« Banlieues chéries », une déclaration d’amour
Le Musée de l’histoire de l’immigration propose une exposition sur les banlieues, en faisant des marges le centre de la création et de l’engagement.
dans l’hebdo N° 1859 Acheter ce numéro

© Collection Renaud Epstein
« Banlieues chéries » / Musée de l’histoire de l’immigration / jusqu’au 17 août , Palais de la Porte-Dorée, Paris 12e.
La Courneuve, Pantin, Saint-Denis, Créteil, Nanterre, Gennevilliers, Sarcelles, Saint-Ouen… Autant de villes que de vécus communément ravalés sous le terme « la banlieue ». C’est pour ébranler cette vision englobante des quartiers populaires que le Musée de l’histoire de l’immigration présente son exposition « Banlieues chéries ».
La volonté de porter ce cri d’amour, détonnant dans le débat public, a été lancée par la directrice du musée, Constance Rivière : « Le sujet s’est très vite imposé à nous comme un mal pensé qui rencontrait la mission du musée à proposer d’autres perspectives. L’exposition se veut être un regard sensible sur les banlieues dont beaucoup d’artistes, commissaires et conseillers scientifiques sont issus, mais aussi un appel à chérir nos banlieues comme des lieux de créativité, d’habitat et de lutte. »
Il y a autant de manières de définir les banlieues que de les vivre.
H. Makhlouf
Ce, à travers plus de 200 œuvres, archives, peintures, photos et installations qui entendent élargir la focale sur ces espaces mal connus et, par-là, sortir du cliché. « Le plus grand défi était de ne pas participer de manière volontaire ou involontaire à l’exotisation de ces espaces, mais d’entrer en empathie avec toutes les personnes représentées », commente Horya Makhlouf, l’une des commissaires de l’exposition originaire de Pantin.
Le visiteur est ainsi invité à se livrer à une déambulation affective au sein d’un parcours artistique et thématique. La première section de l’exposition met en écho les siècles et les médiums. Elle fait dialoguer les peintures impressionnistes de Monet et le film de Rayane Mcirdi, intitulé Le Croissant de feu, sur la destruction de la barre des Gentianes en 2011. La douceur des banlieues boisées du XIXe siècle fait face à l’amertume des habitants relégués dans des lieux en rénovation perpétuelle, traduisant les sentiments composites qu’ont pu inspirer ces espaces.
Les photographies des bidonvilles de la militante et écrivaine Monique Hervo marquent le passage du construit en transit à « l’habité ». Le visiteur est peu à peu convié à l’intérieur des foyers où se déploient des trajectoires individuelles, en marge des récits de la « grande Histoire ». « On a cherché à parler de plusieurs typologies de lieux car il y a autant de manières de définir les banlieues que de les vivre », explique Horya Makhlouf.
« Partir de l’intime et de la vie des habitants »
Les dessins des repas familiaux à Bondy par Neïla Czermak Ichti côtoient ainsi l’installation interactive d’Anne-Laure Boyer qui reconstitue un appartement avec les objets du quotidien ayant appartenu à des habitants de la banlieue bordelaise. Pour Constance Rivière, « partir de l’intime et de la vie des habitants, de la vie de celles et ceux qui vivent en banlieue, plutôt que de commencer par la lutte ou l’urbanisme est assez singulier. C’est peut-être le résultat d’un commissariat et d’un conseil scientifique composés à 95 % de femmes ».
Mais les banlieues sont aussi des espaces engagés, ce que s’attèle à montrer la deuxième section de l’exposition. Les interventions urbaines et politiques dont les banlieues ont fait l’objet sont ici interrogées, du communisme municipal aux grands ensembles, à l’aune des revendications nées dans ces territoires. L’installation en résine de grands ensembles de Nanterre par les artistes Feipel & Bechameil s’intitule ironiquement « Un monde parfait » pour évoquer la dissipation des utopies sociales, traduite matériellement par l’effritement des murs.
Dans la série Les Dernières Fauvettes d’Alexia Fiasco, les visages des habitants de la cité sont imprimés sur les ruines de leur cité en démolition, comme une cérémonie d’adieu. Ce projet social et collaboratif a tenu à rendre les photographiés acteurs de leurs images, évitant par là tout voyeurisme : « Les habitants passaient devant et derrière l’appareil. Ensemble, nous avons glané des objets dans leur cité délaissée, surnommée “cité poubelle” pour se réapproprier le “moche” et voir l’environnement différemment », expose l’artiste.
Impermanence
La salle tisse ainsi un continuum avec le reste du parcours : celui de l’impermanence des lieux, dont rend compte le dynamisme de la scénographie. « Nous avons travaillé avec le cabinet de scénographie Roll pour mettre en avant l’idée de chantier permanent en exacerbant la matérialité. Le rose des murs de l’exposition rappelle ces plaques d’aggloméré et de plâtre, avant qu’elles ne soient recouvertes par les papiers peints », explique Horya Makhlouf.
Dans ces quartiers en constante transformation, se cristallisent peu à peu des territoires de relégation et de pauvreté qui deviennent les terreaux de luttes citoyennes. Elles trouvent leur expression sur un mur composé par Vince, artiste muraliste et archiviste qui a rassemblé objets, affiches, journaux pour dresser les grandes tendances de ces révoltes à partir des années 1970.
Symbole de ces revendications, la mise en scène photographiée de Mohamed Bourouissa réalisée à Clichy-sous-Bois en 2005 et intitulée « République ». Pour figurer les émeutes qu’a engendrées la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, il a réinterprété La liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix. L’appropriation des codes de la peinture d’histoire fait ainsi jaillir un hors-temps politique, où les luttes traversent le temps pour former des mémoires en héritage.
Cette partie de l’exposition a le mérite de questionner la partialité du traitement médiatique des banlieues en reconstituant un bureau de presse. « L’idée était de se demander comment retrouver un sens à l’intérieur du vertige informationnel qui peut exister sur les chaînes d’infos en continu et sur les réseaux sociaux. Nous avons voulu proposer des contenus documentés de celles et ceux qui vivent et travaillent dans des territoires, en place de voix journalistiques extérieures », précise Horya Makhlouf. Comme un contrepoint médiatique, le Bondy Blog, qui donne la parole aux habitants des banlieues, a ainsi confié à l’exposition un ensemble d’articles que le visiteur peut consulter.
Rapports de pouvoir
Le parcours se clôt par une troisième section dont le titre « Banlieues centrales » renverse les rapports de pouvoir entre centres et périphéries. Même si les artistes insistent, non sans humour, sur la distance géographique, sociale et imaginaire qui les sépare de la capitale, cette partie de l’exposition est surtout consacrée aux banlieues se constituant en foyers d’innovations.
Il nous semblait impossible de parler des banlieues sans que l’exposition soit au moins en partie créée dans ces territoires.
H. Makhlouf
Il s’agit alors, selon les mots d’Horya Makhlouf, « d’apprendre à se représenter » à travers des récits construits à rebours des archétypes réducteurs. L’un d’eux se matérialise avec une œuvre participative « Les archives de la Corbelloise – De Néandertal à PNL », qui retrace l’histoire de la ville sur 300 000 ans, par le biais d’archives archéologiques fictives qui rendent hommage aux arpenteurs de la Seine. La dernière salle aménagée en studio se consacre à la musique pour raconter les histoires qui s’écrivent en banlieue « à travers une chorale de voix », loin de se limiter seulement au rap.
Dans son propos comme dans sa forme, l’exposition sort de la tension centre-périphéries à laquelle elle aurait pu participer en traitant, depuis Paris, les banlieues. Le musée a ainsi multiplié les partenariats avec une quinzaine de collectivités, comme l’énonce Constance Rivière : « Nous avons voulu proposer une exposition en constellation car il nous semblait impossible de parler des banlieues sans qu’elle soit au moins en partie créée dans ces territoires. Nous avons par exemple mené un partenariat avec le Red Star Football Club de Saint-Ouen, qui joue un rôle majeur dans l’insertion des jeunes. Les joueurs porteront des maillots ‘banlieues chéries’ pour leur prochain match. Ils sont aussi venus tourner une vidéo au musée avec leur ballon de foot. »
À travers ces déclinaisons, le musée souhaite relever l’un de ses défis : « Toucher des publics différents qui se reconnaissent dans les mille histoires de vies de banlieues. »
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