Meurtre d’Aboubakar Cissé : Retailleau et le soutien à géométrie variable
Venue tardive du ministère de l’Intérieur et des Cultes, absence du préfet : les réactions suite au meurtre d’Aboubakar Cissé en pleine prière, vendredi 25 avril, interrogent sur la manière dont certaines morts suscitent, chez d’aucuns, un intérêt inférieur par rapport à d’autres.

© Loic VENANCE / AFP
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Ce n’est pas cet attachement précieux aux faits, nécessairement têtus et pas toujours immédiatement accessibles par les enquêteurs, qui est reproché ici. Les emballements, qu’ils soient judiciaires, politiques ou médiatiques, conduisent rarement à la reconstitution fidèle des événements. Non, ce qui est regrettable, c’est que cette prudence n’est pas employée de la même manière en fonction du drame, et donc, des circonstances du décès de la personne concernée. Cet attentisme, construit relativement à l’identité de la victime, ou à celle de son meurtrier présumé, désigne une attitude politique bien précise. Elle consiste à attacher, politiquement, moins d’intérêt pour certaines vies.
Le meurtre d’Aboubakar Cissé en est un fidèle exemple. Pourquoi ? Parce que le ministre de l’Intérieur et des Cultes aura mis deux jours à se rendre – non pas à La Grand-Combe, mais à Alès, la sous-préfecture du Gard, rencontrer des représentants du culte. La toute première communication du candidat à la présidence LR s’est résumée à une publication sur X. Plusieurs heures après la découverte du corps du jeune Malien, le Vendéen, connu pour ses positions réactionnaires et notamment vis-à-vis de l’islam, s’est résolu à publier 383 signes de « soutien à la victime ».
Pourtant, dès la matinée, plusieurs médias révélaient des éléments précisant les contours de cette attaque. Ainsi en est-il des éléments issus d’une vidéo postée après les faits par l’assaillant lui-même sur Snapchat, où il énonce clairement : « Je l’ai fait (…) ton Allah de merde ». Les circonstances commencent alors à être établies : après être entré dans la mosquée, l’auteur présumé, Olivier A., s’est installé à côté d’Aboubakar Cissé, a mimé une prière avant d’attaquer son voisin par surprise à l’arme blanche. Après trois jours de cavale, il s’est rendu de lui-même au commissariat de Pistoia, à côté de Florence.
Silence et brouhaha
Mais vendredi après-midi, Bruno Retailleau reste discret. « L’enquête permettra, je l’espère, d’appréhender rapidement l’auteur et de faire la lumière sur cet évènement épouvantable », a daigné déclarer le locataire de Beauvau, en milieu d’après-midi. Et puis ? C’est tout, officiellement. En coulisse, vendredi soir, Bruno Retailleau a indiqué, sur BFMTV, avoir envoyé un télégramme aux préfets pour que « toutes les mosquées » soient davantage protégées. Mais sinon, le silence règne. Le préfet ne se rend pas sur place, une « déception » pour des fidèles musulmans, indique le vice-président du Conseil français du culte musulman (CFCM) et recteur de la mosquée Sud-Nîmes, Abdallah Zekri, sur Franceinfo.
Vous avez en France trois homicides par jour. (…) Je ne me déplace pas à chaque fois.
B. Retailleau
Dimanche soir, le procureur de la République d’Alès, qui a d’abord qualifié les faits en « homicide », vendredi, puis en « assassinat », incluant la préméditation, le lendemain, a indiqué au Monde que « si le mobile islamophobe [apparaissait] en premier, il pourrait y avoir autre chose de manière sous-jacente ». Et, notamment, une volonté de devenir un « tueur en série ». Si le premier ministre, François Bayrou, a dénoncé, lui, une « ignominie islamophobe », dès le jour même, Bruno Retailleau, comme Manuel Valls, ministre des Outre-mer, ont préféré le terme d’acte « antimusulman », le lendemain.
Il faut se rappeler la démesure dans laquelle se vautrait le ministre de l’intérieur lorsque, alors seulement président des Républicains, il avait, pêle-mêle, dénoncé une « France ensauvagée », pointé un « racisme anti-Blancs », tout en appelant à une « révolution judiciaire » après la mort de Thomas, lors d’un bal à Crépol, en novembre 2023. Depuis, les faits ont montré qu’il ne s’agissait pas d’une attaque raciste. Bruno Retailleau s’était agité dans le mensonge.
Car pour le ministre de l’intérieur, le silence comme le brouhaha sont autant de signaux politiques. Et répondant à BFM à la question du deux poids, deux mesures dans le traitement des homicides liés aux croyances religieuses, il balaie d’un revers de main : « Vous avez en France trois homicides par jour. Certains sont abominables. Je ne me déplace pas à chaque fois. » Circulez, il n’y a donc rien à voir.
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