« On cherche autant que possible à créer de la chaleur humaine »

Paul Garrigues, de l’association SOS Refoulement, nous raconte comment il tente d’accompagner et de défendre les demandeurs d’asile.

• 23 octobre 2024
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« On cherche autant que possible à créer de la chaleur humaine »
Manifestation contre la loi immigration de Gérald Darmanin, en mars 2023 à Paris.
© Lily Chavance

Alors que le gouvernement veut légiférer à nouveau sur l’immigration, les associations continuent de se mobiliser pour les exilés. Paul Garrigues, coanimateur du groupe de travail sur les droits des étrangers de la Ligue des droits de l’homme et bénévole à l’association SOS Refoulement, nous raconte comment il tente d’accompagner et de défendre les demandeurs d’asile.


Agir en faveur des personnes exilées, c’est être confronté à des réalités bien loin des discours officiels déshumanisants. Tout d’abord, c’est faire avec une grande diversité d’origines, de situations, de motivations. C’est faire avec la souffrance humaine, des exemples de solidarité magnifiques et d’abus de faiblesse ; c’est faire des rencontres qui marquent pour la vie, et d’autres exaspérantes ; c’est le découragement quand on échoue, et la joie quand on a contribué à ce que quelqu’un échappe au pire.

Mais, aujourd’hui, c’est d’abord faire face à des politiques de rejet allant d’une législation fondée sur l’idée qu’il faut faire obstacle aux immigrations aux plus petits détails qui empoisonnent la vie des gens. La question des OQTF, qui fait la une de l’actualité, en est un exemple. Tout d’abord, il y a l’utilisation nauséabonde qui en est faite par Bruno Retailleau et la presse Bolloré.

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On sait que près de 90 % des viols et des féminicides sont commis par des proches des victimes, des monsieur-tout-le-monde si on peut dire, mais il suffit qu’un crime horrible soit commis par un étranger sous OQTF pour que le débat public ne porte plus sur le machisme et la culture du viol, mais sur l’immigration.

Aussi je voudrais, parmi tant d’autres sujets, parler des personnes faisant l’objet d’OQTF que nous rencontrons au quotidien. La plupart sont des jeunes étrangers qui se présentent comme mineurs isolés. Ils peuvent ainsi bénéficier d’une prise en charge du conseil départemental au titre de la protection de l’enfance. Souvent, après une évaluation faite totalement à charge, ces jeunes se voient indiquer que leur minorité n’a pas été reconnue. Et même s’ils peuvent saisir le juge des enfants, ils sont laissés à la rue et reçoivent une OQTF.

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D’autres, parmi les personnes que nous rencontrons, sont des mères étrangères d’enfants français qui ont une OQTF parce qu’elles ne peuvent pas prouver que le père français remplit ses obligations alimentaires. Elles ne peuvent d’ailleurs même pas être expulsées, car les enfants français ne sont pas expulsables, mais sont condamnées avec leurs enfants à la précarité et la misère.

Nous recevons aussi des conjointes et conjoints de Français qui perdent le droit au séjour pour cause de séparation. Il y a aussi des sans-papiers, sous OQTF, qui travaillent là où on serait bien en mal de les remplacer, par exemple comme aides à domicile. Ce sont, peut-être pour le plus grand nombre, des débouté·es du droit d’asile. On peut discuter du pourcentage de demandeurs d’asile relevant de la protection découlant de la Convention de Genève. Ce qui est certain, cependant, c’est que beaucoup, en réel danger, n’obtiennent pas de protection.

Il est difficile de prouver le danger que l’on court dans son pays, les bourreaux ne délivrent pas de certificats de persécution.

Il est difficile de prouver le danger que l’on court dans son pays, les bourreaux ne délivrent pas de certificats de persécution. Je pense aussi particulièrement aux femmes victimes de violences, aux fillettes menacées de mariage forcé déboutées et terrorisées à l’idée d’être expulsées. En outre, certaines de ces OQTF ne sont, à l’évidence, pas applicables. Si la France n’a heureusement pas reconnu le régime des talibans, cela n’empêche pas de délivrer des OQTF (sans destination, ce qui n’a aucun sens) à des Afghans.

Il y a quelques jours, nous avons reçu un jeune homme de 24 ans marié avec une Française. Lorsqu’il avait 18 ans, sans le sou, il a volé un vêtement. Un geste qui empêche toujours sa régularisation. On ne rencontre pas beaucoup de délinquants à nos permanences. Et on ne mesure pas toujours ce que cela peut avoir d’angoissant pour tant d’enfants. Je garde le souvenir d’une amie sans papiers venue manger à la maison ; lorsque la sonnette a retenti, son fils de 10 ans, apeuré, a demandé si c’était la police.

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Alors, que fait-on quand on est un militant engagé ? On accueille, on écoute, on cherche autant que l’on peut à créer de la chaleur humaine. On essaie d’analyser les situations pour trouver des failles qui permettent d’obtenir une régularisation. On passe beaucoup de temps dans le dédale des démarches dématérialisées. On communique sur des cas particulièrement scandaleux (mais comment les choisir ?). On manifeste devant les préfectures, les tribunaux, les lieux d’hébergement dont sont expulsés les plus vulnérables.

On fait le siège des élus qui veulent bien nous entendre. On est là au petit matin pour l’ouverture d’un squat. On entretient aussi tout un réseau de solidarité sans lequel rien ne serait possible : avocat·es engagé·es, profs solidaires, employeurs refusant de voir leur salarié expulsé, structures de soin, caritatives, travailleur·ses sociaux, simples citoyen·nes qui donnent un coup de main. C’est tout ce maillage qui permet de survivre et de résister.

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