Claude Mangin : « On embarque pour le Maroc, on verra bien la réaction des autorités »

L’initiatrice de la « Marche pour la liberté des prisonniers politiques sahraouis » se rend à Tanger ce samedi 31 mai pour défendre la cause sarhaouie.

Patrick Piro  • 31 mai 2025 abonné·es
Claude Mangin : « On embarque pour le Maroc, on verra bien la réaction des autorités »
Claude Mangin, à Olot, en Catalogne (Espagne) le 26 avril 2025
© Patrick Piro

Après un périple d’une vingtaine d’étapes à travers la France et jusqu’au sud de l’Espagne, l’initiatrice de la « Marche pour la liberté des prisonniers politiques sahraouis » s’apprête à embarquer à Algésiras avec sa délégation, direction Tanger où les attendent des autorités marocaines intransigeantes.

En Espagne, ancienne puissance colonisatrice du Sahara occidental, la population est plus sensibilisée qu’en France à l’enjeux de l’indépendance de ce territoire. Comment s’est déroulé votre périple, de Olot en Catalogne à Algésiras en Andalousie ?

Claude Mangin : Ça s’est très bien passé, nous avons été partout très bien reçu·es. Les gens nous ont remercié d’avoir réactivé la dynamique autour de la question sahraouie, mais aussi tout simplement de les avoir informés, parce que finalement, ils ne sont pas si informés que ça. Par exemple, les jeunes n’étudient pas cette tranche de leur histoire coloniale à l’école. Quant aux plus âgés, certains ont connu l’époque de la colonisation, ce qui alimente chez eux un sentiment de culpabilité.

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Cependant, il existe un peu partout une importante solidarité avec les réfugiés sahraouis, pratiquée par de nombreuses organisations espagnoles, très mobilisées et organisées. L’aide humanitaire reçoit de l’argent des collectivités territoriales et du gouvernement entre autres, pour renvoyer des biens d’urgence, surtout de la nourriture.

Les familles accueillent aussi régulièrement des enfants sahraouis pendant les vacances. En Andalousie, on en attend un millier cet été.

Et qu’en est-il de la mobilisation des élus espagnols ?

Ils sont largement sensibilisés. Partout, nous avons pu rencontrer des conseillers municipaux et des députés départementaux et régionaux. Qu’il s’agisse de délégations conduites par le Parti populaire (PP, droite) ou par la Gauche unie.

Cependant, ils ne sont pas très revendicatifs. Je suppose, comme cela m’a été confirmé, qu’il existerait une sorte de modus vivendi, avec l’accord du Front Polisario : on n’agite pas trop les questions politiques, en échange de quoi le gouvernement soutient les actions humanitaires au profit des campements de réfugiés sahraouis.

Par ailleurs, nous avons aussi été reçu·es partout par les syndicats de gauche, minoritaires et majoritaires, comme les Commissions ouvrières (CCOO), qui tiennent un discours beaucoup plus politique que les élus politiques en général. À Séville, par exemple, nous avons rencontrés des vieux syndicalistes particulièrement attentifs, car certains ont connu la prison sous la dictature de Franco en raison de leurs engagements. Aussi, même si la question sahraouie n’est pas prioritaire dans leur agenda, les syndicats espagnols sont plus engagés qu’en France, où l’on trouve essentiellement la CGT cheminots et Sud à nos côtés.

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Nous avons également été reçu·es dans les universités de presque toutes les villes espagnoles traversées, avec parfois l’intervention d’intellectuels renommés et des discours clairement anti-impérialistes à l’endroit du Maroc. Hier enfin, nous avons terminé avec des associations féministes qui organisent depuis plusieurs années une marche internationale pour les femmes sahraouies.

Au bout du compte, nous qui n’avions pas de lien avec des associations partenaires en Espagne, nous repartons avec un carnet bourré d’adresses.

Vous allez prendre le ferry demain, samedi 31, pour Tanger. Combien de personnes pour vous accompagner ?

Il y aura notamment une dizaine de Français·es, dont deux élus de la ville d’Ivry dont je suis habitante. Pour conférer une officialité à notre démarche, nous avons constitué une délégation de quatorze représentant·es, issu·es à parts égales de France et d’Espagne, qui sera chargée de présenter notre revendication en faveur de la libération des prisonniers politiques sahraouis. Nous avons également demandé des rendez-vous aux autorités marocaines. Pour ma part, pour la forme, j’ai sollicité l’autorisation de voir mon mari Naâma Asfari, emprisonné à Kenitra. Il en est à la moitié de l’exécution d’une peine de 30 ans. Pour mémoire, je n’ai plus eu l’autorisation de le voir depuis 2019, avant d’être expulsée.

Olot, en Catalogne (Espagne) [Crédit : Patrick Piro]

La communauté marocaine s’est régulièrement mobilisée dans les villes françaises où la Marche est passée, parfois sans autorisation, afin de perturber les manifestations que vous y avez organisé. Qu’en a-t-il été en Espagne ?

Ça a été bien plus calme. Tout au plus une ou deux interventions ponctuelles d’opposants à nos revendications. Il faut dire que la police espagnole agit avec vigueur contre les manifestations non autorisées…

Que savez-vous du comité d’accueil des autorités marocaines, à Tanger ?

Rien, il n’y a eu aucune communication à ce sujet. En tout cas, il est sûr qu’ils nous attendent de pied ferme. On verra bien si certain·es d’entre nous pourrons passer. Pour ma part, je suis persona non grata au Maroc… Pour autant, je n’ai pas pris de billet de retour a priori.


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