Gaza : la vérité en face
La guerre contre la population de Gaza entre dans une nouvelle dimension qui appelle un réveil des consciences européennes.
dans l’hebdo N° 1861 Acheter ce numéro

© Omar AL-QATTAA / AFP
Avec Gaza, on croyait avoir touché le fond. Mais non, voilà que le gouvernement israélien se prépare à une nouvelle escalade. Il s’agira cette fois d’investir le territoire pour en prendre le contrôle. Des milliers de réservistes sont appelés à la rescousse pour cette mission dont le but avoué est, ni plus ni moins, l’expulsion de la population palestinienne. On n’ose parler de solution finale. C’est pourtant bien cela dont il s’agit. Car, en attendant de savoir où et comment tout un peuple serait expédié, le gouvernement israélien continue de tuer, par les bombes, par la faim et les épidémies. Sur la méthode, tout a été dit.
Il y a longtemps qu’Israël ne respecte plus rien.
Grâce à d’héroïques journalistes palestiniens, les témoignages se multiplient de familles affamées qui tentent de sauver leurs plus petits, de récits d’amputations sans anesthésie, d’images de corps décharnés comme sortis de Nuit et Brouillard, et de visages d’enfants brûlés par les bombes. Il y a longtemps qu’Israël ne respecte plus rien, et que même les humanitaires, les journalistes et les médecins sont ciblés. Tout ça, nous le savons et nous le voyons. Nos médias ont fini par fendre l’armure d’une censure qui ne disait pas son nom. Nos gouvernants européens le savent. Les dirigeants arabes le savent. Mais les Israéliens, que savent-ils ? Ceux qui veulent savoir n’ignorent rien de la réalité. Ils sont une infime minorité nourrie d’une presse alternative admirable.
Mais la population qui s’informe par les grands canaux de télévision n’en sait pas plus sur Gaza que les Russes sur l’Ukraine. Les rares manifestants qui tentent de brandir des photos d’enfants gazaouis mutilés ou défigurés sont refoulés ou sommés de cacher « ce qui n’existe pas ». Pas de photos ! Pas d’images ! Pendant ce temps, les médias se repaissent de l’affrontement entre Netanyahou et le chef du Shin Bet. La seule grande affaire du jour ! On peut donc vivre agréablement à Tel-Aviv, dans une ignorance consentie. Aux consciences réfractaires, le 7-Octobre est inlassablement rappelé. Et on crie vengeance ! Voilà comment on peut laisser mourir dans Gaza tout un peuple à quelques encablures de centaines de camions de vivres et de médicaments retenus à la frontière égyptienne.
On ne dira pas ici que la diplomatie française est muette. Elle est l’une des plus actives pour dénoncer le blocus humanitaire, mais elle se complaît dans un double langage : protestation sur la scène internationale, traque, sous différents prétextes, des défenseurs des Palestiniens en France. L’islamophobie ministérielle fait partie du conflit. La vérité en face, c’est oser reconnaître que, si l’extermination des Gazaouis est désagréable pour tout le monde, elle est, au fond, une solution au conflit. L’Allemagne ne dit rien qui puisse froisser Israël, comme si la Shoah avait été le fait des Palestiniens. Les illibéraux d’Europe orientale reconnaissent en Netanyahou l’un des leurs, aussi antisémite et islamophobe qu’eux-mêmes. Les Arabes piaffent de faire leurs affaires avec Israël sans avoir à se cacher. Trump joue au Monopoly avec Gaza comme avec le Groënland.
Les illibéraux d’Europe orientale reconnaissent en Netanyahou l’un des leurs.
Le tableau est sombre. On nous objecte parfois que d’autres régions du monde sont en proie à de semblables désastres produits par la volonté humaine. On pense au Soudan, bien sûr, qui, en deux ans de guerre civile, a connu massacres, famines, déplacements de populations prises sous les tirs croisés de deux généraux qui se disputent le pouvoir. Au passage, notons qu’au Soudan Israël a son favori, comme Poutine a le sien. Mais la caractéristique d’Israël est que ce pays se réclame de nos valeurs « occidentales ». La « seule démocratie du Moyen-Orient », selon la formule ridiculement consacrée. Un impératif de responsabilité devrait donc réveiller les consciences. Mais il n’en est rien.
Voilà qu’au moment où le gouvernement Netanyahou annonce une nouvelle offensive, les Européens se disent « préoccupés » et appellent « à la retenue ». Faut-il en rire ou en pleurer ? Car le conflit prend une nouvelle dimension avec cette annonce qui devrait alarmer les démocraties. Israël se prépare à « privatiser » l’humanitaire et à opérer entre les humains un tri sélectif. Des sociétés américaines feraient le job. Comment ne pas voir là un projet typiquement trumpiste dans lequel l’ONU et ses agences seraient privatisées et les ONG interdites ? C’est cela aussi, le conflit israélo-palestinien. Bien au-delà de sa dimension régionale, il est comme un prélude au « meilleur des mondes ». N’est-il pas temps de réagir autrement que par un vocabulaire convenu ?
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un DonPour aller plus loin…

Les cent jours calamiteux de Donald Trump

Finance sans conscience…

Macron et l’État palestinien : et après, quoi ?
