En Guyane, Darmanin offre le retour des bagnes à la galaxie Bolloré
En visite en Guyane, Gérald Darmanin a annoncé la création d’une prison de haute sécurité à Saint-Laurent du Maroni. Le garde des Sceaux a réservé son annonce à CNews et au Journal du Dimanche, en cultivant l’imaginaire d’un « enfer vert ». Une communication qui ravive le souvenir des bagnes et déclenche une vive indignation sur place.

© Tristan Dereuddre
Un journaliste local traité d’« idiot », des élus locaux tenus à l’écart, une communication qui piétine l’image de la Guyane : la visite de Gérald Darmanin a coché toutes les cases du mépris. En déplacement sur le territoire pendant deux jours, le garde des Sceaux a annoncé l’ouverture d’une prison de haute sécurité à Saint-Laurent-du-Maroni, commune située à l’extrême ouest de la Guyane, à la frontière du Suriname.
Ce samedi 18 mai, le ministre de la Justice donne rendez-vous à la presse au Centre éducatif fermé (CEF) de Montsinéry, petite commune située au sud de Cayenne. Sur place, les rédactions locales de France-Guyane et de Guyane la 1ère attendent patiemment, pendant plus de deux heures, la sortie du ministre pour recueillir une réaction sur les enjeux de son déplacement. Ils sont accompagnés par un journaliste issu d’une rédaction inhabituelle sur le territoire : CNews. « C’est dans le thème », plaisante l’un d’eux. Il ne croyait pas si bien dire. Le garde des Sceaux refusera de répondre à la presse locale.
Et pour cause, l’annonce officielle est déjà prête ailleurs : à Paris, dans les colonnes du Journal du Dimanche, propriété du groupe Bolloré. Une heure plus tard, la « une » du JDD est dévoilée sur le plateau de CNews : « Une prison pour Narcos en Guyane : Darmanin annonce la création d’une prison ultra-sécurisée au cœur de l’Amazonie », titre l’hebdomadaire d’extrême droite. Lundi, en visite dans un centre pénitentiaire, Gérald Darmanin a refusé d’être accompagné par France-Guyane, Guyane la 1ère, Radio Péyi, Le Monde, l’AFP et Politis, pour préférer ses deux perroquets médiatiques : CNews et le JDD.
Cette méconnaissance traduit un profond mépris pour le territoire, réduit à un décor exotique.
Cultiver l’image du bagne
Dans son article, le JDD cultive l’image du bagne en décrivant une prison située « aux confins de la jungle, à des jours des premiers hameaux accessibles uniquement en pirogue ou par avion ». Loin de ce fantasme, Saint-Laurent-du-Maroni est la deuxième ville de Guyane, avec une population en pleine croissance qui devrait bientôt dépasser celle de Cayenne. Pourtant, une grande partie des médias nationaux ont repris les éléments de langages du JDD, en alimentant allègrement l’imaginaire colonial « d’enfer vert » de la Guyane. Cette méconnaissance traduit un profond mépris pour le territoire, réduit à un décor exotique.
La prison, d’une capacité d’accueil de 500 détenus, sera donc bien accessible par la route. Il sera l’un des bâtiments qui constitueront une cité judiciaire, dont la construction est prévue depuis 2017 et les accords de Guyane. La nouveauté réside dans la création d’un quartier de haute sécurité (QHS), composé de « 60 places pour des narcotrafiquants et 15 pour des islamistes / radicalisés », indique le cabinet du ministre, contacté par Politis. Un projet à 400 millions d’euros, qui s’inscrit dans une stratégie de communication bien huilée.
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Car Gérald Darmanin n’a pas choisi le JDD et CNews par hasard. En réservant son exclusivité au groupe Bolloré, le ministre de la Justice joue la surenchère sécuritaire en vue d’une possible candidature en 2027. Après Laurent Wauquiez, qui rêvait le mois dernier d’envoyer les OQTF à Saint-Pierre-et-Miquelon, Gérald Darmanin choisit la Guyane comme territoire d’outre-mer à instrumentaliser. Lorsqu’un journaliste de Guyane 1ère l’interrogera sur la référence historique à peine masquée au bagne, il sera qualifié « d’idiot » par le ministre.
La présidente des Écologistes, Marine Tondelier a réagi hier matin au micro de RMC : « La symbolique qui consiste à installer une prison en Guyane pour des non-Guyanais est extrêmement problématique. On voit bien la référence historique au bagne, on relègue les territoires d’outre-mer à l’une de leurs assignations au moment de la colonisation : un emprisonnement qui se double d’une mise au ban géographique », a-t-elle déclaré.
Tollé politique en Guyane
On relègue les territoires d’outre-mer à l’une de leurs assignations au moment de la colonisation.
M. Tondelier
L’exécutif guyanais, la Collectivité territoriale de Guyane (CTG), a déclaré s’opposer « fermement à un projet carcéral qui consisterait à recevoir les détenus les plus dangereux de France, dans une reconstitution du bagne de très mauvais goût ». La plupart des élus locaux n’ont pas été consultés par Gérald Darmanin : « C’est avec stupeur et indignation que les élus de la Collectivité ont découvert, en même temps que toute la population de Guyane, les éléments détaillés dans le Journal du Dimanche », indique la CTG.
À l’échelle du territoire, les réactions politiques condamnent unanimement le projet du garde des Sceaux. La maire de Saint-Laurent-du-Maroni, Sophie Charles, a directement interpellé Gérald Darmanin : « Cette page de l’histoire est tournée et j’espère qu’elle ne reviendra pas », s’est-elle exclamée en rappelant l’histoire douloureuse des bagnes. Le parti indépendantiste MDES et l’association des maires se sont aussi fendu d’un communiqué.
Le député de Guyane Jean-Victor Castor a adressé une lettre ouverte au premier ministre, François Bayrou. Il dénonce une insulte à l’histoire de la Guyane, une provocation politique et une régression coloniale. « Faire de la Guyane un bagne 2.0 pour les narcotrafiquants, les fichés S et les terroristes, c’est faire le choix du mépris », écrit-il. Pour le sénateur de la Guyane, Georges Patient, « il ne peut être question de ‘rouvrir Cayenne’ ou un quelconque bagne en Guyane. Les élus et la population ne laisseront pas faire ».
Avec cette déclaration malheureuse, c’est quatre ans de boulot, d’engagement total, qu’on balance par la fenêtre.
J.L. Le West
« C’est dramatique pour l’image du territoire »
Jean-Luc Le West, vice-président de la CTG et président du Comité de tourisme, accueille cette annonce comme un coup de poignard. « C’est un profond manque de respect pour les Guyanais, pour les élus et pour la destination Guyane. Pour l’image de notre territoire, porte d’entrée en Amérique du Sud, c’est dramatique. Avec cette déclaration malheureuse, c’est quatre ans de boulot, d’engagement total, qu’on balance par la fenêtre », confie-t-il.
Hasard du calendrier ou non, les annonces de Gérald Darmanin contrastent cruellement avec la possible entrée au Panthéon de Gaston Monnerville. L’homme politique guyanais, ancien président du Sénat, s’est battu toute sa vie pour la justice et la dignité, et notamment pour la fermeture des bagnes. Lui a tout entrepris pour tourner la page. D’autres semblent vouloir en réécrire les pires chapitres.
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