Une proposition de loi surfe sur la colère agricole pour attaquer violemment l’environnement

Deux sénateurs de droite ont déposé une proposition de loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». Mégabassines, pesticides, etc. : elle s’attaque frontalement aux normes environnementales, pour le plus grand bonheur de la FNSEA.

Pierre Jequier-Zalc  • 19 novembre 2024 abonné·es
Une proposition de loi surfe sur la colère agricole pour attaquer violemment l’environnement
Manifestation contre l'accord UE-Mercosur à Arras, le 18 novembre 2024.
© Denis CHARLET / AFP

« PPL Duplomb : la solution » : sur la préfecture de Gap, dans les Hautes-Alpes, la banderole de la FNSEA ne fait pas dans l’équivoque. Alors que la colère agricole gronde de nouveau avec le projet d’accord Union européenne-pays d’Amérique du Sud (Mercosur), moins d’un an après une mobilisation particulièrement forte, le syndicat majoritaire d’exploitants agricoles met en avant une proposition de loi déposée au Sénat par Laurent Duplomb et Franck Menonville, deux sénateurs de droite.

Celle-ci serait donc « LA » solution. Pourtant, à sa lecture, aucun article ne s’attaque de près ou de loin à la question du revenu, problématique pourtant centrale pour bon nombre de paysans et de producteurs. « Cette PPL, c’est une solution de facilité. On s’attaque aux normes plutôt qu’au partage de la valeur », tacle Daniel Salmon, sénateur écologiste.

Pas dans la dentelle

En effet, le texte déposé par les sénateurs de Haute-Loire et de la Meuse ne fait pas dans la dentelle quand il s’agit de s’attaquer aux « normes ». Composé de six articles, il propose notamment de réintroduire les néonicotinoïdes, une famille d’insecticides interdit depuis six ans en France, de faciliter les projets de mégabassines, et de limiter les enquêtes publiques liées aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), en rehaussant les seuils des exploitations d’élevage soumises à autorisation.

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Mais ce n’est pas tout ! Autres mesures proposées dans cette PPL, le fait que le ministre de l’Agriculture puisse suspendre une décision de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) en matière d’homologation de produits phytopharmaceutiques. Autrement dit : autoriser des pesticides en passant outre la décision de l’institution la plus compétente en la matière. Enfin, cerise sur le gâteau, la PPL veut autoriser l’épandage de pesticides par drone.

Ce texte est tout simplement un scandale !

L. Marandola

Autant de mesures anti-environnementales qui inquiètent. « Ce texte est tout simplement un scandale ! C’est scandaleux d’encore affaiblir les enjeux environnementaux et d’accélérer la compétitivité pour l’export et non pour produire durablement », tacle Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne. En effet, c’est par le constat d’une « baisse de compétitivité » avec une diminution de la balance commerciale que les deux sénateurs justifient la nécessité de leur texte.

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« Le constat est réel. La question c’est comment on y répond. Soit on lève toutes les normes en se disant que cela facilitera notre compétitivité à l’internationale. Soit on axe notre agriculture sur de la qualité en instaurant une sorte de protectionnisme en réinterrogeant les traités de libre-échange, même au sein de l’Union Européenne », souligne Daniel Salmon. Or, clairement, cette proposition de loi choisit la première option. « La méthode Duplomb c’est le moins disant social et environnemental. Et, au bout du bout, c’est l’économie qui prend le pas sur la santé humaine et sur le vivant », poursuit le sénateur écolo.

Inspiré par la FNSEA

Surtout, toutes ces mesures sont fortement inspirées d’un texte de loi rédigé par la FNSEA et les JA à la fin de l’été et transmis aux parlementaires. Intitulé « Entreprendre en agriculture », celui-ci promet un « projet global » permettant de « donner une réelle ambition à l’agriculture française ». Et les mesures proposées par les deux sénateurs de droite y figurent, sans surprise, presque toutes.

La nouvelle mobilisation en cours vient, encore plus, renforcer le rapport de force en faveur du syndicat majoritaire des exploitants agricoles. Déjà, lors du fort mouvement de l’hiver dernier, la FNSEA s’était posée comme l’interlocuteur numéro un du gouvernement, tant bien même la colère n’avait pas vraiment émergé de ses rangs. Et avait réussi à obtenir gain de cause sur bon nombre de revendications, comme nous vous le racontions à l’époque.

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Mais, dans la perspective de la loi d’orientation agricole (LOA) – reportée par la dissolution et qui devrait arriver dans l’Hémicycle en début d’année prochaine –, la FNSEA ne veut pas laisser passer la vague sur laquelle elle surfe. Et les oreilles de Laurent Duplomb et d’Annie Genevard, la nouvelle ministre de l’Agriculture, y sont particulièrement attentives. Au mépris, parfois, des faits.

Ainsi, la FNSEA axe son discours sur deux grandes thématiques : le trop-plein de normes, notamment environnementales, et des contrôles qui seraient excessifs, incessants et particulièrement punitifs. Une parole qui porte ses fruits avec une mise sous tutelle des préfets de l’Office français de la biodiversité (OFB) et l’annonce de la mise en place d’un « contrôle administratif unique ».

Près de 90 % des exploitations n’ont subi aucun contrôle en 2023.

Pourtant, un rapport d’inspection interministériel commandé par Gabriel Attal et révélé par Contexte bat très largement en brèche ces affirmations. Près de 90 % des exploitations n’ont subi aucun contrôle en 2023. Et seulement 1 % a connu deux contrôles ou plus. Le rapport poursuit : « Le taux de poursuite est bien plus faible dans le domaine du droit pénal de l’environnement, soit 31,6 %, contre un taux de poursuite tous contentieux confondus de 59 % en 2022. […] La réalité statistique montre […] que très peu de peines sont prononcées à leur encontre, et que ces peines sont rarement sévères ».

« L’idiocratie est en marche »

Des faits qui ne perturbent pourtant pas les sénateurs qui ont inclus dans leur PPL le fait de privilégier le recours aux procédures administratives, et non judiciaires, en cas de primo-infraction relevée par l’OFB. « L’idiocratie est en marche, c’est terrible de voir ça. Les personnes qui défendent cette loi tape sur l’Anses, sur l’INRAE, sur l’OFB. Toutes les institutions publiques qui portent la science et la loi sont considérées comme des ennemis. On assiste à une trumpisation de la société », s’énerve Daniel Salmon.

Une colère d’autant plus compréhensible que cette proposition de loi a trouvé un fort écho au sein de la chambre haute. Elle a ainsi été signée par 182 sénateurs et pourrait, sans trop de difficultés, être adoptée en séance le 17 décembre prochain. Laurent Duplomb, lui, se dit « surpris » par ce succès et veut aller vite. Selon Contexte, le sénateur souhaiterait que le texte soit examiné à l’Assemblée nationale lors de la semaine gouvernementale, fin janvier. Il en fait même un point de chantage. « Sans cette garantie, je ne serai pas rapporteur de la loi d’orientation agricole », assure-t-il.

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Avec la mobilisation actuelle des agriculteurs et au vu des alliances incertaines et, parfois, contre-nature, au Palais Bourbon rien ne dit que les parlementaires rejetteraient un tel texte. Initialement, tout semblait pourtant indiquer que cette PPL était un ballon d’essai lancé pour tenter d’encore plus infléchir la loi d’orientation agricole. Une loi, qui, pourtant, « ne prend toujours pas à bras-le-corps la question du renouvellement des générations, car elle ne propose pas de réel levier sur les prix, le revenu, l’accès au foncier », regrette Laurence Marandola. Désormais, cette proposition de loi, populiste et profondément anti-écologique, est devenue une vraie menace.

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