Une semaine avant la fusillade à Rennes, les jeunes se mobilisaient contre la violence
Après les fusillades qui ont éclaté dans le quartier Villejean-Kennedy, le 17 avril, le président de l’association Rennes Commune, Ulysse Rabaté, dénonce la stigmatisation dont ont été victimes les familles populaires dans le discours du gouvernement, alors qu’elles sont aussi mobilisées sur le terrain contre les violences.

© Damien MEYER / AFP
Le 17 avril dernier, une fusillade liée au narcotrafic a eu lieu en plein après-midi dans un fast-food très fréquenté du quartier Villejean-Kennedy, à Rennes. Des individus ont été ciblés dans un lieu où viennent manger les jeunes et moins jeunes du quartier, ainsi que les étudiants du campus de l’Université Rennes 2.
Les images qui ont été saisies depuis les fenêtres des immeubles alentours, sont terribles. Elles rappellent d’autres événements similaires qui ont eu lieu dans la ville – réputée paisible – ces dernières années. Il y a un peu plus d’un an, une course poursuite et des échanges de tirs s’étaient enchaînés pendant plus d’une heure dans les immeubles d’un square du quartier du Blosne (du côté sud de la ville), sans que la police puisse intervenir face aux armes lourdes des protagonistes.
Dans des quartiers paupérisés et stigmatisés, l’économie de la drogue remplit souvent le gouffre ouvert par les inégalités sociales.
Ces fusillades sont l’expression radicale d’un narcotrafic qui, à Rennes comme dans de nombreuses villes, prend des formes et dimensions nouvelles. Plus amples, plus violentes, indifférentes aux effets collatéraux de tels affrontements dans l’espace public. Ce phénomène n’est pas spécifique à une ville ou à certains quartiers : c’est un phénomène global auquel sont confrontés les pouvoirs publics bien entendu, mais aussi et surtout les habitants des quartiers populaires.
L’emprise du trafic est multiforme. Elle ne se manifeste pas toujours par ces affrontements violents qui font la Une des JT. Dans des quartiers paupérisés et stigmatisés, l’économie de la drogue remplit souvent le gouffre ouvert par les inégalités sociales (1). Elle est une composante de l’espace public, qui n’est d’ailleurs pas forcément source de conflits.
Et pourtant, le gouvernement vient de supprimer, le 14 avril dernier, l’Observatoire national de la politique de la ville qui permettait de mesurer les inégalités socio-économiques qui frappent les quartiers populaires et y justifient l’effort public.
Mobilisations
En effet, face à cette « présence », les habitants formulent des demandes qui ne sont pas univoques. Bien sûr, l’exigence de sécurité est primordiale : qui peut accepter que ses enfants, ses frères, ses sœurs, ses amis, courent le risque d’être pris dans une fusillade en allant faire une course, en se retrouvant en bas du bâtiment, ou en rentrant du sport ?
Les mobilisations sont légion dans les quartiers pour limiter les effets du trafic et souvent, éviter le pire.
Mais les premiers concernés par ces violences ne restent pas inactifs : les actions ordinaires, les négociations, les mobilisations, sont légion dans les quartiers pour limiter les effets du trafic et souvent, éviter le pire. Cette conscience partagée est une donnée de la réalité et sans aucun doute une ressource inexploitée, dans les discours et postures sécuritaires qui surgissent opportunément lorsque des drames frappent les quartiers.
Ainsi, dans le traitement médiatique des événements du 17 avril, une information est complètement passée à la trappe alors qu’elle est primordiale. Le week-end précédent avait en effet lieu sur le quartier de Villejean (à quelques dizaines de mètres du lieu de la fusillade) un événement populaire à l’initiative de plusieurs groupes de jeunes avec comme objectif affiché de lutter contre la violence et donner une autre image du quartier, justement dans une période marquée par les conflits liés au trafic. Un match de football était organisé pour mettre en scène l’unité du quartier, et la volonté de dialogue avec le reste de la ville.
Indispensable prévention
Cet événement sportif et politique (même s’il ne se revendiquait pas comme tel) rassemblait plusieurs générations, mobilisées dans cette conscience du danger, pour tout le monde. Il a été marqué par des prises de paroles diverses, un concert à même le terrain.
Le choc de la fusillade a en quelque sorte « chassé » le message porté quelques jours avant.
Tout cela avec l’aide des éducatrices et éducateurs investis sur le quartier, et qui rappellent le caractère indispensable de la prévention et de l’accompagnement social des jeunes – pourtant, ces missions sont aujourd’hui affaiblies, voire attaquées par ceux qui considèrent qu’on dépense toujours trop – un pognon de dingue – pour les populations en difficulté. La ministre de la ville, en visite sur le quartier, demande « où sont les pères » et continue un discours de stigmatisation des familles, déjà en vogue au lendemain des révoltes urbaines de 2023.
Les jeunes à l’initiative de l’événement expriment aujourd’hui une forme de désespoir : le choc de la fusillade a en quelque sorte « chassé » le message porté quelques jours avant. Voilà le paradoxe dans lequel sont souvent enfermés les habitants des quartiers populaires lorsqu’ils prennent position dans la sphère publique : le caractère très signifiant dans le réel de leur mobilisation politique, permanente et diverse depuis désormais plusieurs décennies, est régulièrement effacé par des événements dont ils sont pourtant les premières victimes.
Nous ne devons pas sombrer dans la déploration cependant : cet exemple montre qu’une politique de lutte contre le narcotrafic est possible contre la ligne incendiaire Sarkozy-Valls-Retailleau. Une autre politique, qui se nourrit de l’expérience et de la kyrielle de pratiques déjà en œuvre dans les quartiers populaires, où la question de la sécurité n’est pas sans cesse opposée aux notions de respect et de solidarité. Voilà sans aucun doute une source d’inspiration pour la gauche.
Des contributions pour alimenter le débat, au sein de la gauche ou plus largement, et pour donner de l’écho à des mobilisations. Ces textes ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction.
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