Syrie : Palmyre veut retrouver le fil de son histoire

Ravagée par quatorze ans de guerre, la cité antique, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, panse ses plaies depuis la chute de Bachar Al-Assad. Au-delà des ruines millénaires, toute une ville, privée d’infrastructures essentielles, est à reconstruire.

Hugo Lautissier  • 21 mai 2025 abonné·es
Syrie : Palmyre veut retrouver le fil de son histoire
Mahmoud al Salem observe les ruines de son immeuble, rasé par l’aviation israélienne.
© Hugo Lautissier

À deux pas du site antique, le drapeau flambant neuf de la révolution syrienne flotte au vent, flanqué d’un large panneau « I love Palmyra ». Autour de cette place vide, sur laquelle ne circulent que quelques chiens errants, écrasés par la chaleur de ce début du mois de mai, tout n’est que désolation. Le musée archéologique, avec sa collection millénaire, affiche porte close. Il a été en partie pillé par l’État islamique (EI) en 2015 avant qu’un missile ne traverse sa toiture. De l’autre côté de la rue, l’ancienne mairie et ses colonnades ottomanes ont été détruites par une frappe aérienne.

« Ce qui s’est passé ici est une catastrophe. C’est une immense perte pour les Palmyriens en premier lieu. C’est notre histoire et celle de nos ancêtres. Mais c’est aussi un drame pour tous les Syriens », réagit Mohammad Fares, les yeux cachés par une casquette noire, en pénétrant dans le site antique dépourvu de guichet d’entrée ou du moindre panneau de signalisation. Cet habitant de Palmyre travaille pour l’ONG espagnole Heritage for peace. Il a fui l’arrivée de Daech en 2015 et est revenu en janvier dernier, après dix ans d’exil dans le nord de la Syrie.

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Aux pieds des colonnes antiques, ce matin-là, on ne croisera aucun visiteur. Seuls quelques vendeurs de souvenirs déambulent, cartes postales défraîchies et colliers à la main : « On voit parfois des petits groupes de touristes, mais il faudra beaucoup de temps avant que l’activité ne reprenne », regrette l’un d’eux. Difficile d’imaginer que, jusqu’en 2011, 150 000 visiteurs se pressaient chaque année dans la cité antique.

Les ruines millénaires de Palmyre ont fait les frais de la prise de la ville par l’État islamique, à l’été 2015. Celle-ci a ensuite été reprise par le régime Al-Assad, avec le soutien de l’armée russe, avant d’être occupée à nouveau en 2016 par le groupe terroriste, chassé définitivement l’année suivante. Palmyre est restée sous la coupe du régime et des miliciens chiites pro-iraniens jusqu’à la chute du régime de Bachar Al-Assad, en décembre 2024.

Les vols n’ont jamais vraiment cessé depuis la présence de l’État islamique.

M. Fares

Certains bâtiments du site antique, toujours impressionnant malgré les destructions, ont été témoins de l’horreur la plus abjecte. Dans le magnifique théâtre du IIe siècle, l’ancien directeur des antiquités, Khaled al-Asaad, a été décapité par Daech tandis que vingt-cinq soldats du régime syrien ont été mis à mort par des adolescents, filmés par l’État islamique.

Dès l’été 2015, des bustes funéraires sont détruits en place publique. Vient le tour du monumental temple de Bêl, le sanctuaire principal de Palmyre, rasé à l’explosif et dont il ne reste aujourd’hui que l’encadrement de l’entrée principale, entourée de gravats. Les jihadistes ont ensuite anéanti le temple Baalshamin, puis l’arc de triomphe de Septime Sévère et une dizaine de tours funéraires.

« Certains bâtiments peuvent être réhabilités, mais ça demandera beaucoup de temps et de travail, explique Mohammad Fares. Pour d’autres, comme le temple de Bêl, de nombreuses parties ont été perdues. » Il est interrompu par une série de détonations qui ne provoquent chez lui qu’un haussement de sourcils. Dans le désert autour de Palmyre, on fait exploser les milliers de mines installées par l’État islamique. Elles sont mises au jour quotidiennement.

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La sécurité du site, elle, n’est toujours pas garantie. Régulièrement, des fouilles illégales sont pratiquées. Mohammad Fares reprend : « Les vols n’ont jamais vraiment cessé depuis la présence de l’État islamique. La semaine dernière encore, un groupe de personnes qui fouillaient à proximité du site a été arrêté. Les gens vivent dans la misère, dans la région. Pour certains, c’est le seul moyen de s’en sortir. »

« Tout le monde s’est battu ici »

Située à 200 kilomètres au nord-est de Damas, en plein milieu désert, la ville de Palmyre a toujours été un lieu stratégique. Dès l’Antiquité, elle est au carrefour de grandes routes commerciales et s’impose comme un centre important d’échanges caravaniers débouchant sur la Méditerranée. Pendant la guerre, l’État islamique y voit une position stratégique : seule ville au milieu du désert entre Deir ez-Zor, à l’ouest, et Damas, à l’est, elle permettait à l’organisation terroriste de contrôler un espace désertique du centre et de l’est de la Syrie, mais aussi de s’assurer une continuité territoriale, à cheval sur la Syrie et l’Irak. Son aéroport, aujourd’hui détruit, abritait en outre un important stock d’armes.

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La tristement célèbre prison Tadmor, située à quelques kilomètres de là, était une cible symbolique majeure pour l’État islamique,qui souhaitait se poser en libérateur de l’oppression du régime des Assad. Ouverte sous Hafez Al-Assad, puis fermée en 2001, la prison de Palmyre était réputée pour l’application systématique de la torture et ses conditions de vie indignes.

Palmyre a changé de mains à cinq reprises depuis 2011.

M. al Salem

Mahmoud al Salem, actuellement chargé de la sécurité auprès du conseil municipal, y a passé deux ans à la fin des années 1990. « On m’a accusé d’être un terroriste, sans qu’il y ait la moindre preuve. Je peux vous dire que Tadmor ferait passer Saydnaya pour un hôtel 4 étoiles. » Bachar Al-Assad l’avait rouverte en 2011, au début de la révolution syrienne. Elle est finalement dynamitée par l’EI en 2015.

80 % de la ville est détruite

« Palmyre a changé de mains à cinq reprises depuis 2011. Daech, le régime, les Russes, le Hezbollah libanais, jusqu’aux milices chiites du Pakistan et de l’Irak. Tout le monde s’est battu ici », énumère Mahmoud al Salem, qui a quitté Palmyre en 2013 pour trouver refuge à Idlib. Il est revenu dans la ville le jour même de la chute du régime Al-Assad. Sur les murs des grands complexes hôteliers autour du site antique, détruits par l’aviation israélienne quelques semaines avant la chute du régime, on retrouve les logos du Hezbollah, des inscriptions en perse et des affiches à ­l’effigie du guide suprême iranien Ali Khamenei.

Dans certains immeubles, des tunnels ont été creusés par les milices chiites pour se cacher des bombardements ou rejoindre discrètement d’autres quartiers de la ville. L’appartement de Mahmoud al Salem a été entièrement rasé par un bombardement israélien. « Mon immeuble était probablement devenu un repère pour les milices chiites, explique-t-il, devant les décombres du bâtiment. C’était pourtant un quartier si tranquille avant la guerre. »

À l’entrée du site historique, le drapeau de la révolution syrienne flotte au milieu des destructions. (Photo : Hugo Lautissier.)

Depuis décembre 2024, seules quelques milliers de familles sont revenues s’installer à Palmyre, qui comptait près de 100 000 habitants avant-guerre. D’après un rapport réalisé récemment par l’Institut de recherche en sciences humaines Milà i Fontanals et les organisations Palmyrene Voices et Heritage for peace, la ville, bombardée tout au long de la guerre, est à 80 % détruite. Les infrastructures, elles, sont à bout de souffle.

Ils ont mis la peur dans le cœur des gens.

M. Fares

« C’est simple, dans l’état actuel des choses, Palmyre ne peut pas accueillir plus d’habitants, explique Mohammad Fares. On aurait immanquablement un black-out au niveau de l’électricité et une pénurie d’eau. Pour l’instant, seul le centre-ville est alimenté. Et je ne vous parle même pas des hôpitaux, qui sont tous hors service. Il n’y a qu’une école ouverte dans toute la ville. »

Dans ce qui reste du souk de Palmyre, quelques commerçants vendent fruits et légumes sous des tentes de fortune, ou directement depuis le coffre de leur voiture.Mohammad Zain Ali, 21 ans, tient une minuscule boutique de falafels à proximité du souk. Il a quitté la ville pendant l’occupation de Daech et l’intensification des bombardements du régime et de l’armée russe pour rejoindre Idlib : « J’avais 11 ans en 2015. Sous Daech, il n’y avait plus d’écoles, on devait suivre des cours islamiques. Les femmes ne pouvaient plus travailler ni marcher librement dans la rue. »

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Revenu avec sa famille il y a trois ans, il est inquiet de la situation sécuritaire aux abords de la ville. Des cellules dormantes de l’État islamique sont toujours présentes dans le désert et les nouveaux hommes forts de la Syrie ne sont pas encore en mesure de contrôler l’intégralité de la région. Deux jours plus tôt, des mouvements de Daech auraient été identifiés sur une route proche de la ville, avant que cette information soit finalement démentie.

« Tant que la situation sécuritaire n’est pas sous contrôle, les habitants ne reviendront pas à Palmyre. Ils ont mis la peur dans le cœur des gens, conclut Mohammad. Nous, en tout cas, on se tient prêts à repartir à tout moment si la situation redevient critique. »

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