En finir avec Amiens
Les organisations sont importantes. Les défendre est nécessaire. Mais ne pourrions-nous pas, un temps, décider de faire ensemble, de construire ensemble par-delà nos sensibilités, nos pratiques ?
dans l’hebdo N° 1860 Acheter ce numéro

© LOIC VENANCE / AFP
L’idée peut paraître farfelue. Absurde et dangereuse. Voire contraire au sens de l’histoire. De notre histoire sociale. Sans doute. En réalité, elle le serait si tout allait bien, si la gauche se portait bien. Ça n’est pas le cas et ce, d’autant moins que l’extrême droite pèse près d’un électeur sur deux – parfois plus selon les nuances de droite extrême et d’extrême droite, et les instituts de sondage qui font plus que bourgeonner en ces temps printaniers. Il s’agit non pas d’en finir avec Amiens, la charte d’Amiens – celle qui scelle l’indépendance des syndicats vis-à-vis du politique –, mais d’en finir un temps. De faire une pause. Avons-nous le choix ?
La surenchère droitière et extrême droitière n’en finit plus de recycler les vieilles recettes.
Depuis 2017, et nous pourrions aller au-delà, la gauche va de défaite en défaite. Le résultat des dernières législatives anticipées n’a rien d’une victoire. Le camp des travailleurs, pourtant largement mobilisé contre la réforme des retraites, n’a rien gagné de significatif. Voire il a perdu. Beaucoup perdu. Avec l’inflation, le pouvoir de vivre des Français s’est rabougri, les droits et prestations sociales sont remis en cause. Et alors que la période invite à plus de protections, ce sont les chômeurs, les retraités, les précaires, les étrangers qui sont dans le viseur des politiques publiques, contractées par des tableurs Excel toujours plus austères.
Sabrer le code du travail et réduire les droits des travailleurs, faire travailler plus et plus longtemps, couper les dépenses sociales, supprimer les prestations de-ci, de-là, rogner sur les indemnités chômage, supprimer l’abattement fiscal des retraités. La surenchère droitière et extrême droitière n’en finit plus de recycler les vieilles recettes. Alors que dans le même temps la France bat des records de dividendes : près de 70 milliards d’euros. Combien cherchons-nous ? 40 milliards ? Les quelques bénéficiaires de ces gains, rendus possibles par des millions de travailleurs, ne pourraient-ils pas en être dispensés ne serait-ce qu’une année ?
Pour quoi, pour qui font-ils de la politique ? Pour quoi, pour qui Macron, Bayrou, Attal, Retailleau, Philippe, Montchalin, Darmanin, Le Pen, le Medef, etc. font-ils de la politique et/ou s’engagent-ils ? Pour leurs intérêts, ceux de quelques-uns, pas celui du plus grand nombre qui se contentera des effets du « ruissellement » qui ne vient pas. Pour quoi, pour qui Mélenchon, Tondelier, Faure, Roussel, Binet, Léon, Guilbert, Marandola, Oxfam, Greenpeace, les Soulèvements de la Terre, la LDH, Attac, etc. font-ils de la politique ou s’engagent-ils ? N’ont-ils pas en commun le souci du progrès humain, social et écologique ? De nos libertés ? Qui défendent-ils ?
Le monde bascule. La science et les scientifiques sont remis en cause. La justice, le droit, quel qu’il soit – international, du travail, de l’environnement, des femmes et des LGBTQ+, etc. – sont contestés. Partout l’extrême droite et son racisme décomplexé prospèrent, les régimes illibéraux gagnent du terrain. Les étrangers, les femmes, les pauvres et les « improductifs » sont pris pour cibles mais nous pourrions nous payer le luxe de la division et de rester dans nos couloirs de nage ? De ne pas défendre ceux pour qui ils/elles/nous – médias compris – sommes engagés ? De laisser la droite et l’extrême droite, seuls, prétendre à la victoire ?
Ne pourrions-nous pas, un temps, décider de faire ensemble, de construire ensemble ?
Les organisations sont importantes. Les défendre est nécessaire. Mais ne pourrions-nous pas, un temps, décider de faire ensemble, de construire ensemble, par-delà nos sensibilités, nos pratiques ? Une fois la gauche revenue au pouvoir – rêvons –, nous aurons tout loisir pour nous agiter et nous distinguer mais aussi critiquer, dénoncer, négocier, imposer Amiens et revenir dans nos couloirs de nage. Pour l’heure, il s’agit de ne pas prendre le mur que l’on ne manquera pas de se prendre en pleine gueule si nous ne prenons pas conscience collectivement du danger qui est là, face à nous. En avons-nous conscience ?
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