« Je me souviendrai toute ma vie de ce verdict »

L’une des 299 victimes de Joël Le Scouarnec, Gabriel Trouvé, 34 ans, réagit au verdict d’un procès qu’il juge particulièrement décevant.

• 30 mai 2025
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« Je me souviendrai toute ma vie de ce verdict »
Le verdict du procès de Joël Le Scouarnec a été prononcé mercredi 28 mai 2025.
© Benoit PEYRUCQ / AFP

Après trois mois d’audiences, le procès du chirurgien Joël Le Scouarnec s’est clos le 28 mai. Il a été condamné à vingt ans de réclusion pour viols et agressions sexuelles sur 299 victimes. L’une d’elles, Gabriel Trouvé, 34 ans, réagit à ce verdict plus inquiétant que rassurant et explique pourquoi la justice n’a pas été à la hauteur de ce procès qui devait être « hors-norme ».


Avant que le verdict soit prononcé, mercredi 28 mai, on s’est réunis avec celles et ceux du collectif de victimes de Joël Le Scouarnec qui le souhaitaient, pour manger ensemble et, en quelque sorte, ritualiser la fin du procès, pour honorer aussi ces liens qui ont pu se tisser entre nous, et parler de l’après.

À ce moment-là, aucun de nous n’aurait pu penser que la rétention de sûreté ne serait pas appliquée. C’était inconcevable. Et, encore aujourd’hui, on reste sous le choc. Vous savez, 300 victimes, ce n’est pas juste un chiffre. Il y a des vies derrière, et celles-ci n’ont pas été respectées.

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On nous avait promis un procès « hors-norme », le « procès du siècle ». Ce procès aurait dû être un « symbole de justice ». C’est finalement un verdict qui ne fait pas date, puisqu’il vient à déconsidérer les victimes et à soutenir les velléités de la personne condamnée. Alors qu’elle a reconnu avoir eu des difficultés dans la recherche de vérité pour discerner l’authenticité du discours de Joël Le Scouarnec, la cour criminelle du Morbihan a préféré ne pas prononcer la rétention de sûreté.

Concrètement, d’ici à six ans, Joël Le Scouarnec peut ressortir.

Je me souviendrai toute ma vie de ce verdict. Des victimes étaient effondrées. D’autres n’ont rien laissé paraître. La présidente de la cour a indiqué que Joël Le Scouarnec avait fait part d’une sorte de « bonne volonté », et qu’il voulait se soigner. Mais l’ensemble des expertises pointaient le contraire. Elles se rejoignaient toutes pour souligner le risque élevé de récidive. Encore une fois, alors que les institutions dans la vie de Joël Le Scouarnec ont participé à rendre possibles ses crimes, la justice laisse planer sa dangerosité.

D’autres proies

Concrètement, d’ici à six ans, Joël Le Scouarnec peut ressortir. Certes, il peut lui être demandé de ne plus être au contact d’enfants. Mais ce n’est pas seulement un pédocriminel : c’est un pervers polymorphe. Que va-t-il faire en sortant ? Il faut se rappeler : Joël Le Scouarnec a pu se masturber devant des images de camps de concentration. C’est à ce niveau de perversité. Le verdict condamne un homme qui pourra commettre des crimes à nouveau. C’est un terrible message adressé aux victimes, et un terrible signal à l’égard des autres criminels qui peuvent se reconnaître.

Beaucoup de victimes ont participé à ce procès avec pour mot d’ordre : « Plus jamais ça. Il ne faut plus d’autres victimes. » Le verdict ne va pas dans ce sens. On a résumé ce procès à celui d’un pédocriminel. Or c’est un pervers qui a des troubles paraphiliques, dont la pédophilie.

Certes, il ne sera plus en contact avec des enfants. Oui, il ne pourra plus avoir d’animaux de compagnie [dont on sait qu’il a pu les violenter, N.D.L.R.]. Mais il peut avoir d’autres proies. Explorer d’autres transgressions. Il fallait sécuriser les trajectoires de reconstruction individuelles des victimes. Là, le verdict est menaçant alors qu’il devait rasséréner. Qui va payer notre psychothérapie à vie ? Qui va être là pour nous aider quand Joël Le Scouarnec va sortir ?

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La justice lui donne une chance. Elle ne protège pas les générations d’aujourd’hui et de demain. La justice nous expose à un goût amer d’inachevé. Nous, les victimes, qui avons été si longtemps invisibilisées, plongées dans une hyper-responsabilisation pour, finalement, être à nouveau déconsidérées. La justice n’a pas mesuré l’ampleur sociétale que ce procès aurait dû avoir.

Il fallait sécuriser les trajectoires de reconstruction individuelles des victimes. Là, le verdict est menaçant alors qu’il devait rasséréner.

Mais les journalistes non plus. Ils n’ont pas apprécié la responsabilité politique de la couverture d’un tel procès. On a cruellement manqué d’un accompagnement médiatique tout au long de ce procès. Certes, des journalistes étaient là au début. Certes, ils étaient présents à la fin. Mais pendant les trois mois ? Quelles discussions n’ont pas été permises, quelles prises de conscience n’ont pas été produites au cœur des foyers du fait de l’absence d’articles ?

On a une crainte, vive, que tout cela s’étouffe encore une fois. Et que les victimes restent seules, à comparer leur peine, leur prise de parole, leur visibilité, la condamnation des auteurs des violences qu’elles ont subies. La concurrence victimaire, c’est une souffrance. Nous, on souhaite un rapprochement entre victimes. Pour que le ministère de la Justice et les législateurs aient une approche systémique des schémas de prédation et des réponses à y apporter. Une bonne fois pour toutes et tous.

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