La difficile résistance d’une certaine idée du communisme municipal

En 2021, le maire PCF de Grigny, Philippe Rio, remportait le titre de meilleur maire du monde. Cette année, c’est la maire communiste de Graz – la deuxième ville d’Autriche –, Elke Kahr, qui remporte le titre. Le communisme municipal a-t-il de beaux jours devant lui ?

Lucas Sarafian  • 21 février 2024 abonné·es
La difficile résistance d’une certaine idée du communisme municipal
Elke Kahr dans la Volkshaus de Graz. La maire de la deuxième ville d’Autriche a été élue "meilleure maire du monde".
© HEINZ TESAREK / APA-PictureDesk / AFP

Ils commencent à y être presque habitués. Être élu meilleur maire du monde ? Si on les écoute, le titre serait taillé pour les édiles communistes. Depuis sa création en 2003, le prix octroyé tous les deux ans par la City Mayors Foundation, sorte de think tank londonien réunissant des maires partout dans le monde, a récompensé deux communistes en dix éditions. Certes, le prix n’a rien de très officiel. Mais quand même. En 2021, le maire de Grigny (Essonne), Philippe Rio, a été récompensé. Et cette année, c’est Elke Kahr, maire de la ville de Graz, la deuxième ville d’Autriche, étiquetée KPÖ, le parti communiste du pays. Un signe politique fort, alors que l’extrême droite atteint 30 % des intentions de vote dans le pays.

Avec ce petit palmarès, les communistes français veulent croire qu’ils ont la cote. Certains y voient même le signe de l’existence toujours vive d’un « communisme municipal ». Philippe Rio, désigné meilleur maire du monde par ce fameux think tank pour sa « lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale » et son action en matière « d’éducation et de culture », en fait partie. « Le libéralisme a pris une place si importante qu’il devient le marchepied du fascisme. L’année 2023, marquée par la contre-réforme des retraites et la loi immigration, a prouvé que nous sommes dans une période de national-libéralisme. Le communisme municipal, c’est un espace politique de résistance face aux forces capitalistes dans le pays, même si notre parti a baissé électoralement », assure l’édile.

Le communisme municipal, c’était la défense des centres de santé, des colonies de vacances, du logement social, des services publics.

E. Bellanger

Ce concept né dans les années 1950 désigne à la fois la forte implantation locale du PCF à cette époque et une ligne politique sociale appliquée par les maires rouges dans leur ville.« Le communisme municipal, c’était la défense des centres de santé, des colonies de vacances, du logement social, des services publics. Ce sont des édiles qui, avec une certaine conscience de classe, portaient la volonté de servir les intérêts des plus populaires », définit Emmanuel Bellanger, historien spécialiste de cette idée et directeur de recherche au CNRS.

Les grandes heures du PCF sont passées. En déclin depuis le début des années 1980, le parti n’a plus l’implantation dans le pays qu’il avait avant. Selon les comptes de Philippe Rio, président de la Coopérative des élu·es communistes, républicain·es et citoyen·nes, les maires communistes seraient aujourd’hui autour de 600, sur un peu moins de 35 000 villes en France. Ce n’est pas rien. D’ailleurs, l’ancrage local du parti était toujours un argument utilisé par le PCF lorsqu’il s’agissait de négocier la répartition des circonscriptions de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes) en 2022.

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Mais l’écart est vertigineux par rapport à l’implantation qu’avait le parti en 1977. Il était dirigé par le très emblématique Georges Marchais et comptait près de 1 500 maires en France. La formation n’a pas survécu au choc de la désindustrialisation, n’incarne plus le parti des ouvriers et a perdu son poids électoral sur le plan national. Et, dans le même temps, l’idée de communisme municipal s’est tranquillement évaporée.

Du côté de la direction du parti, on ne nie pas cet affaiblissement mais on tente de le relativiser. « Nous avons un nombre d’adhérents très important [le PCF en a revendiqué plus de 40 000 en 2023, N.D.L.R.], avec une influence considérable à l’échelon municipal, clarifie Christian Picquet, chargé du mouvement des idées au sein du comité exécutif national. Il n’y a aucune raison de récuser cette idée. Créer des îlots qui dérogeraient à la logique du système capitaliste serait une illusion. Par contre, il est possible, à l’échelon des villes, de mettre en œuvre une série de politiques répondant à l’intérêt du plus grand nombre, des sortes de boucliers qui s’opposeraient aux logiques de la déréglementation libérale, de la casse des services publics et de la financiarisation de tout le système. »

Des actions concrètes

Partout en France, chacun des édiles communistes interrogés a sa petite définition de la chose. « Ce sont des actions concrètes et un état d’esprit. On doit regarder ce que vivent les gens et leur apporter des solutions. On prend le relais de l’État qui n’est presque plus là dans les villes rurales, les villes moyennes et en périphérie », estime Nicolas Langlois, qui défend à Dieppe (Seine-Maritime) la mise en place d’un centre de santé, promeut la baisse du tarif des cantines, travaille sur une réglementation pour réguler la location des meublés touristiques comme Airbnb, et bataille pour obtenir davantage d’agréments de logements sociaux.

« C’est un soutien aux familles mangées par le libéralisme », abonde Philippe Rio à Grigny, la ville la plus pauvre de France métropolitaine selon l’Observatoire des inégalités en 2023. Lui a mis en place le petit-déjeuner gratuit dans toutes les écoles, une licence sportive entre 0 et 50 euros, et s’est opposé à Coca-Cola, qui voulait pomper dans la nappe phréatique de la ville. À Saint-Étienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), le maire Joachim Moyse estime que le communisme municipal, « c’est essayer d’améliorer les conditions de vie au quotidien ». L’édile rouge a mis en place un système de mutuelle communale et a ouvert un centre municipal de santé,« alors que la santé n’est normalement pas une prérogative du maire ».

Il s’agit de faire la démonstration au quotidien que d’autres politiques peuvent changer concrètement la vie.

O. Corzani

« Le communisme municipal n’est pas une utopie, répond Olivier Corzani, maire de Fleury-Mérogis (Essonne). Il s’agit de faire la démonstration au quotidien que d’autres politiques, si elles sont orientées vers plus de répartition des richesses et de mixité sociale, peuvent changer concrètement la vie. » Le maire défend les colonies de vacances et la « doctrine » sécuritaire qu’il a installée dans sa ville : les autorités, qui se déplacent à pied, doivent systématiquement sensibiliser avant de sanctionner, sauf en cas d’infractions importantes. Un moyen de reconstruire le rapport entre les représentants de l’autorité et la population.

D’autres voient dans le communisme municipal une conduite politique. Dans la commune rurale de Cendras (Gard), Sylvain André ouvre une permanence tous les lundis : « Je pense qu’il faut déjà essayer d’écouter et d’aider les gens au quotidien et tenter de régler leurs problèmes. Il faut dire qu’on peut créer une société de partage, de solidarité et de coopération et pas de concurrence libérale. Il faut prouver que les politiques ne sont pas là uniquement pour répondre aux intérêts de quelques-uns. »

Une vision partagée par Serge De Carli, maire de Mont-Saint-Martin (Meurthe-et-Moselle) : « Il y a une déconnexion totale entre le pouvoir national et le terrain. Dans ce pays, ce sont les communes qui tiennent la France avec une politique de proximité. » Les piliers qui faisaient les politiques communistes – logement, santé, école – ne sont plus identifiés comme étant des étendards du parti. Mais les élus rouges voient toujours dans leurs bastions une opportunité de construire les bases d’une politique sociale qu’ils opposeraient à celle du gouvernement libéral en place.

« Réinventer cette idée »

Néanmoins, les capacités financières des communes se sont amoindries. Une situation en partie liée à la baisse des dotations de certaines municipalités du fait de la réforme des critères d’attribution. Et tous sont conscients que l’idée de communisme a perdu du terrain dans la bataille des idées, y compris à gauche. Alors, pour ne pas tomber dans la nostalgie, certains appellent à repenser le communisme municipal. « Il faut réinventer cette idée. Le passé glorieux, c’est bien. Mais ça n’a jamais été suffisant. Si on veut prouver que les communistes sont utiles, il faut travailler sur nos originalités », lance Patrice Leclerc, maire de Gennevilliers (Hauts-de-Seine) et auteur d’Inventons un nouvel art de vivre populaire (Arcane 17, 2022).

Ce que nous faisons ici est plus apte à assurer l’avenir du pays que le projet de loi immigration.

P. Bessac

L’élu explique s’efforcer de trouver des idées utiles et cite le dispositif « Fil continu » mis en place il y a plus de dix ans. Ce système permet d’accueillir des collégiens de la ville exclus temporairement de leurs établissements dans une structure animée par des professeurs, des animateurs et des éducateurs qui proposent des ateliers pédagogiques et de citoyenneté. La mesure n’a rien de révolutionnaire, mais elle combat frontalement la déscolarisation.

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« Le communisme municipal, c’est une notion d’historien, lâche Patrice Bessac, maire de Montreuil (Seine-Saint-Denis). Toutes les municipalités progressistes doivent s’interroger sur leurs responsabilités, parce que le pays est dans un moment de défaite, dans un moment où l’extrême droite s’apprête peut-être à avoir le pouvoir, dans un moment où l’État faiblit devant les multinationales », ajoute-t-il.

Il liste les travaux de rénovation thermique des logements sociaux, l’ouverture d’un nouveau centre social l’année dernière qui remplace l’historique foyer Bara, démoli pour insalubrité, et la création d’une régie publique de l’eau, mise en place par l’intercommunalité Est Ensemble, que Patrice Bessac préside. « Ce que nous faisons ici est plus apte à assurer l’avenir du pays que le projet de loi immigration défendu par le ministre de l’Intérieur. » Le message a le mérite d’être clair.

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