Relaxe pour deux militants des Soulèvements de la Terre

Le tribunal judiciaire de Paris a prononcé, ce 17 janvier, la relaxe de Léna Lazare et Basile Dutertre, militants des Soulèvements de la Terre, poursuivis pour avoir refusé de comparaître devant une commission d’enquête parlementaire. Une situation inédite sous la Vᵉ République.

Maxime Sirvins  • 17 janvier 2025
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Relaxe pour deux militants des Soulèvements de la Terre
Léna Lazare, le le 22 novembre 2024, devant le tribunal de Paris.
© Maxime Sirvins

Ce vendredi 17 janvier, le tribunal judiciaire de Paris rendait son délibéré dans le procès de Léna Lazare et Basile Dutertre, deux militants des Soulèvements de la Terre, poursuivis pour avoir refusé de se présenter devant une commission d’enquête parlementaire en 2023. Cette procédure était une première sous la Vᵉ République.

Dirigée par Patrick Hetzel (LR), la commission enquêtait sur « les groupuscules violents » lors des manifestations entre mars et mai 2023, notamment après les mobilisations contre la réforme des retraites et les mégabassines de Sainte-Soline. Selon les réquisitions du parquet, Léna Lazare risquait 2 mois de prison et 1 500 euros d’amende, ainsi qu’une interdiction de tous ses droits civiques pendant un an. Pour Basile Dutertre, la réquisition était plus lourde : 4 mois de prison avec sursis, 3 000 euros d’amendes et une privation des droits civiques durant deux ans.

Court suspense

Peu avant neuf heures du matin, un petit rassemblement de soutien aux deux militants a lieu devant le tribunal de Paris. Léna Lazare, entourée de ses soutiens, rappelle que Basile Dutertre ne sera pas présent « parce qu’il travaille sur l’île de la Réunion ». Et qu’ils se retrouvent aujourd’hui au milieu de cette affaire juridique pour ne pas s’être rendus « à la commission d’enquête parlementaire qui visait à donner un autre récit de ce qui s’est passé pendant les manifestations contre la réforme des retraites et à Sainte-Soline« . Avant de rajouter : « On se souvient des mutilés et des deux personnes qui ont été dans le coma, dont Serge, qui est toujours en rééducation. »

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Devant une salle quasiment vide, le président annonce sans détour la décision à Léna Lazare, relativement stressée. Le verdict est direct : « Relaxe. » Après un moment de soulagement, les militants comprennent que cette décision en matière de répression des mouvements écologistes pourrait faire jurisprudence pour de futures affaires. Le président prend ensuite le temps d’expliquer sa décision.

Pour Basile Dutertre, le motif est relativement simple et valide la ligne de défense de son avocat, Me Matteo Bonaglia. La convocation devant la commission parlementaire avait été dressée non pas à son nom réel – Joan Monga – mais à son pseudonyme, Basile Dutertre. Le motif retenu pour la relaxe est que la convocation était non régulière. « Il était pourtant très simple de faire une recherche pour découvrir que c’était un alias et de le convoquer sous son vrai nom », soulève Me Raphaël Kempf, avocat de Léna Lazare.

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Concernant la jeune militante, le président rappelle qu’une commission parlementaire ne peut porter sur un sujet en cas de poursuites judiciaires en cours. Pourtant, Basile Dutertre était poursuivi pour des faits remontant justement à « la période sur laquelle la commission enquêtait ». Le tribunal a alors considéré que se rendre à cette convocation pouvait violer son droit au silence. Il devenait alors légitime pour Léna Lazare de refuser sa convocation.

« C’est très sain pour la démocratie »

À la sortie, Raphaël Kempf prend le temps d’expliquer cette relaxe. « Ce que je retiens, c’est que le tribunal rappelle qu’il y a effectivement des procédures judiciaires en cours et qu’une commission d’enquête ne peut donc pas être constituée. […] et qu’il y aurait eu une violation de l’exercice du droit au silence si vous parliez devant la commission. » Pour l’avocat, « c’est absolument inédit. C’est la première fois qu’on voit cela dans la Vᵉ République. »

Le message politique est tout aussi fort pour la défense, selon lui. « L’institution judiciaire vient dire au président de la commission d’enquête qu’il ne faut pas instrumentaliser la justice à des fins politiques contre des personnes désignées comme des ennemis. »

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Pour Me Matteo Bonaglia, « l’autorité judiciaire se refuse à violer la séparation des pouvoirs ». Pour l’avocat, cette décision est une piqûre de rappel à l’autorité parlementaire : « Elle lui dit : ‘Ce n’est pas à vous de faire le boulot de la justice pénale, d’un enquêteur, d’un procureur et d’une autorité judiciaire pénale.' ». « C’est très sain pour la démocratie », considère-t-il.

Soulagée, Léna Lazare prend rapidement la parole. Pour la jeune agricultrice, « c’est une très bonne nouvelle. » Elle insiste cependant sur le fait que ces procédures « sont aussi des peines pour les militants qui se retrouvent dans des démarches très longues et très coûteuses. » Avant de partir, alors qu’un autre rassemblement se tient devant le tribunal en soutien à la journaliste d’investigation Ariane Lavrilleux, Léna Lazare tient à apporter elle aussi son soutien à cette dernière.

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Ariane Lavrilleux était convoquée en vue d’une possible mise en examen pour avoir révélé des secrets de la défense nationale. Après un peu moins de trois heures d’audition, elle n’a finalement pas fait l’objet de poursuites judiciaires. Pour les militants écologistes et les défenseurs de la liberté de la presse, c’était décidément une belle journée.

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