Déserts médicaux : « Il faut changer de méthode »

Face à l’aggravation de la désertification médicale, et alors que les médecins libéraux sont en grève, Arnaud Bontemps, fondateur du collectif Nos services publics, revient sur les limites des politiques publiques menées jusqu’ici et plaide pour une restructuration du modèle de santé français.

Juliette Heinzlef  • 6 mai 2025 abonné·es
Déserts médicaux : « Il faut changer de méthode »
© Marcelo Leal / Unsplash

Arnaud Bontemps est aujourd’hui à la tête de Nos services publics, un collectif fondé pour décrypter les dysfonctionnements des administrations et réfléchir à une manière alternative d’organiser les services publics. Le dernier rapport sur l’état des services publics en 2023 pointe une aggravation de l’inégale répartition géographique des médecins généralistes et des difficultés d’accès aux soins, en dépit des mesures incitatives des pouvoirs publics. De quoi interroger le décalage entre les besoins sociaux et les moyens des services publics. Entretien.

Quelles sont les raisons de la désertification médicale et de son augmentation  ?
 
Arnaud Bontemps : La première raison est d’ordre quantitative. Depuis plusieurs décennies, il y a une stabilité globale du nombre de médecins formés par habitant, ce qu’on a longtemps appelé numerus clausus. En parallèle, si le nombre de médecins a été globalement stable, il y a d’autres professions qui sont largement dynamiques : c’est notamment le cas des infirmiers et infirmières, des kinésithérapeutes, à qui la délégation d’actes de la part des médecins généralistes reste assez poussive. 

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Il y a ensuite un effet de répartition. Ce nombre insuffisant de médecins et de professionnels de santé est de plus en plus inégalement réparti sur le territoire. Il y a toujours eu des disparités entre les différents territoires, néanmoins elles s’accroissent. Dans les dix dernières années, une dizaine de départements, qui étaient au-dessus de la moyenne nationale en termes de densité médicale, ont vu leur nombre de médecins par habitant augmenter. Et à l’inverse, depuis 2012, une cinquantaine de départements qui étaient déjà en dessous de la moyenne nationale, ont vu le nombre de médecins par habitant reculer.

Arnaud Bontemps
« On peut enfin parler d’une responsabilité globale de l’État en matière d’aménagement du territoire, car les déserts ne sont pas uniquement médicaux. Ce sont les territoires d’où se retire la Poste, dans lesquels les classes ferment… » (Photo : DR.)

Peut-on dire que l’État a été fautif dans l’endiguement de la désertification médicale ?

L’État a jusqu’à présent multiplié les incitations financières à l’installation, notamment en zone dite « sous-dense », à domicilier son cabinet dans des territoires moins dotés. Celles-ci coûtent de l’argent aux pouvoirs publics : ce sont des revenus supplémentaires pour certains médecins. Pour autant, on constate que la multiplication des incitations n’a pas permis d’endiguer un accroissement des inégalités. 

On appelle la plupart des médecins « libéraux » à tort, puisque leur rémunération vient en réalité de l’assurance maladie.

La deuxième défaillance de l’État en matière de santé est d’avoir laissé une place croissante à des acteurs qu’on dit financiarisés, qui ont un but lucratif. Ce sont ceux qui commencent à s’implanter en ville dans le domaine des soins primaires, avec des cabinets qui exploitent toutes les failles de notre système de santé, comme la désertification médicale, en développant la téléconsultation en urgence, en dehors de tout parcours de soins. La pénurie accélère ces possibilités de soins dégradés.

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On peut enfin parler d’une responsabilité globale de l’État en matière d’aménagement du territoire, car les déserts ne sont pas uniquement médicaux. Ce sont les territoires d’où se retire la Poste, dans lesquels les classes ferment et où il y a une déconnexion croissante entre les besoins de la population et les moyens des services publics. L’État a un travail à faire sur la relocalisation des activités, la diminution des temps de transport et de la dépendance à la voiture qui obligent à penser différemment la manière dont on fait la ville et le territoire.

Concernant les grèves actuelles des praticiens, quel regard portez-vous sur celles-ci ?

Les mouvements de médecins dits libéraux sont rarement traités de la même façon que les mouvements à l’hôpital public. Rappelons qu’ils concernent des populations dont le revenu représente en moyenne 5 fois le salaire moyen, d’après l’OCDE. C’est aussi la seule profession de santé qui a aussi peu de contraintes en termes de répartition territoriale au prétexte qu’il y a de longues études.

Construisons des lieux de stages dans les territoires qui sont des déserts médicaux, de la Creuse à la Seine-Saint-Denis.

On appelle la plupart des médecins « libéraux » à tort, puisque leur rémunération vient en réalité de l’assurance maladie, donc de la socialisation des dépenses de santé. Dès lors que la rémunération des médecins provient quasi exclusivement de l’argent public, il est logique qu’il y ait contrainte de services publics.

Est-ce que mobiliser les internes de 4e année pour renforcer les zones sous-denses, comme l’a proposé vendredi 25 avril François Bayrou, pourrait être une solution ?

Répondre systématiquement aux carences du système de soins en mobilisant les internes me semble insuffisant à court terme et délétère à l’échéance plus longue. Notre modèle de santé à l’hôpital repose en grande partie sur une surexploitation des étudiants en internat. Je ne suis pas sûr que renforcer les contraintes au moment de l’internat permette de construire quelque chose de différent avec cette profession.

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Par ailleurs, si l’on veut multiplier les stages en zones sous-denses, encore faut-il qu’il y ait des maîtres de stage présents. Cela repose la question de la régulation. Construisons des lieux de stages dans les territoires qui sont des déserts médicaux, de la Creuse à la Seine-Saint-Denis. C’est le meilleur moyen de favoriser l’installation en leur proposant déjà d’exercer dans ces zones-là.

Quels dispositifs pourraient être mis en place pour lutter efficacement contre ces déserts médicaux ?
 
En termes de répartition, il faut changer de méthode. La proposition de loi Garot ne s’attaque pas au volet quantitatif de la pénurie, mais propose tout de même des pistes contre l’accroissement des inégalités : ces premiers pas me semblent indispensables. Mais il faut aussi s’attaquer au volet quantitatif de la pénurie. La question de la formation, souvent avancée, reste insuffisante car les futurs médecins formés aujourd’hui n’arriveront que dans dix ans.

Le travail en équipe parmi les professionnels de santé a le vent en poupe chez les jeunes générations.

Le modèle du médecin généraliste de campagne, un notable isolé, seul dans son cabinet doit être substitué par des équipes pluriprofessionnelles qui permettent d’aller beaucoup plus loin en qualité de soins et d’accompagner plus de patients. En ce sens, les pouvoirs publics ont une responsabilité pour accompagner le développement d’un modèle de santé salarié où, contrairement au modèle dit « libéral », les médecins ne sont pas rémunérés directement par l’assurance maladie.

L’accroissement du travail en équipe parmi les professionnels de santé a le vent en poupe chez les jeunes générations. Ces derniers ont également des souhaits d’évolution et d’une plus grande conciliation entre vie privée et vie professionnelle.  

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