Les accords d’Oslo, ou la mort d’une illusion

Le 13 septembre 1993, dans les jardins de la Maison Blanche, la poignée de main entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin, sous les yeux de Bill Clinton, symbolisait les accords d’Oslo. Lesquels n’ont pourtant jamais rompu avec la logique coloniale.

Denis Sieffert  • 15 septembre 2023
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Les accords d’Oslo, ou la mort d’une illusion
Le président américain Bill Clinton (au centre) entre le leader de l'OLP, Yasser Arafat (à droite), et le Premier ministre israélien Yitzahk Rabin (à gauche), le 13 septembre 1993, à la Maison Blanche à Washington DC, après avoir signé les accords historiques d’Oslo entre Israël et l’OLP sur l’autonomie palestinienne dans les territoires occupés.
© J. DAVID AKE / AFP

L’image improbable de la poignée de mains entre Yasser Arafat et de Yitzhak Rabin, sous les yeux de Bill Clinton, le 13 septembre 1993, dans les jardins de la Maison Blanche, avait créé un immense espoir. Elle rejoignait dans le grand album de l’histoire, celles des Berlinois démantelant le « Mur de la honte », et de Nelson Mandela sur le chemin de la liberté, le 11 février 1990. En quatre ans, le monde semblait retrouver des raisons d’espérer. Politis titrait « Une révolution copernicienne ». On y croyait. Parce qu’un homme, un général devenu premier ministre, avait décidé de saisir enfin la main que Yasser Arafat tendait aux dirigeants israéliens depuis son fameux discours des Nations unies de 1974. On y croyait, sans méconnaître toutefois les énormes défauts de ce plan de paix qui n’était en vérité qu’une « déclaration de principes ». Contrairement à ce qui a été beaucoup dit sur ces accords d’Oslo, il ne s’agissait pas d’une reconnaissance mutuelle, mais d’un accord asymétrique entre un mouvement politique, l’OLP, et un État. À aucun moment, il n’était question d’un État palestinien, même en perspective.

Il ne s’agissait pas d’une reconnaissance mutuelle, mais d’un accord asymétrique entre un mouvement politique et un État.

L’autre silence de la déclaration concernait le statut de Jérusalem. Les négociateurs avaient choisi de renvoyer les points sensibles à la fin du processus. Certains opposants, comme le poète palestinien Mahmoud Darwich, ont dénoncé les fragilités du texte. D’autres voulaient croire dans la dynamique d’un accord qui instituait une autonomie palestinienne temporaire de 5 ans. Une première phase du processus se concrétisait le 4 mai 1994 avec l’accord Jéricho-Gaza qui mettait en place une Autorité palestinienne, qui pouvait apparaître comme un embryon d’État. L’« Accord de Taba », signé à Washington en septembre 1995, prévoyait les premières élections du Conseil législatif palestinien et organisait un découpage des territoires palestiniens en trois zones, l’une (zone A) sous administration palestinienne, l’autre sous souveraineté israélienne, et une troisième mixte. Était-ce là aussi une phase intermédiaire préparant une autonomie sur tout le territoire de Cisjordanie et de Gaza ?

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Tout était suggéré, rien n’était écrit. Ce fut en vérité la première esquisse de l’apartheid. L’armée israélienne n’a jamais cessé d’intervenir en zone A, tandis que de multiples interdits privaient les Palestiniens de leur liberté de circulation. Et la dynamique que l’on espérait n’a pas tardé à jouer contre la paix. La vérité, c’est que les accords d’Oslo n’ont jamais rompu avec la logique coloniale. Le massacre de 29 Palestiniens par un extrémiste juif en février 1994 au caveau des Patriarches à Hébron allait constituer la première alerte. Là où l’on attendait que la colonie nichée au cœur de la grande ville palestinienne soit démantelée, ce sont les manifestations palestiniennes qui ont été durement réprimées. Chronologiquement, ce ne sont donc pas les attentats du Hamas qui ont enclenché la marche en arrière. L’assassinat de Rabin, par un extrémiste juif, le 4 novembre 1995, après une campagne de haine menée par la droite de Netanyahou et de Sharon, allait sceller le sort du processus, sans que l’on en ait conscience.

Au contraire : à la fin de 1995, l’opinion israélienne était plus que jamais favorable au plan de paix. Mais Shimon Peres, successeur de Rabin, choisissait de faire assassiner un dirigeant du Hamas, provoquant une sanglante campagne d’attentats menée par l’organisation islamiste. En juin 1996, la victoire de Netanyahou, qui allait multiplier les provocations, marquait le triomphe des assassins de Rabin. L’ultime tentative de Camp David, en juillet 2000, n’allait être en vérité qu’un piège tendu à Arafat sommé de signer un nouvel accord alors que le nombre de colons avait pratiquement doublé depuis 1993. Car c’est bien là la raison principale de l’échec d’Oslo. Quand l’accord stipulait que rien ne devait être fait qui hypothèque les chances de négociation du statut final, ce qui pouvait être entendu comme un gel de la colonisation, le nombre de colons passait de 115 000 à 195 000, s’ajoutant à l’annexion de Jérusalem.

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Tout semblait fait pour favoriser la montée en puissance du Hamas, jusqu’à la victoire électorale de celui-ci en 2006. Mais le coup de grâce a sans doute été, côté israélien, le ralliement en février 2001 de Peres, au gouvernement de droite d’Ariel Sharon qui allait mener une intense campagne de répression contre l’intifada qui avait éclaté après l’échec de Camp David. La gauche israélienne était décapitée. Elle ne s’en remettrait pas. C’était la seconde mort de Rabin. Le paysage politique israélien basculait vers l’extrême droite. La colonisation n’avait plus aucun frein, rendant fictive l’idée de la solution à deux États qui était le socle malheureusement implicite des accords d’Oslo. Mais rien de tout cela n’aurait été possible si les États-Unis et l’Union européenne ne s’étaient pas refusés à la moindre sanction à l’encontre d’Israël, fermant les yeux sur les crimes de guerre commis à Gaza, et se rendant complice d’un blocus meurtrier.

La solution à deux États qui était devenue la litanie des grandes puissances n’était plus qu’un discours hypocrite.

La solution à deux États qui était devenue la litanie des grandes puissances n’était plus qu’un discours hypocrite. L’armée israélienne et les colons peuvent tuer à leur guise. Il y a aujourd’hui 700 000 colons en Cisjordanie. L’Autorité palestinienne est devenue le refuge d’un autocrate cacochyme qui ne pense qu’en termes sécuritaires contre son peuple. Trente ans après, le conflit cherche d’autres voies. Les jeunes Palestiniens rejoignent les groupes armés. Des intellectuels demandent la reconnaissance d’une citoyenneté égale pour toutes les populations de la Méditerranée au Jourdain. Et la société israélienne prend lentement conscience qu’en refusant de regarder en face la question coloniale, elle menace ses propres droits.

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Monde
Publié dans le dossier
Accords d'Oslo, 30 ans après
Temps de lecture : 5 minutes
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