comme des otages de Gaza. Car la solution est à l’opposé. Le 19 septembre, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a affirmé que son mouvement cesserait immédiatement ses attaques contre Israël si l’État hébreu acceptait un cessez-le-feu à Gaza. Au même moment, le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, annonçait une « réorientation stratégique » sur le front nord. Autrement dit, la guerre. Reconnaissons qu’il est difficile d’admettre que le discours de la raison était du côté du chef du Hezbollah. Nous n’oublierons jamais que la milice chiite est allée, dès 2012, sauver la dictature syrienne, bien avant l’engagement de Poutine. Autre guerre, autre logique.

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Netanyahou veut cette guerre, non seulement parce que c’est bon pour sa popularité, et parce que les habitants du nord sont devenus les plus va-t-en-guerre du pays, mais surtout, parce qu’une apocalypse régionale ferait oublier Gaza et la Cisjordanie dans l’opinion internationale. Et tout ça pour quoi ? Pour venger l’humiliation du 7 octobre ? Oui, bien sûr. Pour prolonger le destin politique de Netanyahou ? Aussi, sans aucun doute. Pour entretenir la guerre jusqu’au 5 novembre, en espérant la victoire de Trump, devenu une sorte de messie profane de la droite israélienne ? Également. Toutes ces motivations sont bien réelles.

La réalisation du projet sioniste dans sa version messianique.

Mais la vraie raison est ailleurs, profonde, historique. Il s’agit d’aller au pas de charge vers l’appropriation et l’annexion de la Cisjordanie. C’est-à-dire la réalisation du projet sioniste dans sa version messianique. Car Gaza, le Sud-Liban, la Cisjordanie sont un seul et même conflit désormais plus que séculaire. Peut-on vivre dans un état de belligérance perpétuelle ? C’est le pari de Netanyahou. Aujourd’hui, son pays, qui continue de massacrer au sud, s’engage dans une guerre d’envergure au nord, et mène des raids meurtriers à l’est. Seule la Méditerranée assure à la jeunesse de Tel-Aviv l’illusion de la paix, et le luxe de l’indifférence. Pour combien de temps encore ?

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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